« Pourquoi l’inflation est-elle un problème ? Je pose cette question car la réponse du sens commun est erronée et la réponse standard des économistes obsolète.
Vous pourriez penser que la réponse est évidente : l’inflation nous appauvrit. Non. Bien sûr, les salaires n’ont pas augmenté au même rythme que les prix, en particulier ceux des produits alimentaires et des carburants. Mais cela, à strictement parler, n’est pas de l’inflation. C’est un changement des prix relatifs. Si la hausse des factures de services est 17 points de pourcentage plus élevée que celle des salaires et celle des prix alimentaires 12 points de pourcentage plus élevée, nous aurions un problème même si les autres composantes de l’indice des prix à la consommation chutaient de telle manière que l’inflation globale reste faible.
La hausse des taux d’intérêt sur les prêts immobiliers n’est pas non plus un coût de l’inflation. C’est le coût des tentatives visant à réduire l’inflation. Et c’est une décision politique dans deux sens : une volonté de réduire l’inflation ; une volonté de réduire l’inflation via la hausse des taux d’intérêt plutôt que via d’autres moyens comme une hausse des impôts ou le contrôle des prix.
Nous définissons l’inflation comme une hausse du niveau général des prix, dans laquelle les prix et salaires augmentent au même rythme. Qu’y a-t-il d’erroné avec cela ?
Pendant des années, la vision standard parmi les économistes était : pas beaucoup, à moins que l’inflation ne soit pas anticipée. Milton Friedman écrivait : "Les inflations ou déflations anticipées ne produisent pas de transferts des emprunteurs aux créanciers qui poseraient une question d’équité. Le taux d’intérêt sur les titres valorisés en termes nominaux s’ajustent selon le taux d’inflation anticipé. Les inflations ou déflations anticipées n’ont pas à impliquer des frictions dans l’ajustement des prix. Chaque individu peut prendre en compte le changement anticipé du niveau des prix dans la fixation des prix des transactions futures. Finalement, les inflations ou déflations anticipées n’impliquent pas d’arbitrages entre inflation et emploi."
Et, en 1995, Robert Barro constatait que c’est seulement la forte inflation (supérieure à 15 %) que celle-ci a un impact statistiquement significatif en réduisant la croissance économique.
Alors pourquoi s’inquiéter à propos de l’inflation ? Une réponse pourrait être qu’elle augmente les impôts. […] Je ne pense pas que ce soit un coût de l’inflation. C’est un coût lié au fait que le gouvernement a décidé de ne pas indexer les tranches fiscales.
Ce que Friedman avait en tête avec l’inflation anticipée était différent. Une inflation et des taux d’inflation plus élevés, disait-il, nous amènent à économiser en liquidité ; parce qu’il ne porte pas d’intérêt, le liquide est d’autant plus cher que les taux d’intérêt sont élevés. Cela signifie que, au lieu de garder beaucoup de liquide dans nos portefeuilles, nous allons plus souvent à la banque retirer du liquide, ce qui signifie que nous gaspillons plus de temps à marcher et à faire la queue. Les économistes appellent cela les "coûts en chaussures" (shoe-leather costs). A la fin des années 1990, les économistes de la Banque d’Angleterre estimaient que ces coûts étaient assez significatifs, équivalents à 60 milliards de livres sterling à l’époque, soit l’équivalent de 120 milliards de livres sterling aujourd’hui.
Mais évidemment, c’est obsolète. Beaucoup d’entre nous utilisons rarement du liquide aujourd’hui ; la quantité de pièces et billets en circulation a baissé ces deux dernières années et je soupçonne qu’elle reste dans les coffres et pots plutôt qu’elle ne change rapidement de mains.
Si les coûts en chaussures ne sont plus significatifs à présent, qu’est-ce qui ne va pas avec l’inflation ? Peut-être pas grand-chose. Pendant de nombreuses années, de bons juges ont appelé à relever la cible d’inflation, au motif que les bénéfices d’une faible inflation sont faibles et plus que compensés par un coût, celui du risque que la faible inflation laisse place à la déflation et que les taux directeurs se retrouvent à leur borne zéro, privant la politique monétaire de son efficacité.
Je pense qu’il y a bien des raisons expliquant pourquoi l’inflation est une mauvaise chose. Tout d’abord, elle crée de l’incertitude. C’est peut-être la seule raison pour laquelle les inflations des années 1970 et de la fin des années 1980 ont été accompagnées d’une hausse du taux d’épargne des ménages. […] L’inflation enrichit certains aux dépens des autres. Et elle ne le fait pas en fonction des contributions à la société, mais selon des facteurs comme l’évolution des taux d’intérêt réels, la nature fixe ou non des revenus […] et, bien sûr, le pouvoir de négociation dont on dispose. Comme John Maynard Keynes l’écrivait : "Le spectacle de ce réarrangement arbitraire des richesses frappe non seulement la sécurité, mais aussi la confiance dans la répartition actuelle des richesses… et le processus d’enrichissement dégénère en un jeu de hasard, une loterie. Lénine avait certainement raison. Il n’y a pas de manière plus subtile, plus sûre de renverser les fondements d’une société que la corruption de sa monnaie."
Vous pourriez penser que c’est bienvenu d’un point de vue capitaliste. Ce n’est pas nécessairement le cas. Le capitalisme ne requiert pas simplement des conditions favorables pour faire du profit, mais aussi une légitimité. Et l’inflation sape cette légitimité en nous rappelant que l’idée selon laquelle les revenus dépendent de la productivité marginale est une fiction idéologique. Si le mécontentement ne s’est jusqu’à présent manifesté qu’à travers un soutien plus chaleureux envers un parti travailliste peu imaginatif […], il n’est pas garanti que les gens restent si passifs si l’inflation persiste. L’inflation des années 1970 avait alimenté des discussions autour d’une "crise de la démocratie" et les hyperinflations qui avaient auparavant touché l’Europe ont eu des effets très pernicieux.
Du point de vue des rentiers et de plus gros capitalistes […], le capitalisme britannique a bien fonctionné durant l’ère de la faible inflation. Pourquoi risquer de faire chavirer le navire ? »
Chris Dillow, « Inflation: A political problem », Stumbling & Mumbling (blog), 3 juillet 2023. Traduit par Martin Anota
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