mercredi 7 mars 2012

Qu’ont jamais fait les microfondations pour nous ?

« Dans mon précédent billet sur les microfondations, j'ai exprimé mon désaccord avec Paul Krugman lorsqu'il a déclaré : "À mes yeux, toute la croisade des microfondements repose sur un succès prédictif d'il y a 35 ans ; il n'y a eu aucun résultat significatif depuis". Je dois expliquer pourquoi je ne suis pas d'accord avec lui. Robert Waldmann m'a également interpellé sur ce point.

Je pense que les deux innovations macroéconomiques les plus importantes associées aux microfondations ont été la consommation intertemporelle et les anticipations rationnelles. J'ai déjà évoqué la première dans un précédent billet, qui se penchait sur une énigme spécifique au Royaume-Uni à la fin des années 1980, que je trouve difficile à résoudre sans une perspective de consommation intertemporelle. Cependant, je pense aussi qu'un attachement trop fort à une vision intertemporelle très basique a empêché la macroéconomie d’éclairer certains événements critiques de la dernière décennie (voir John Muellbauer ici, par exemple). Permettez-moi donc de me concentrer sur les anticipations rationnelles. Je pourrais de nouveau prendre l'exemple du Royaume-Uni en 1980-1981 et parler de la surréaction à la Dornbusch, mais je vais sortir de ma paroisse.

Entre l'inflation rapide des années 1970 et la Grande Récession, quels événements les anticipations rationnelles permettent-elles d’expliquer ? Ce n’est pas une question facile, car l'adoption d'anticipations rationnelles ne résultait pas d'un échec empirique antérieur. Elle représentait plutôt, comme l'a dit Lucas, un axiome de cohérence. Cependant, entre les années 1970 et la Grande Récession, il faut expliquer pourquoi rien de très spectaculaire ne s'est produit : la Grande Modération. En particulier, pourquoi la forte hausse des prix du pétrole et des autres matières premières vers 2005 n'a-t-elle pas entraîné le type de stagflation que nous avons connu au milieu des années 1970 et au début des années 1980 ?

Je pense qu'une part importante de la réponse tient au ciblage implicite ou explicite de l'inflation par les banques centrales indépendantes. Son adoption reflétait une compréhension de l'importance des anticipations rationnelles. Si une banque centrale a un objectif d'inflation clair et se forgeait une réputation en l’atteignant, cela ancrerait les anticipations d’inflation et réduirait l'impact des chocs touchant l’économie. De même que les anticipations augmentées à la Friedman, la courbe de Phillips accélérationniste nous a aidés à comprendre ce qui s’est mal passé dans les années 1970, puis la courbe de Phillips nouvelle keynésienne a conduit à une meilleure politique au tournant du siècle.

A présent, pratiquement toute affirmation empirique en macroéconomie est contestable. (Certains y voient d'ailleurs un élément d'attrait de l'approche des microfondements !) Il y a d'autres explications à la faible réaction de l’économie à la hausse des prix du pétrole, même si Blanchard et Gali (2007) soutiennent que la Grande Modération y a joué un rôle important. D'autres pourraient suggérer que la Grande Récession elle-même a prouvé que la Grande Modération était une illusion. Cela ne tient pas. La Grande Modération reposait essentiellement sur le rôle stabilisateur que la politique monétaire peut jouer et cela pourrait être conditionné (comme le montre le cas du Japon) au fait que les taux soient contraints ou non par la borne inférieure zéro. Une idée plus radicale est que la Grande Modération a préparé le terrain pour la crise financière mais, même si c’était le cas, cela ne signifie pas que le ciblage de l'inflation ne constituait pas une amélioration par rapport à la situation antérieure ; il faudrait peut-être simplement faire mieux encore. En effet, si, à la suite de la Grande Récession, les objectifs d'inflation sont remplacés par des objectifs de niveau des prix ou de PIB nominal, je pense que les anticipations rationnelles joueraient un rôle central dans cette évolution. 

Je pense que la macroéconomie aujourd'hui est bien meilleure qu'il y a 40 ans grâce à l'approche des microfondations. J'ai également soutenu dans mon précédent billet qu'une position puriste des microfondations, celle selon laquelle c'est la seule approche valable de la macroéconomie, est une erreur. Les questions intéressantes se situent entre. L'approche des microfondations peut-elle englober toutes les formes d'hétérogénéité, ou ces modèles perdront-ils de leur attrait du fait de leur complexité ? S'en tenir à une simple macroéconomie d’agents représentatifs engendre-t-il un certain biais ? L'approche des microfondations décourage-t-elle l'étude de questions plus "difficiles", mais plus importantes ? Ces deux questions pourraient-elles suggérer un lien entre une vision microéconomique trop simpliste et une incapacité à comprendre la situation avant la crise financière ? Les alternatives à la modélisation avec microfondations sont-elles méthodologiquement cohérentes ? Les données empiriques seront-elles un jour suffisamment robustes et claires pour l'emporter sur la cohérence interne ? Ce sont des questions difficiles et souvent assez subtiles que tout débat simpliste de type "pour ou contre les microfondations" ne ferait qu'obscurcir. »

Simon Wren-Lewis, « What have microfoundations ever done for us? », Mainly Macro (blog), 7 mars 2012. Traduit par Martin Anota

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