jeudi 16 mai 2013

Y a-t-il une malédiction des ressources naturelles ? Le cas du Cameroun

« Les ressources naturelles sont-elles vraiment une malédiction ? Avant de parler des régressions transnationales, commençons par une étude de cas qui semble illustrer exactement ce que les gens ont à l'esprit lorsqu’ils parlent de la malédiction des ressources (resource curse). Dans le récent ouvrage collectif Plundered Nations? Successes and Failures in Natural Resource Extraction dirigé par Paul Collier et Anthony Venables, se trouve un chapitre très intéressant, rédigé par Bernard Gauthier et Albert Zeufack appelé “Governance and Oil Revenues in Cameroon”. Il n'y a pas de meilleur endroit pour commencer à étudier la malédiction des ressources. 

Le pétrole a été découvert au Cameroun en 1977. A ce moment-là, l'économie connaissait une croissance assez forte, basée sur les exportations de café et de cacao. L'arrivée du pétrole a déclenché un boom et la croissance a atteint le rythme moyen de 9,4 % par an entre 1977 et 1986, puis le repli commença. Le positif est devenu négatif, si bien qu’en 1993 le revenu par habitant ne représentait plus que la moitié de son niveau de 1986. Bien que la croissance soit revenue ensuite, le Cameroun est encore plus pauvre qu’il ne l'était en 1986. Cette faible croissance est allée de pair avec une détérioration de développement humain. L'espérance de vie est tombée de 56 à 50 ans entre 1995 et 2006. La mortalité infantile a augmenté de presque 30 % sur la même période. Les taux de scolarisation primaire et secondaire ont diminué de 10 %. L’essentiel de ces baisses sont dues à un effondrement de l'investissement public. 

Cela apparaît de prime abord bizarre, étant donné que Gauthier et Zeufack estiment que près de 20 milliards de dollars se sont accumulés comme rentes pétrolières pour le gouvernement camerounais depuis 1977. Cela représente environ 67 % du total des rentes pétrolières, de sorte que la part du lion de la rente est allée au gouvernement et non aux méchantes compagnies pétrolières. 

Qu’a fait le gouvernement de cette manne ? Gauthier et Zeufack n'ont pas la réponse, ne serait-ce parce que seulement 54 % de cette manne peut être proprement comptabilisée dans le sens où cette part est apparue quelque part dans le budget du gouvernement. Le reste a tout simplement disparu et "a peut-être été pillé". Rien que pour arriver à ce premier chiffre, cela a pris énormément de travail et a nécessité d’utiliser de nombreuses sources parce que "le secteur pétrolier au Cameroun a été entouré par le secret officiel pour la plupart des trente dernières années […]. On en sait très peu sur le niveau des ressources revenant au pays et sur l'utilisation de ces ressources". 

Fait intéressant, en 1977, le Président du Cameroun Ahmadou Ahidjo a décidé de créer un compte extrabudgétaire à l'étranger pour "gérer" les revenus pétroliers. La taille de ce compte n'a jamais été publiée et le président n’a fourni aucune information à son sujet. Ce n'était pas un fonds souverain comme celui géré par la Norvège ou par le Chili. Malheureusement, certaines justifications erronées ont été fournies ex post pour expliquer ce manque de transparence, même par la communauté internationale, qui aurait dû mieux savoir. Gauthier et Zeufack citent un rapport de la Banque mondiale de 1988 : "Bien que ce secret ait des effets potentiellement négatifs sur la responsabilité et la transparence concernant les recettes publiques, il a sans doute l'avantage de réduire les diverses pressions pour augmenter les dépenses du gouvernement qui émergent dès qu'il devient clair que le gouvernement manque de fonds." 

Entre-temps, entre 1978 et 1986, les dépenses publiques sont passées de 17 % du PIB à 26 % d'un PIB beaucoup plus grand. Les salaires du secteur public ont augmenté, de même que les subventions. Il y avait aussi un boom dans la formation de capital du gouvernement, puisque celle-ci a triplé. Le gouvernement, sur la base d'une augmentation temporaire des revenus du pétrole, est à l’origine d’un boom insoutenable de la consommation et de l'investissement, dont une grande partie s’est retrouvée dans des projets non rentables, à faible valeur sociale. L’effondrement est survenu en 1986 et le Cameroun a conclu en 1988 un programme d'ajustement structurel avec le FMI. 

Le Cameroun boîte depuis lors. Le président Paul Biya, qui a remplacé Ahidjo en 1982, est toujours au pouvoir après avoir survécu à la démocratisation du pays en 1992. En Octobre 2011, il a remporté son sixième mandat avec 77,9 % des voix. Entre-temps, il a dû amender la Constitution de 1996 pour retirer la limitation à deux mandats présidentiels. Le pétrole semble avoir apporté peu d’avantages pour le développement au Cameroun, bien au contraire. Cela ressemble à la malédiction des ressources n'est-ce pas ? Alors, la richesse des ressources est-elle toujours une malédiction ? » 

Daron Acemoglu & James Robinson, « Is there a curse of resources? The case of the Cameroon », Why Nations Fail? (blog), 16 mai 2013. Traduit par Martin Anota


aller plus loin...

« Le syndrome hollandais ou l'abondance en ressources naturelles comme malédiction »

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