vendredi 24 juin 2016

L’économie américaine s’en sort-elle vraiment mieux avec un Président démocrate ?

« Hillary Clinton a affirmé que l’économie américaine réalisait de meilleures performances macroéconomiques lorsque le Président est démocrate plutôt que républicain. Lorsque la presse s’attelle à vérifier une telle affirmation, il est tout à fait normal qu’elle parte avec la présomption que cela ne peut pas être vrai à 100 %. Après tout, si c’était le cas, ne le saurions-nous pas déjà ? 

Eh bien, ne tournons pas autour du pot : cette affirmation est 100 % vraie. 

[…] La Présidence est bien sûr un élément parmi d’autres qui influence ce qui se passe dans l’économie. La chance joue bien évidemment un rôle déterminant. Les discours d’Hillary n’incluent pas les notes de bas de page qui confirment ce point. Mais cela ne justifie pas de taxer l’affirmation de Clinton de "demie-vérité" comme certains le suggèrent. Et la réalité, aussi surprenante soit-elle, est que la différence dans la performance économique entre les Présidents démocrates et républicains est suffisamment systémique pour qu’elle ne puisse être statistiquement attribuée à la seule chance. 

Les écarts de performance économique

Elle l’a notamment dit le 5 juin 2016 : "C’est un fait que l’économie s’en sorte mieux lorsque nous avons un démocrate à la Maison blanche". Quelles preuves empiriques existe-il pour vérifier cette affirmation ? 

Une étude statistique soignée et qui tombe à pic a été publiée en avril dans l’American Economic Review, réalisée par Alan Blinder et Mark Watson de l’Université de Princeton : "Presidents and the US economy: An econometric exploration". Le point de départ, le fait central, est que le taux de croissance du PIB s’est élevé en moyenne à 4,3 % sous les administrations démocrates contre 2,5 % sous les administrations républicaines, soit un écart significatif de 1,8 point de pourcentage. Il s’agit des données postérieures à la Seconde Guerre mondiale, couvrant 16 mandats présidentiels complets, de Truman jusqu’à Obama. Si l’on va plus loin, avant la Seconde Guerre mondiale, pour inclure Hoover et Roosevelt, l’écart dans les taux de croissance est même encore plus large. Les résultats ne changent pas si l’on considère que la performance économique observée lors du premier trimestre de chaque mandat présidentiel, voire même des premiers trimestres, est attribuée au Président en place ou à son prédécesseur. 

Bien sûr, plusieurs acteurs politiques à Washington influencent le cours des événements. Blinder et Watson constatent que l’économie américaine réalise de meilleures performances si les Démocrates ont choisi le président de la Réserve fédérale et s’ils contrôlent le Congrès. Mais ces conditions ne sont pas nécessaires pour obtenir le résultat central : c’est le parti de la présidence qui fait la grande différence. 

En outre, au cours des 256 trimestres de ces 16 mandats présidentiels, l’économie américaine était en récession pendant 1,1 trimestre en moyenne pour la présidence démocrate et 4,6 trimestres en moyenne durant les mandats républicains, ce qui constitue une énorme différence. Ces écarts de performance sont particulièrement significatifs sur le plan statistique. La probabilité pour que ce soit le résultat de la seule chance s’élève à 1 %, voire moins. 

Les deux économistes de Princeton constatent des résultats supérieurs en utilisant d’autres mesures, notamment la variation du chômage lors du mandat présidentiel et la performance des marchés boursiers. Le taux de chômage chute de 0,8 point de pourcentage sous les mandats démocrates en moyenne et grimpe en moyenne de 1,1 point de pourcentage sous les mandats républicains, soit un écart significatif de 1,9 point de pourcentage. Fait plus connu, les rendements du S&P 500 ont été plus élevés sous présidence démocrate : 8,4 % contre 2,7 % pour les républicains, soit un différentiel de 5,7 points de pourcentage (bien que cette différence ne soit pas aussi statistiquement significative, car les cours boursiers sont très volatils). En outre, le déficit budgétaire structurel est plus faible sous présidence démocrate (1,5 % du PIB potentiel) que sous présidence républicaine (2,2 %). Mais les autorités se focalisent principalement sur le PIB. 

Est-ce que c'est dû à la seule chance ?

Il n’est pas nécessaire de faire une économétrie poussée pour comprendre à quel point il est peu probable que la seule chance ait produit une telle différence dans les performances macroéconomiques. Les économistes utilisent une économétrie sophistiquée lorsqu’ils publient un article dans l’American Economic Review […], mais quelques fois des calculs plus simples sont plus efficaces. Considérons des faits très simples, que chacun peut facilement vérifier par lui-même. Les quatre dernières récessions ont toutes commencé lorsqu’un républicain était à la Maison blanche. Si la probabilité qu’une récession débutant sous une présidence démocrate était égale à celle associée à une présidence républicain, cette probabilité serait de (1/2)(1/2)(1/2)(1/2), c’est-à-dire 1 chance sur 16. Tout comme la probabilité d’obtenir "face" quatre fois d’affilée en lançant une pièce. Ce n’est pas très probable. 

Pourtant, quatre points de données constituent un très petit échantillon. Retournons aux cycles d'affaires. Les chances que les démocrates parviennent à s’en sortir aussi bien sont d’environ 1 %. (Chacun peut vérifier par lui-même les dates de récession américaine par lui-même, en consultant le site du comité de datation des cycles d’affaires du NBER.) 

Un fait encore plus surprenant émerge lorsque l’on observe les huit dernières fois qu’un Président fut remplacé par un Président du parti adverse. Au cours de quatre de ces transitions, un démocrate fut remplacé par un républicain ; à chaque fois, le taux de croissance diminua d’un mandat à l’autre. Au cours de quatre transitions, un républicain a été remplacé par un démocrate ; à chaque fois, le taux de croissance repartit à la hausse. Aucune exception, comme Blinder et Watson le soulignent. Huit cas sur huit. Quelle est la probabilité que ce soit dû à la seule chance ? La réponse est la même que la probabilité d’obtenir face en jetant huit fois d’affilée une pièce. 0,5 puissance 8, soit une chance sur 256, soit un quart de 1 %. C’est très peu probable.

Fact-checking

Étant donné la robustesse de ces résultats, il est surprenant que les affirmations d’Hillary Clinton aient été jugées seulement "à moitié vraies" par certains médias, notamment le magazine PolitFact, lauréat du prix Pulitzer. Sa source semble être un fact-checker en Arizona. (Je ressens un intérêt personnel à rétablir la vérité, car je suis inexplicablement cité comme soutenant cette conclusion selon laquelle l’affirmation n’est qu’"à moitié vraie". J’avais dit à l’intervieweur de l’Arizona que l’affirmation d’un écart de performance était clairement vraie, même si trouver l’écart n’était pas la même chose que prouver sa cause.) […]

La première moitié de l’article de Blinder-Watson rapporte les chiffres susmentionnés montrant la différence dans la façon par laquelle l’économie américaine s’est comportée sous les deux partis. Cette différence semble incontestable. La seconde moitié de l’article tente d’identifier économétriquement les causes de l’écart. Ici, les auteurs ont moins de succès, car c’est une tâche intrinsèquement beaucoup plus difficile. Les raisons précises de cet écart étonnamment important sont inconnues.

Ils ont trouvé des preuves de quatre ou cinq facteurs qui pourraient expliquer ensemble 56 % de l’écart entre les taux de croissance sous les deux partis : les chocs pétroliers, la croissance de la productivité, les dépenses de défense, la croissance économique étrangère et la confiance des consommateurs. Il est impossible de savoir si certains de ces cinq facteurs ont pu être influencés par les politiques des présidents américains et nous en savons encore moins sur les canaux qui pourraient expliquer les 44 % restants de l’écart. Il est donc impossible de dire dans quelle mesure les politiques spécifiques adoptées par les présidents sont responsables de la différence de performances économiques.

C’est la raison pour laquelle les fact-checkers ont jugé que l’affirmation d’Hillary n’était qu’à moitié vraie. Mais elle prétendait que l’écart de performance existe, et non pas quels en étaient les causalités spécifiques. Prétendre qu’un écart existe n’est pas la même chose que prétendre avoir identifié les politiques qui ont contribué à l’écart, et encore moins prétendre qu’elles expliquent l’ensemble de l’écart.

Les fact-checkers font également grand cas d’une découverte de Blinder et Watson selon laquelle, contrairement à ce que l’on pense, les politiques budgétaires et monétaires ne sont pas plus "favorables à la croissance" (c’est-à-dire expansionnistes) sous les présidents démocrates que sous les présidents républicains, ce qui ne peut donc expliquer la différence de performances. Mais, en premier lieu, les présidents prennent de nombreuses décisions politiques au-delà des mesures de relance budgétaire et monétaire, notamment dans les domaines de l’énergie, de la lutte contre les monopoles, de la réglementation, du commerce international, du travail, de la politique étrangère, et bien d’autres encore. Il n’existe aucun moyen de tester économétriquement cette myriade de politiques.

En second lieu, les principaux politiciens républicains prétendent croire que l’argent facile et les dépenses élevées nuisent à l’économie plutôt qu’ils ne la favorisent. Du moins, ils prétendent le croire lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir, et surtout si l’économie est faible, comme dans le contexte post-2008 (qui est bien sûr précisément le moment où la relance est nécessaire). Lorsqu’ils sont au pouvoir, ils ont tendance à constater qu’ils aiment plutôt dépenser de l’argent, même si l’économie n’en a pas besoin. Rappelez-vous, par exemple, quand le vice-président Richard Cheney a déclaré : "Reagan a prouvé que les déficits n’avaient pas d’importance". Il ne faut pas se faire d’illusions : Ronald Reagan et George W. Bush ont réduit les impôts et augmenté les dépenses, tandis que Bill Clinton a agi pour réduire le déficit budgétaire.

Quoi qu’il en soit, soyons clairs sur la conclusion principale. L’affirmation d’Hillary Clinton selon laquelle l’économie se porte mieux en moyenne lorsqu’un démocrate est à la Maison Blanche est vraie, à en juger par l’histoire passée. Et la différence est suffisamment importante pour ne pas être attribuée à la pure chance.

Jeffrey Frankel, « Does the economy really do better under democratic Presidents? », Econbrowser (blog), 24 juin 2016. Traduit par Martin Anota 


aller plus loin…

« La croissance américaine est la plus forte sous présidence démocrate »

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