samedi 30 avril 2016

Quand l’Europe a sombré

« Alors que j'étais en train de travailler sur l’économie européenne, je me découvre quelque peu insatisfait par les nombreuses comparaisons entre les Etats-Unis et la zone euro [...]. Pourquoi ? Pour la même raison que vous devez être prudent lorsque vous dressez un portrait pessimiste du Japon : la démographie. 

Dans le cas du Japon, la population en âge de travailler s’est contractée depuis la fin des années 1990 ; lorsque vous prenez en compte cette dynamique démographique, la performance économique du Japon apparaît moins inquiétante que ce que suggère une comparaison brute des taux de croissance. Or, la population âgée entre 15 et 64 ans de la zone euro a (légèrement) décliné depuis 2008, alors que ce n’est pas le cas pour les Etats-Unis (bien que la croissance de la population américaine en âge de travail ait ralenti). Une fois cette dynamique démographique prise en compte, que peut-on dire du portrait économique ? Les performances de l’Europe sont toujours mauvaises, mais pas aussi mauvaises que le suggèrent les comparaisons brutes des taux de croissance : 

PIB réel par adulte en âge de travailler (en indices, base 100 au pic d’avant crise) 

De plus, le décrochage européen ne commence pas immédiatement. Les choses n’ont vraiment mal tourné qu’à partir de 2011-2012, lorsque la reprise des Etats-Unis se poursuivait, alors que l’Europe basculait dans une seconde récession. C’est aussi à cet instant que le taux d’inflation de la zone euro commença à s’éloigner durablement de sa cible ; certes le taux d’inflation des Etats-Unis connaît la même évolution, mais elle n’est pas aussi prononcée : 

Inflation sous-jacente dans la zone euro et aux Etats-Unis (en %) 

Que s’est-il passé en 2011-2012 ? L’Europe s’est lancée dans une austérité massive. Mais c’est aussi ce que firent les Etats-Unis, entre l’expiration de la relance budgétaire et les réductions des dépenses publiques tant au niveau fédéral qu’au niveau local. La grande différence était monétaire : la BCE a relevé de façon précipitée ses taux directeurs en 2011 et son refus de jouer son rôle de prêteur en dernier ressort lorsque la crise de la dette se transforma en assèchement de la liquidité, alors même que la Fed poursuivait un assouplissement agressif. 

La politique économique s’est ensuite améliorée dans la zone euro, avec le "quoiqu’il en coûte" ("whatever it takes") de Mario Draghi qui a stabilisé les marchés obligataires et une atténuation de l’austérité budgétaire. Mais je pense que vous pouvez conclure que les erreurs en termes de politique économique déstabilisèrent l’économie de la zone euro, poussèrent l’inflation vers le bas d’environ un point de pourcentage et déprimèrent durablement l’activité, parce qu’il est réellement difficile de connaître une reprise suite à des erreurs déflationnistes lorsque vous êtes piégé dans une trappe à liquidité. Mais pour être honnête, les Etats-Unis auraient pu prendre un chemin européen aussi si les détracteurs de Bernanke à droite avaient obtenu ce qu’ils voulaient. » 

Paul Krugman, « When Europe stumbled », The Conscience of a Liberal (blog), 30 avril 2016. Traduit par Martin Anota


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