vendredi 3 octobre 2025

La Chine est-elle toujours la seule superpuissance industrielle au monde depuis la pandémie de Covid-19 ?

« Il y a un peu moins de deux ans, j’avais publié un article sur VoxEU avec Rebecca Freeman et Angelos Theodorakopoulos pour mettre en avant un fait manifeste, mais sous-estimé : la Chine était devenue la seule superpuissance manufacturière au monde.

Cet article, qui se basait sur les données actualisées de la base de données TiVA de l’OCDE de 2023, a montré comment la montée fulgurante de la Chine avait même laissé loin derrière elle l’ensemble combiné des pays du G7. Il mettait également en lumière quelque chose que de nombreux commentateurs manquent encore : la Chine n'est pas seulement "l'usine du monde" pour les exportations, elle est de plus en plus son propre meilleur client.

En 2025, l'OCDE a publié de nouvelles données TiVA, couvrant jusqu'en 2022. Celles-ci me permettent de vérifier que la Chine garde le statut de superpuissance. Le choc de l’épidémie de Covid, la politique industrielle de Biden et la poussée générale vers l’approvisionnement en "Chine + 1" ont-ils réduit la domination de la Chine ?

Spoiler : la Chine domine toujours, mais le sol sous ses pieds est en train de changer.

La domination de la Chine dans le secteur manufacturier

Le […] graphique ci-dessous présente le résultat principal. Oui, la Chine est toujours la seule superpuissance manufacturière au monde.

La Chine produit toujours plus de biens manufacturés que les huit plus grands producteurs suivants réunis. C'est un recul, car sa production dépassait celle des neuf plus gros producteurs suivants combinés en 2020 selon les données TIVA de 2023, mais je pense que la Chine peut encore confortablement conserver la couronne incontestée. Néanmoins, le graphique montre clairement que la trajectoire ascendante de la Chine a changé. La production manufacturière chinoise a explosé jusqu'en 2015 environ, puis elle s’est stabilisée.

Le [graphique ci-dessus] montre l'évolution des parts mondiales entre 2020 et 2022. La surprise ici est la hausse de près d'un demi-point de pourcentage de la part des États-Unis ; sur cette période, se sont enchaînées l’épidémie de Covid-19 et la politique industrielle du président Biden. Les autres gagnants ont été l'Inde, le Brésil, la Russie, le Mexique et le Vietnam. Les perdants ont été la Chine, qui a perdu près d'un point, le Japon, qui a perdu plus d'un point, et les suspects habituels en Europe : l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni.

L'arc en détail : le G7, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud

Comme mentionné précédemment, de 1995 à 2015, l'ascension de la Chine a été spectaculaire, mais depuis lors la croissance de sa part de marché mondiale a ralenti. Logiquement, cela signifie que la production manufacturière chinoise progresse désormais à peu près au même rythme que la moyenne mondiale.

Un fait marquant est que le secteur manufacturier américain a montré un certain dynamisme ces dernières années. Il s'agit d'un léger regain post-Covid, mais c'est le premier notable depuis une ou deux décennies. On ne sait pas s’il se poursuivra. Il est facile de suivre la production manufacturière américaine jusqu'à l'été 2025, mais nous ne disposons pas de données pour le reste du monde et ne pouvons donc pas déterminer si la part des États-Unis continue de progresser.

La lente érosion des parts de marché de l’Allemagne et du Japon s'est poursuivie.

L'Inde est en nette progression. Le programme "Made in India" a un certain impact. Ce programme lancé en 2014 est corrélé avec la part croissante de l'industrie manufacturière indienne. Après avoir connu quelques difficultés avec la pandémie de Covid-19, elle est aujourd'hui de nouveau sur une trajectoire ascendante.

La part de la Corée du Sud est restée stable pendant des années, mais a légèrement diminué depuis 2018 malgré un léger rebond lié à la pandémie de Covid.

Véhicules : un tournant sectoriel

Les données de l'OCDE s'arrêtent en 2022, juste avant l'essor miraculeux de la production chinoise de véhicules électriques. Mais l’histoire jusqu'en 2022 reste révélatrice. La Chine est devenue le premier producteur mondial de véhicules à la fin des années 2000. Notez que ces données couvrent la production brute du secteur, qui inclut les biens manufacturés intermédiaires que la Chine exportait vers d'autres pays. Souvent, les données du secteur automobile comptabilisent les véhicules finis ou la valeur des ventes de véhicules finis. Jusqu'à récemment, la Chine ne produisait pas autant de véhicules finis.

Notez que l'avantage de la Chine dans le secteur automobile, qui représente environ un quart de la production mondiale, est bien inférieur à son avantage dans le secteur manufacturier en général. Les États-Unis, en revanche, ont vu leur part augmenter légèrement, en contraste avec leur déclin dans le secteur manufacturier en général. D'autres ont perdu du terrain, comme la Corée du Sud, la France et le Royaume-Uni. Parallèlement, l'Inde a vu sa part augmenter régulièrement ; en 2022, sa production automobile dépassait celle de la France.

Domination sectorielle

C’est un tableau contrasté qui s’offre à nous lorsque l’on regarde la part de la Chine dans neuf grands secteurs manufacturiers : plus de la moitié du textile mondial, mais moins de 20 % du mobilier. Contrairement au récit populaire, les données ne révèlent pas d'exode massif des secteurs à faible valeur ajoutée vers les secteurs à forte valeur ajoutée, mais plutôt un remaniement plutôt qu'un bond en avant.

Chaînes d'approvisionnement : exportations et importations d'intrants industriels

Question : Pourquoi nous soucions-nous du lieu où sont fabriqués les produits ? Réponse : Parce que les chaînes d’approvisionnement sont importantes.

Les données de l'OCDE montrent que la Chine est le premier exportateur et importateur de biens intermédiaires industriels. En ce sens, elle domine les chaînes de valeur mondiales.

Cependant, cette domination est moins marquée dans la production des biens intermédiaires que dans la production globale. Sa part dans les exportations mondiales de biens intermédiaires représente environ la moitié de sa part dans la production, parce que la Chine est une méga-économie relativement fermée. Autrement dit, la Chine est son propre meilleur client.

La part des exportations chinoises de biens intermédiaires n'a pas ralenti autant que sa part dans la production manufacturière globale. L'engagement de la Chine dans les chaînes de valeur mondiales reste fort. Du côté des importations, la Chine est aussi le premier acheteur d'intrants industriels, mais sa part a chuté depuis 2020. La part des États-Unis, en revanche, a légèrement progressé. D'autres grands importateurs voient leur part stagner ou reculer.

Ensemble, ces faits indiquent que le rôle de la Chine dans les chaînes de valeur mondiales reste central, mais que son essor a ralenti.

Résumé et remarques conclusives

[…]  J'espère que le message a été clair. La Chine reste la superpuissance manufacturière, et l’industrie chinoise perd du terrain. Le monde ne reste pas immobile. [...] »

Richard Baldwin, « Is China still the world’s sole manufacturing superpower after Covid? », 25 septembre 2025. Traduit par Martin Anota

 

Références

Baldwin, R., R. Freeman & A. Theodorakopoulos (2024), « China is the world’s sole manufacturing superpower: A line sketch of the rise », VoxEU, 17 janvier.

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