mardi 20 août 2024

Qu’est-il arrivé à l’inflation ?

« La forte inflation au cours des deux premières années du mandat de Joe Biden a eu un impact considérable sur sa popularité et le souvenir de cet épisode inflationniste est probablement la principale raison pour laquelle, du moins jusqu'à récemment, les sondages donnaient à Donald Trump un large avantage en ce qui concerne l'économie.

Mais les sondages les plus récents que j'ai vus montrent que cet avantage s’est considérablement réduit ; il existe même deux enquêtes, l’une menée par le Financial Times et l’enquête régulière du Michigan sur la confiance des consommateurs, qui montrent que la vice-présidente Kamala Harris est un peu plus fiable que Trump pour gérer l’économie à l’avenir.

Cela reflète sûrement en partie le retrait de Biden de la course à la présidentielle ; bien qu'elle ait fait partie de son équipe, Harris pourrait ne pas porter une partie de son fardeau. Mais il est également vrai que, comme Biden l’a souligné dans son discours à la convention lundi soir, l’inflation est en baisse et les électeurs pourraient enfin commencer à le remarquer.

Le changement au cours des deux dernières années a été surprenant. L'inflation des prix à la consommation, qui a culminé à un rythme de 9 %, est désormais inférieure à 3 %. Et le véritable tableau de l’inflation est sans doute encore meilleur. Les chiffres de l’inflation aux États-Unis donnent une forte pondération à que personne ne paie : le loyer imputé des logements occupés par leur propriétaire, qui, entre autres, est très en retard sur les taux de location du marché. Si nous mesurons l’inflation comme le font d’autres pays, sans cette imputation, nous sommes retournés à l’inflation prépandémique.

GRAPHIQUE  Variation de l'indice des prix à la consommation aux Etats-Unis (en %)

source : FRED 

Nous avons donc fait un aller-retour complet en matière d’inflation. Mais qu’est-ce qui l’a réduite ?

Avant d’en arriver là, parlons de deux types de personnes qui refusent de reconnaître cette bonne nouvelle.

Premièrement, il y a (…) ceux qui affirment qu’on ne peut pas se fier aux chiffres officiels et que l’inflation n’est pas vraiment en baisse. En général, les gens qui disent de telles choses n’ont aucune idée de la façon par laquelle le Bureau of Labor Statistics collecte les données sur les prix et à quel point il serait difficile de falsifier les chiffres. Mais au-delà de cela, il y a plusieurs sources indépendantes de données sur l’inflation, qui corroborent toutes pour l’essentiel l’image d’un aller-retour plus ou moins complet de l’inflation.

Les autres grands trouble-fêtes sont ceux qui disent qu’il ne suffit pas de faire baisser l’inflation, le rythme auquel les prix augmentent ; nous devrions ramener le niveau  des prix à ce qu’il était par le passé. Comme beaucoup d’économistes, j’ai essayé, sans grand succès, de montrer que c’était une très mauvaise idée. Mais permettez-moi de réessayer, en parlant des salaires.

Depuis 2019 (année habituellement citée par les gens pour parler des choses quand elles allaient mieux), les prix à la consommation ont augmenté de 22,6 %, ce qui a surpris de nombreuses personnes. Mais le salaire horaire moyen a augmenté de 25,3 %, tandis que les salaires des travailleurs non superviseurs ont augmenté de 28,2 %. Si vous souhaitez voir les prix baisser significativement, êtes-vous également favorable à de fortes baisses de salaires ? (Et comment y parviendriez-vous ?) Si ce n’est pas le cas, comment pensez-vous qu’une baisse importante des prix par rapport aux niveaux actuels pourrait être possible ?

L’inflation s’est ensuite fondamentalement normalisée, ce à quoi nous pouvons raisonnablement nous attendre ; et ramener les prix à leur ancien niveau n’est ni faisable, ni souhaitable.

Mais maintenant que ces deux objections ont été écartées, nous pouvons explorer la question qui se pose alors : comment avons-nous fait baisser l’inflation ?

En 2022, de nombreux économistes (mais pas tous !) pensaient que la désinflation serait un processus extrêmement douloureux, nécessitant des années de chômage très élevé. C’est après tout ce qu’il fallut pour mettre un terme à la forte inflation des années 1970. Mais cette vision pessimiste s’est révélée erronée. Même si le taux de chômage a légèrement augmenté, il reste historiquement bas et pourtant, comme je l’ai dit, l’inflation semble avoir été vaincue. Qu'est-ce qui s'est bien passé ?

La réponse la plus simple et la plus plausible est que la forte inflation a principalement tenu aux perturbations liées à la pandémie de Covid-19. La pandémie a provoqué de grands changements dans la façon dont nous dépensons notre argent et dans notre façon de travailler, et il a fallu du temps pour que l’économie s’adapte. Ces difficultés d’ajustement se sont traduites par des pressions importantes, mais temporaires, sur les chaînes d’approvisionnement, telle qu’elles sont mesurées par un indice construit par la Fed de New York, avec une première bosse au plus fort de la pandémie (vous vous souvenez de la grande panique du papier toilette ?) et un problème plus persistant à mesure que la pandémie s’atténuait et que les dépenses reprenaient.

Les problèmes d’ajustement se sont également traduits par une hausse temporaire du nombre de postes vacants.

Cependant, au fil du temps, les entreprises ont appris à faire face à la nouvelle réalité. Les chaînes d’approvisionnement n’ont pas été bloquées (même si quelqu’un a oublié de le dire à Trump). Les employeurs ont amélioré leur capacité à apparier les travailleurs aux emplois. Et, comme ces problèmes ont été résolus, l’inflation a diminué sans les énormes souffrances que beaucoup avaient prédites.

Il y a, bien sûr, de nombreux détails dans ce récit et de grandes questions sans réponse. En particulier : quel rôle les hausses de taux d’intérêt ont-elles joué dans la désinflation ? La Fed avait-elle vraiment besoin de resserrer ses taux d’intérêt autant qu’elle l’a fait ? Et, est-elle en retard dans la réduction des taux maintenant que l’inflation est en baisse ?

Mais les grandes lignes de ce qui s’est passé semblent claires. Et c’est, entre autres choses, une grande justification pour la Bidenomics.

Au cours de ses premiers mois au pouvoir, Biden a beaucoup dépensé. Les républicains ont bien entendu dénoncé le plan de sauvetage américain. Mais certaines des critiques les plus dures sont venues d’économistes de tendance démocrate : Larry Summers l'a qualifié de politique budgétaire « la moins responsable » depuis quarante ans. À l’origine, ces critiques reflétaient la conviction que les dépenses publiques provoqueraient une forte inflation qui s’enracinerait dans l’économie et finirait par être très difficile à maîtriser.

Mais l’inflation ne s’est en fait pas enracinée. Et, dans l’ensemble, les États-Unis n’ont pas connu dans la période récente, une plus forte inflation que les autres pays riches tout en atteignant une croissance significativement plus élevée.

Les consommateurs ont toujours des opinions très négatives à propos de l'économie, même s'il n’est pas clair que ces opinions négatives nuiront aux démocrates en novembre. Mais, la politique mise de côté, il semble désormais clair que la Bidenomics a plutôt bien fonctionné. »

Paul Krugman, « What happened to inflation », 20 août 2024. Traduit par Martin Anota


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