jeudi 3 juillet 2025

Etats-Unis : les trois gros échecs du projet de loi

« Dans les premières heures du mois de juillet, le Sénat américain a adopté la loi One Big Beautiful Bill Act (OBBB). Le titre de cette loi, aussi bien que son contenu, sont profondément trompeurs. Bien que cette loi soit importante de par son ampleur et ses conséquences, elle est fondamentalement un mélange de mauvaises idées qui a réussi à unir dans son opposition la communauté des experts fiscaux, de droite comme de gauche.

Focalisons-nous sur les trois principaux échecs de ce projet de loi : il alourdit substantiellement la dette fédérale, il alourdit les coûts pour de nombreux ménages et il affaiblit d’importants efforts de collaboration internationale.

Échec n° 1 : l’OBBB accroît la dette fédérale américaine

Premièrement, le projet de loi ajoute des milliers de milliards de dollars aux déficits et à la dette publics, accroissant ainsi la fragilité macroéconomique des États-Unis. Les sénateurs républicains ont tenté de faire "disparaître" l'intégralité des coûts liés à la prolongation des dispositions de la loi Tax Cuts and Jobs Act de 2017 en contournant la procédure parlementaire normale et en adoptant un scénario de référence hybride qui ignore les coûts de la prolongation des politiques passées tout en supposant que les nouvelles politiques temporaires resteront temporaires. Cette farce, qui constitue en soi une inquiétante entorse aux normes budgétaires, n'a finalement pas réussi à camoufler la vérité, comme l'ont souligné la Commission mixte du Congrès sur la taxation, le Congressional Budget Office (CBO) et plusieurs groupes externes qui suivent attentivement les impacts sur le déficit et la dette publics. Selon le CBO, le projet de loi générera plus de 3.000 milliards de dollars de déficits supplémentaires sur 10 ans ; si l'on tient compte des coûts d’intérêts supplémentaires liés au creusement du déficit, le total s'élève à environ 4.000 milliards de dollars.

De plus, les baisses d'impôts sont immédiates, tandis que les réductions de dépenses seront décalées. Si le Congrès décide de se montrer plus généreux à l'avenir en prolongeant les baisses d'impôts temporaires et en annulant les futures réductions de dépenses, comme cela semble en effet probable, le déficit et la dette publics se détérioreront davantage, accroissant potentiellement le ratio dette publique/PIB en 2034 de 117 % sous la loi actuelle à 130 %, soit une hausse de 13 points de pourcentage. Entre le déni de procédure, la prodigalité budgétaire et la perspective de nouveaux précipices budgétaires dès 2028, les marchés obligataires pourraient facilement réagir à ce tableau en prenant en compte des risques budgétaires américains supplémentaires, ce qui augmenterait les coûts d'intérêts pour le gouvernement et les ménages américains.

Quels sont les coûts de ce fiasco budgétaire pour le ménage typique ? Premièrement, comme les coûts d'intérêts du gouvernement augmentent en raison de l’augmentation de la dette publique et des pressions à la hausse sur les taux d'intérêt, une plus grande partie de l'argent des contribuables sera consacrée au paiement des intérêts plutôt qu'à la fourniture de services publics utiles. Deuxièmement, comme de nombreux ménages empruntent pour financer des achats importants (prêts hypothécaires, prêts étudiants et prêts automobiles), la hausse des taux d'intérêt pèsera directement sur leurs ressources, augmentant potentiellement les coûts annuels moyens des prêts hypothécaires de plus de 1.000 dollars. Troisièmement, comme le budget fédéral emprunte excessivement en période de paix et de prospérité relatives, cela laisse moins de marge de manœuvre budgétaire pour faire face à de nouvelles urgences, récessions ou autres priorités budgétaires clés.

Échec n° 2 : l'OBBB augmente les coûts pour de nombreux ménages

Un deuxième défaut majeur de la loi OBBB est son impact sur les ménages tout du long de la répartition des revenus. Les droits de douane actuels du président (qui pourraient augmenter ou diminuer à l'avenir) impliquent déjà des hausses d'impôts qui dépassent les réductions d'impôts prévues par la loi OBBB pour 80 % des ménages américains ; seuls les 10 % des ménages les plus riches y gagnent en net. De plus, l'OBBB augmente les coûts pour de nombreux ménages, réduisant l'accessibilité de l'assurance maladie par des coupes dans Medicaid (mettant en danger l'assurance maladie de millions d'Américains), réduisant l'aide alimentaire et augmentant les coûts énergétiques en supprimant les allégements fiscaux sur les énergies propres.

Les tableaux de répartition ne suffisent pas à nous dire si un projet de loi est une bonne politique. Pourtant, à l'heure actuelle, à la fois les Démocrates et les Républicains semblent reconnaître que de nombreux Américains de la classe moyenne sont en difficulté ; la récente poussée d'inflation de 2021-2023 n'a fait qu’aviver ces inquiétudes. Les priorités budgétaires de l'OBBB se moquent de l'objectif politique d'aider les Américains en difficulté. De plus, les droits de douane du président sont davantage susceptibles d'entraîner des perturbations et des difficultés économiques qu'une revitalisation du secteur manufacturier américain, comme on a pu l’évoquer ailleurs.

Échec n° 3 : l'OBBB affaiblit d'importants efforts de collaboration internationale

Le troisième échec fondamental de l'OBBB est l'abandon complet des efforts de coopération internationale des États-Unis autour des problèmes d'action collective mondiaux. Il y a eu quelques améliorations de dernière minute dans le projet de loi, notamment le retrait d'une proposition de "taxe de vengeance" qui aurait frappé les investissements étrangers et la baisse du taux d'imposition (1 % au lieu de 3,5 ou 5 %) sur les transferts de fonds, mais l’impact global du projet de loi sur la coopération internationale reste négatif. Premièrement, il réduit considérablement les investissements climatiques américains, tout en subventionnant bizarrement l'utilisation du charbon. Parallèlement aux allègements réglementaires de l'administration Trump et à l’explosion de la consommation d'énergie due à l'intelligence artificielle, les efforts américains de réduction des émissions de gaz à effet de serre se détériorent considérablement, éloignant davantage encore des engagements pris par les États-Unis dans le cadre de l'Accord de Paris. (Le gouvernement américain s'est également retiré, de nouveau, de l'Accord de Paris et ce retrait sera effectif à partir de 2026.)

L'OBBB affaiblit aussi la coopération fiscale internationale. Les réductions nettes d'impôts internationaux prévues par la loi s'élèvent à environ 165 milliards de dollars, allégeant davantage encore les contraintes qui pèsent sur le transfert de bénéfices offshore des sociétés américaines. De plus, la suppression de l'impôt sur les investissements étrangers proposé au titre de l'article 899 (parfois qualifié d'"impôt de vengeance" dans la mesure où il cible les pays partenaires avec des instruments fiscaux particuliers) était conditionnée à un accord avec d'autres pays du G7 qui affaiblit plus largement la coopération fiscale internationale. Cet accord vise à créer un système à double voie, donnant aux multinationales américaines des règles plus favorables que celles des entreprises basées dans d'autres pays. Il n’est pas évident que la communauté internationale accepte ce compromis, mais il marque bien un net recul pour la coopération fiscale internationale.

Alors qu’une réduction de la charge fiscale des multinationales américaines peut sembler être une bonne chose pour les actionnaires américains, elle est très problématique pour les gouvernements qui cherchent à mettre en place des systèmes fiscaux plus équitables qui puissent atteindre les revenus du capital internationaux mobiles (souvent non imposés au niveau individuel). L'accord fiscal international s'appuie sur des décennies de travail visant à garantir que les revenus des multinationales mobiles soient imposés à un niveau minimum (15 %) ; comme indiqué ailleurs, la mise en place de systèmes fiscaux plus équitables est un élément important de la structuration de la mondialisation afin qu'elle puisse bénéficier aux citoyens ordinaires.

Il y a d'autres aspects préoccupants du projet de loi, trop nombreux pour être énumérés ici. Mais les trois évoqués ci-dessus sont particulièrement problématiques. L'abandon de la responsabilité budgétaire avec l'OBBB crée une fragilité macroéconomique additionnelle en exerçant des pressions à la hausse sur les taux d'intérêt, en risquant d'accroître les primes de risque sur les marchés mondiaux pour la dette américaine et en détériorant davantage les perceptions quant à la stabilité macroéconomique des États-Unis. Les changements régressifs de la politique fiscale (avec les droits de douane et la loi OBBB) aggravent la situation de la vaste majorité des Américains, un programme politique en contradiction avec une réelle préoccupation pour les Américains qui rencontrent des difficultés financières. Enfin, le retrait des problèmes d'action collective mondiaux (le changement climatique et la coopération fiscale internationale) n'est malheureusement qu'un pan d’un schéma plus large de déclin du leadership des Etats-Unis, un schéma qui inclut des guerres commerciales indiscriminées avec presque tous leurs partenaires, la suppression de l'aide étrangère américaine à certaines des populations les plus vulnérables au monde et le retrait des efforts de collaboration en matière de santé publique et de recherche scientifique. »

Kimberly Clausing, « Three ways the big budget bill fails Americans », PIIE, Realtime Economics (blog), 2 juillet 2025. Traduit par Martin Anota


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« Quelles ont été les conséquences de la guerre commerciale de Trump pour les Etats-Unis ? »

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