lundi 4 juin 2012

Une union monétaire peut-elle fonctionner sans fédération budgétaire ?

« Une union monétaire peut-elle fonctionner sans être une fédération budgétaire ? C’est une question qui a été posée à maintes reprises depuis que le projet de l’union économique et monétaire (UEM) a été lancé. Les économistes considèrent une fédération budgétaire comme un moyen de partager les risques grâce à un (important) budget commun. Le partage du risque permet de lisser les cycles économiques au niveau régional ou national. En l’absence de politique monétaire (et de taux de change), la théorie dit que l’ajustement doit venir soit d’ajustements de prix (la dévaluation interne), de la mobilité de la main-d’œuvre (vers des régions ou pays qui se portent mieux) ou de transferts budgétaires via un budget commun.

En 1998, lorsque l’UEM était sur le point d’être lancée, j’ai écrit un article intitulé "Does EMU need a fiscal federation?". Ma conclusion était que même s’il serait bien d’en avoir une, les coûts de son absence n’étaient pas si élevés (et les coûts de mise en œuvre semblaient trop élevés à ce stade). Le principal argument de cet article était que les cycles économiques se sont tellement synchronisés que les coûts de la perte des politiques monétaires nationales étaient faibles (le risque à assurer au niveau national était limité).

La crise actuelle a-t-elle changé la logique de cette analyse ? Il est clair que cette crise est plus asymétrique que toutes les précédentes dans la zone euro. La récession de 1992-1993 a été très similaire d'un pays à l'autre. Et 2001-2003 a été une période de faible croissance pour certaines de ces économies, mais il n'y a eu de récession profonde dans aucun pays de la zone euro. Mais depuis 2008, nous assistons à une récession très importante et inégalement répartie entre tous les pays de la zone euro. Il ne fait aucun doute que les avantages d'un mécanisme de partage des risques et d'atténuation des cycles économiques nationaux semblent plus importants aujourd'hui que lors des crises précédentes.

Mais dans quelle mesure le risque est-il partagé par le biais d'une fédération budgétaire/un budget commun ? Paul Krugman a fait une comparaison entre la Floride et l'Espagne (deux régions/pays qui ont souffert d'un boom immobilier et qui ont maintenant besoin d'aide) et il estime que la Floride a reçu dans les années 2007-2010 environ 31 milliards de dollars de "Washington" via le budget et programmes fédéraux. Ces fonds sont un "transfert, pas un prêt". L'Espagne n'a reçu aucun transfert significatif de la part des autres pays de la zone euro dans la mesure où le budget de l'UE est limité et peu réactif. 31 milliards de dollars est un montant important, mais je pense que ce chiffre surestime les bénéfices du budget fédéral américain.

Voici ma lecture des mêmes chiffres : la plupart des fonds derrière le chiffre de 31 milliards de dollars proviennent de la baisse des impôts que la Floride a versés au budget fédéral entre 2007 et 2010 : environ 25 milliards de dollars. Mais il n’y a pas de partage des risques (et certainement pas de transfert) si tous les États réduisent leur contribution au budget du même montant. Un rapide coup d’œil aux données montre que les recettes fiscales de la Floride ont diminué de 12 % alors que les recettes fiscales globales ont diminué de 8,4 %. Il y a donc une certaine asymétrie, mais cette asymétrie ne s’élève pas à 25 milliards de dollars. Ce qui se passe, c’est que le gouvernement fédéral enregistre un important déficit. Ce déficit est le principal moyen par lequel les recettes fiscales sont lissées en Floride. Pour cela, vous n’avez pas besoin d’une fédération budgétaire, vous avez simplement besoin d’un gouvernement (national, c’est suffisant) qui soit autorisé à enregistrer ces déficits. La différence entre 8,4 % et 12 % peut être considérée comme un partage des risques, même si cela ne constitue pas un transfert "permanent". A moins que nous ne croyons qu'il s'agit d'un changement permanent du PIB de la Floride, nous nous attendons à ce que ce schéma s'inverse lorsque la croissance de la Floride sera supérieure à la moyenne (ce qui s'est peut-être déjà produit avant 2007). Il s'agit donc d'un transfert en période de crise qui trouve son origine dans un paiement que la Floride a fait au système fédéral pendant les périodes fastes (en supposant encore une fois qu'il s'agisse d'un événement transitoire). En d'autres termes, il s'agit d'une assurance, ce qui est une bonne chose à avoir, mais elle est moins importante que le lissage fourni par le fait que le gouvernement fédéral enregistre un déficit important.

En conclusion, la politique budgétaire contracyclique est bonne, qu'elle soit mise en œuvre au niveau local ou fédéral, et c'est la principale raison de l'importante variation des recettes fiscales en Floride. Oui, il y a en outre un certain partage des risques entre les États (et les allocations chômage sont un meilleur exemple, mais elles devraient également être mesurées par rapport à d'autres États et non de manière isolée), qui ne se produit que via le budget fédéral. Ce mécanisme est en effet absent en Europe. Alors, que peuvent faire les pays-membres de la zone euro en l'absence de fédération budgétaire ? Les pays devraient s’appuyer davantage sur une politique contracyclique classique (ce qu’ils font grâce à des stabilisateurs automatiques plus puissants) et éventuellement recourir à des mécanismes supplémentaires sous forme de prêts (par opposition aux transferts et assurances). Le crédit en période de crise est une autre façon de parvenir à un certain lissage des cycles économiques. Malheureusement, nous faisons le contraire : nous assistons à une combinaison de politiques d’austérité (mues par la foi) et de restrictions d’accès des gouvernements aux marchés financiers. Dans ces circonstances, la politique budgétaire est devenue procyclique, exactement le contraire de ce dont de nombreux pays-membres ont besoin. En l’absence d’une politique budgétaire contracyclique appropriée, tout autre mécanisme, notamment une fédération budgétaire, aurait été d’une grande aide. »

Antonio Fatás, « Fiscal federation or fiscal policy », in Antonio Fatas on the Global Economy (blog), 4 juin 2012. Traduit par Martin Anota 

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