« Pourquoi y a-t-il autant de chômeurs alors qu’il y a en même temps de nombreux postes vacants ? Comment la politique économique peut-elle affecter le chômage ? Les lauréats de cette année ont développé une théorie qui peut répondre à ces questions. Cette théorie est également applicable à d'autres marchés que celui du travail...
Des marchés avec des coûts de recherche
Selon la conception classique du marché, acheteurs et vendeurs se rencontrent immédiatement, sans coût et disposent d'une information parfaite sur les prix de tous les biens et services. Les prix sont déterminés de manière à ce que l'offre soit égale à la demande ; il n'y a pas d’excès d'offre ou de demande et toutes les ressources sont pleinement utilisées.
Mais ce n'est pas ce qui se passe dans la réalité. Des coûts élevés sont souvent associés aux difficultés des acheteurs à trouver des vendeurs, et vice versa. Même après s'être trouvés l’un l’autre, les biens en question peuvent ne pas correspondre aux exigences des acheteurs. Un acheteur peut juger le prix d'un vendeur trop élevé ou un vendeur juger le prix proposé par un acheteur comme trop bas. Dans ce cas, aucune transaction n'aura lieu et les deux parties continueront à chercher ailleurs. Autrement dit, le processus de recherche du bon résultat ne s’opère pas sans frictions. C'est le cas, par exemple, sur le marché du travail et le marché de l'immobilier, où la recherche et la découverte sont des aspects essentiels et où les échanges se caractérisent par un appariement (matching) par paires d'acheteurs et de vendeurs.
Les lauréats de cette année ont enrichi notre compréhension des marchés de recherche. Peter Diamond a apporté des contributions significatives à la théorie fondamentale de ces marchés, tandis que Dale Mortensen et Christopher Pissarides ont approfondi la théorie de la recherche et l'ont appliquée à l'analyse du marché du travail. Les travaux des trois lauréats nous aident à comprendre un certain nombre de questions économiques importantes en général et les déterminants et l'évolution du chômage en particulier.
L'idée fondamentale dans la théorie de la recherche est que les participants d’un marché recherchent des partenaires coopératifs afin de mettre en œuvre des projets communs. Cela peut concerner des cas simples où il y a un acheteur et un vendeur d'un produit, aussi bien que des relations plus complexes entre employeurs et demandeurs d'emploi ou entre les entreprises et leurs fournisseurs.
Comme souvent en recherche fondamentale, il y a plusieurs domaines d'application concevables. Le marché immobilier, par exemple, est un parallèle évident avec le marché du travail, dans la mesure où le nombre de logements vacants et le temps qu’il pour vendre un logement varient au fil du temps. La théorie de la recherche a également été utilisée pour étudier des questions de théorie monétaire, d'économie publique, d'économie régionale et d'économie familiale.
La théorie prend forme
Dans les années 1960, les chercheurs avaient déjà commencé à utiliser des modèles mathématiques pour étudier la meilleure façon possible pour un acheteur de trouver un prix acceptable. Dans un article réputé de 1971, Peter Diamond a examiné comment les prix se forment sur un marché où les acheteurs recherchent le meilleur prix possible et où les vendeurs fixent simultanément leur meilleur prix en tenant compte du comportement de recherche des acheteurs. Même de faibles coûts de recherche se sont avérés produire un résultat radicalement différent de celui-ci de l'équilibre concurrentiel classique. En effet, les prix d'équilibre sont égaux au prix qu'un monopoleur aurait fixé sur un marché correspondant sans coûts de recherche. Ce résultat a suscité une attention considérable et a conduit au développement de nombreux travaux sur les marchés de recherche.
Plusieurs travaux importants sur les marchés de recherche et d'appariement ont été publiés autour de l’année 1980. Peter Diamond, Dale Mortensen et Christopher Pissarides ont examiné les propriétés de divers marchés. Ils ont apporté de nouvelles réponses à plusieurs questions non résolues et ils ont pu aussi poser des questions totalement inédites que les travaux antérieurs n'avaient pas été capables de formuler.
La deuxième intuition concerne une question connexe. Dans le modèle de concurrence classique, le résultat d'un marché non réglementé est à la fois unique et efficient. Mais dans un monde avec des coûts de recherche, il y a parfois plusieurs résultats de marché possibles. Cela a été montré par Peter Diamond, qui a aussi souligné qu'un seul de ces résultats peut être le meilleur. Cela implique qu’il y a une justification à ce que les gouvernements cherchent et essayent des façons de pousser l'économie à aller vers le meilleur résultat.
Les travaux théoriques sur les marchés de recherche et d’appariement nous ont aidés à comprendre les principes économiques sous-jacents à des phénomènes tels que la dispersion des prix et des salaires et les ressources inutilisées.
Un modèle pour le marché du travail
Dans plusieurs études, Dale Mortensen et Christopher Pissarides ont systématiquement développé et appliqué la théorie pour examiner le marché du travail, en particulier les déterminants du chômage. Cela a donné naissance à un modèle appelé "modèle Diamond-Mortensen-Pissarides" (DMP). Aujourd'hui, le modèle DMP est l'outil le plus fréquemment utilisé pour analyser le chômage, la formation des salaires et les postes vacants.
Le modèle DMP décrit l'activité de recherche d'emploi des chômeurs, le comportement de recrutement des entreprises et la formation des salaires. Lorsqu'un demandeur d'emploi et un employeur se rencontrent, le salaire est déterminé en fonction de la situation sur le marché du travail (c’est-à-dire le nombre de chômeurs et le nombre d'offres d'emploi). Le modèle peut ainsi être utilisé pour estimer l'effet de différents facteurs du marché du travail sur le chômage, la durée moyenne des périodes de chômage, le nombre de postes vacants et le salaire réel. Ces facteurs peuvent inclure le niveau des prestations d’indemnisation du chômage, le taux d'intérêt réel, l'efficacité des agences pour l'emploi, les coûts d'embauche et de licenciement, etc.
On sait depuis longtemps que le marché du travail fluctue entre des situations de chômage élevé et de postes vacants limités et des situations de faible chômage et de nombreux postes vacants. Ce schéma empirique, connu sous le nom de "courbe de Beveridge" en référence à l'économiste britannique William Beveridge, est illustré sur le graphique, basé sur des données relatives à l'économie américaine des années 2000. Le modèle DMP fournit une explication théorique pour la courbe de Beveridge.
GRAPHIQUE La courbe de Beveridge aux États-Unis
Le modèle DMP peut être utilisé pour expliquer la position de la courbe de Beveridge et la position de l'économie sur cette courbe. Si le taux de chômage et le nombre de postes vacants évoluent en sens inverse, alors on peut considérer que ces variations reflètent les variations de la demande de travail au cours du cycle d’affaires. En revanche, si le taux chômage et le nombre de postes vacants augmentent simultanément, il est plus naturel de rechercher une explication en termes de changement dans la performance du marché du travail. Une explication pourrait être une moindre efficacité de l'appariement, c'est-à-dire des durées de chômage plus longues dans une situation de marché donnée. Une autre explication pourrait être des changements structurels plus rapides qui augmentent le rythme auquel les entreprises licencient. De telles évolutions sur le marché du travail pourraient signaler que le chômage de longue durée va augmenter. Le modèle DMP a fait de la courbe de Beveridge un outil de diagnostic largement utilisé pour l'analyse empirique du marché du travail.
La théorie de la recherche et de l'appariement est largement utilisée dans les études théoriques et empiriques sur les effets de l'assurance-chômage. Elle affirme que des prestations plus généreuses entraînent un chômage plus élevé et un temps de recherche d'emploi plus long pour les chômeurs, une relation qui a également reçu un solide soutien empirique. Cette théorie est également devenue très utile pour les analyses de bien-être des conceptions alternatives de l’assurance-chômage. Afin de déterminer la structure de cette assurance, les gains de bien-être qu'elle procure en termes de sécurité des revenus en cas de licenciement doivent aussi être pris en compte. L'assurance peut aussi faciliter l'appariement efficace entre les chômeurs et les postes vacants ("la bonne personne au bon endroit").
La théorie de la recherche s'est imposée comme le modèle prédominant pour considérer les effets des politiques économiques sur le marché du travail. Elle nous permet aussi d'analyser de nombreux autres phénomènes sociaux. »
Académie royale des sciences de Suède, « Markets with search costs », 11 octobre 2010. Traduit par Martin Anota
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