« La Chine a le plus gros excédent commercial bilatéral vis-à-vis des Etats-Unis, mais elle est aussi la plus grande détentrice de titres publics américains. Alors que la Chine a commencé à contrer les droits de douane américains, les économistes ont discuté de la possibilité que la Chine se débarrasse de ses bons du Trésor américains. Nous passons en revue les récents commentaires à ce sujet. […]
Brad Setser […] observe depuis longtemps les évolutions du portefeuille externe de la Chine. Il a notamment estimé ce qui se passerait si la Chine commençait à vendre son portefeuille de bons du Trésor américains. Si elle vendait la totalité des bons du Trésor qu’elle possède, ces ventes représenteraient environ 6 % du PIB américain, ce qui accroîtrait les taux d’intérêt de long terme d’environ 30 points de base. L’impact serait plus important à court terme, mais ensuite les taux américains s’accroitraient (relativement aux taux européens), ce qui pousserait des fonds privés dans le marché américain de titres à revenu fixe. Si les ventes chinoises poussaient les taux de long terme américains à la hausse et déprimaient l’économie américaine, la Fed ralentirait logiquement le rythme de ses hausses de taux directeurs ou la réduction de son bilan dans le cadre de son "resserrement quantitatif".
En surface, les Etats-Unis semblent vulnérables : le stock de bons du Trésor que le marché doit absorber pour financer le déficit budgétaire croissant des Etats-Unis est énorme et si la Chine commençait à vendre ceux qu’elle possède, le montant de titres américains que les investisseurs non chinois auraient à absorber serait massif. Cependant, Setser, pense que les ventes chinoises seraient d’une certaine façon faciles à contrer, comme la Fed peut ralentir ses hausses de taux et peut répondre aux ventes chinoises en changeant le rythme de sa réduction de bilan. De son côté, le Trésor peut commencer à émettre davantage de titres de court terme au lieu de titre de moyen terme, ce qui compenserait l’impact des ventes de titre de long terme par la Chine […]. De plus, la Fed peut accroître la maturité de ses détentions. Globalement, Setser pense que le gouvernement américain doit davantage s’inquiéter à l’idée que la Chine vende d’autres actifs que des bons du Trésor, parce que les ventes de bons du Trésor sont, en un sens, faciles à contrer.
Martin Sandbu pense que l’analyse de Setser est correcte, mais pas la fin de l’histoire. Si la Chine prenait davantage d’actifs à haut rendement à la place d’obligations à faible rendement ou poursuivait une politique de non-financement de l’économie américaine, alors l’économie américaine devrait payer plus pour financer son déficit de compte courant ou réduire sa position extérieure. Une telle brèche dans le "privilège exorbitant" qui permet aux Etats-Unis de profiter de taux d’emprunt externe faibles pourrait facilement s’auto-renforcer, dans la mesure où d’autres vont demander un rendement plus élevé pour la détention d’actifs américains. Si cela mène à une chute du dollar et à un plus faible déficit, alors cela peut être soutenu et pourrait même être en lien avec ce que Trump voit comme désirable. Cela étant dit, ce gouvernement n’est pas sur le point de resserrer sa ceinture, donc ce serait au secteur privé de le faire via une baisse de l’investissement de la part des entreprises ou une baisse de la consommation de la part des ménages.
Michael Pettis a écrit un long billet dans lequel il affirme que si la Chine menace de répliquer à une action commerciale des Etats-Unis en réduisant ses achats de titres publics américains, non seulement ce serait une menace vide, mais en outre ce serait exactement ce que Washington voudrait. Pettis passe en revue cinq façons par lesquelles Pékin peut réduire les achats de titres publics américains. Il affirme que certaines d’entre elles ne changeraient rien, ni pour la Chine, ni pour les Etats-Unis ; d’autres ne changeraient rien pour la Chine, mais réduiraient le déficit commercial américain soit en réduisant le chômage américain, soit en réduisant la dette américaine ; et une dernière façon qui réduirait le déficit commercial américain en réduisant le chômage américain ou en réduisant la dette américaine, mais réduirait aussi l’excédent commercial chinois en accroissant le chômage chinois ou en augmentant la dette chinoise. La conclusion de Pettis est qu’en achetant moins de titres publics américains, Pékin laisserait les Etats-Unis dans la même situation ou dans une meilleure situation, mais qu’ainsi la Chine se verrait sa situation rester inchangée ou se dégrader.
Jeffrey Frankel a écrit un billet plus général où il note les raisons pour lesquelles il pense que la Chine ne pliera pas dans la guerre commerciale de Trump. Dans ce billet, il met en lumière le fait que le pays excédentaire est souvent dans une meilleure position parce qu’il a accumulé des créances financières vis-à-vis des pays déficitaires ; dans le cas des détentions chinoises de bons du Trésor américains, les créances représentaient plus de mille milliards de dollars. Si le gouvernement chinois vendait les bons du Trésor, la chute de leur prix nuirait autant à la Chine qu’aux Etats-Unis. Néanmoins, cela n’invalide pas le point. En effet, la Chine n’a pas nécessairement à décider de les vendre. Comme la dette américaine augmente et que les taux d’intérêt américains augmentent (deux tendances qui vont certainement se poursuivre cette année), le conflit commercial pourrait produire des rumeurs que les Chinois arrêtent d’acheter des titres du Trésor américain, ce qui réduirait les cours des obligations américaines et accroîtrait leurs taux d’intérêt. […]
Steven Englander pense qu'il est possible que la Chine utilise ces rumeurs pour calmer l'administration Trump. Il croit toutefois qu'il est très improbable que Pékin puisse concrétiser cette décision, car des mesures financières telles que la dépréciation du yuan ou la vente de bons du Trésor sont aussi nuisibles à la Chine qu'aux États-Unis et plusieurs d'entre elles portent un préjudice considérable aux voisins de la Chine et aux pays émergents que Pékin cherche à attirer en faisant du yuan une monnaie internationale.
Les rendements des bons du Trésor américain ont tendance à devancer les rendements chinois et une hausse des rendements américains aurait des répercussions mondiales. La Banque populaire de Chine pourrait modifier sa politique domestique pour compenser cela, mais cela ne protégerait pas le reste des pays émergents, ni même le monde développé. Le marché boursier chinois n'est pas non plus à l'abri de Wall Street. Les implications sur les marchés des changes sont incertaines : vendre des bons du Trésor américain et acheter des obligations européennes ou des actifs japonais affaibliront probablement le dollar, exerçant ainsi une pression à la baisse sur le taux de change de la monnaie chinoise. Les devises des pays émergents suivraient probablement le mouvement et se déprécieraient face à l'euro et au yen. Si la Chine allait trop loin dans le boycott des bons du Trésor américain, le dollar chuterait brutalement, même si les rendements américains grimpaient.
Neil Irwin écrit qu'il s'agirait d'une manœuvre risquée dans laquelle la Chine pourrait potentiellement avoir beaucoup à perdre. Se débarrasser brutalement d'une partie de sa dette américaine ou même signaler son intention d'acheter moins d'actifs en dollars à l'avenir entraîneraient probablement une hausse des taux d'intérêt à long terme aux États-Unis, au moins temporairement. Mais cela entraînerait également une baisse de la valeur du portefeuille obligataire chinois existant (ce qui pourrait entraîner des pertes de plusieurs milliards) et aurait tendance à faire baisser la valeur du dollar par rapport aux autres devises, ce qui aiderait les États-Unis à obtenir des conditions commerciales plus avantageuses. Même après tout cela, les prix des obligations se réajusteraient très probablement au fil du temps comme d'autres acheteurs profiteraient de la hausse des taux d'intérêt. À moyen terme, la performance de l'économie américaine et les actions de la Réserve fédérale influencent davantage les prix des obligations que les décisions d'un seul acheteur ou vendeur, même aussi important que la Chine.
Edward Harrison pense que la Chine ne peut pas utiliser comme levier les bons du Trésor qu’elle possède dans la mesure où, si les Chinois voulaient vraiment utiliser les obligations publiques comme arme, ils devraient soit laisser flotter leur monnaie, soit la réévaluer. Et cela, selon Harrison, ce n’est pas du tout ce qu’ils veulent faire puisqu’une réévaluation réduirait leurs exportations et freinerait leur croissance économique. Il s’attend à ce que le conflit commercial actuelle escalade et que les gens diagnostiquent mal les contraintes, avec pour conséquence que les mauvais diagnostics accroissent au final les conflits et non les diminuent. »
Silvia Merler, « US tariffs and China’s holding of Treasuries », Bruegel (blog), 2 juillet 2018. Traduit par Martin Anota
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