mardi 23 juillet 2013

La borne inférieure zéro et la flexibilité des prix

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Q : Je comprends pourquoi les taux d’intérêt ne peuvent pas aller en dessous de zéro. Mais pourquoi est-ce si grave ?

R : Parce que cela signifie que la politique monétaire ne peut pas remplir sa tâche.

Q : Mais je pensais que la politique monétaire visait à maintenir l’inflation à un faible niveau.

R : En partie. Mais nous comptons aussi sur la politique monétaire pour garantir que la demande globale corresponde à ce que l’économie dans son ensemble désire produire.

Q : N’est-ce pas à cela que sert le mécanisme des prix : égaliser l’offre et la demande ?

R : C'est un bon exemple où avoir en tête un marché n’est pas une bonne façon de s’attaquer à la macroéconomie. Alors qu’à long terme vous vous attendriez à ce que l'offre et la demande globales soient égales, ce n'est pas nécessairement le cas à court terme. Les individus peuvent décider d'épargner davantage et l'investissement n’augmente pas nécessairement pour compenser, de sorte que la demande peut chuter en dessous de l'offre, ce qui entraîne une hausse du chômage.

Q : Oui, je me souviens de notre discussion sur l’épargne et l’investissement. Mais le chômage peut sûrement toujours être résolu par une baisse des salaires.

R : Pas si les prix baissent en même temps. Dire que le chômage est trop élevé parce que les salaires réels sont trop élevés dans cette situation passe à côté du problème.

Q : Mais si les salaires et les prix commencent à baisser, cela n’entraînera-t-il pas une reprise de la demande ? Qu’est-ce qui empêche cela de se produire ?

R : La réponse conventionnelle est que les prix sont rigides, si bien que ce processus ne s’opère que lentement. Cela semble être certainement le cas, mais il est intéressant de se demander si un ajustement se produirait même avec des prix visqueux.

Q : Ah oui, la viscosité des prix… C'est tout ce truc keynésien qui est si controversé. Donc, si vous pensez que les prix sont visqueux, cela signifie-t-il que les booms et les récessions causées par les fluctuations de la demande sont inévitables ?

R : Non, comme je l'ai dit plus tôt, c'est l'autre tâche de la politique monétaire. Nous avons de très bonnes raisons de penser que la demande globale dépend négativement du taux d'intérêt réel. Il devrait donc toujours exister un taux d'intérêt réel qui assure l'égalité entre la demande et l'offre globales.

Q : Et la banque centrale essaie de deviner quel est ce taux d’intérêt chaque mois ?

R : Fondamentalement oui, même si elle ne peut déterminer que les taux d'intérêt nominaux, ils doivent donc également estimer l'inflation anticipée. J'espère que vous vous souvenez de la définition des taux d'intérêt réels.

Q : Bien sûr. Et maintenant, je vois le problème. Si le niveau requis de taux d’intérêt réels est significativement négatif et que l’inflation anticipée est faible, même des taux d’intérêt nominaux à zéro pourraient ne pas suffire pour stimuler suffisamment la demande.

R : Bien joué.

Q : Mais maintenant, je suis perplexe. Si les prix sont flexibles plutôt que visqueux, cela ne ferait qu'empirer les choses, et non les améliorer. En période de récession, cela se traduit par une inflation négative, et donc des taux d'intérêt réels plus élevés. Ils vont dans la mauvaise direction !

R : Attention. Je croyais que vous vous souveniez de la définition des taux d'intérêt réels. C'est l'inflation anticipée qui compte, non l'inflation réelle.

Q : Bien sûr, mais si l’inflation diminue, l’inflation anticipée diminuera sûrement aussi.

R : Pas si la banque centrale ciblait un niveau des prix, ou quelque chose de proche, et que les gens pensaient qu'elle pouvait et allait atteindre cet objectif. Alors, à chaque baisse des prix réels, les anticipations à propos de l'inflation future augmenteraient.

Q : Ce qui tombe finit toujours par remonter. […] 

Q : Si vous insistez. Vous dites donc que des prix flexibles fonctionneraient finalement. Si le niveau des prix baissait suffisamment, les anticipations d'inflation augmenteraient suffisamment pour maintenir les taux d'intérêt réels suffisamment bas, même si les taux nominaux étaient à zéro.

R : Oui, mais rappelez-vous ce que j'ai dit : il faut que les gens croient que la banque centrale peut le faire et le fera. Et si les gens ne se laissent pas tromper, il faudra que l'inflation future augmente conformément aux anticipations.

Q : Ce qui serait en conflit avec l’autre objectif de la banque centrale, qui est de contenir l’inflation.

R : En effet. La plupart des banques centrales ciblent désormais l'inflation plutôt que des niveaux de prix. Si elles remplissaient leur rôle, elles empêcheraient l'inflation de monter suffisamment pour maintenir les taux d'intérêt réels suffisamment bas.

Q : Donc, avec des objectifs d’inflation, même la flexibilité des prix pourrait ne pas suffire pour garantir que la demande globale soit égale à l’offre globale si la demande baissait fortement. Alors pourquoi ce truc keynésien est-il controversé ? Il semble important que les prix soient visqueux ou non.

R : Je suis d'accord. Autrefois, avant votre naissance, les économistes parlaient de l’effet d’encaisses réelles ou de l'effet Pigou, des mécanismes censés sauver la partie, mais on en parle rarement aujourd'hui. Je ne comprends pas vraiment pourquoi.

Q : Mais mon manuel dit que l’économie keynésienne concerne l’économie des prix rigides.

R : C’est le même manuel qui dit que la banque centrale fixe la masse monétaire.

Q : Oui. Vous ne m'avez jamais expliqué pourquoi le manuel dit cela, même si ce n'est pas vrai.

R : Je ne suis pas sûr de pouvoir le faire. Mais cela permet d'expliquer l'importance accordée à la rigidité des prix lorsque l’on parle de l’économie keynésienne. Les cibles monétaires sont une variante d’une cible de niveau de prix, donc dans ce cas la flexibilité des prix pourrait suffire, comme nous venons de le voir. Pour cette raison, et peut-être pour d'autres également, les manuels, à mon avis, accordent trop d'importance à la rigidité des prix comme condition préalable à l'analyse keynésienne, et pas assez à une bonne politique monétaire comme étant essentielle pour contrôler la demande globale à court terme.

Q : Vous ne semblez pas beaucoup apprécier mon manuel. Quoi qu'il en soit, que les prix soient visqueux ou non, le fait d'être à la borne inférieure zéro prouve clairement qu’il n’y a pas assez de demande dans l'économie. Nous devons donc nous concentrer sur les moyens de l'accroître. Cela ne peut pas prêter à controverse.

R : Oh, comme j’aimerais que tu aies raison. »

Simon Wren-Lewis, « The zero lower bound and price flexibility », Mainly Macro (blog), 23 juillet 2012. Traduit par Martin Anota

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