« Le discours prononcé par Larry Summers lors d'une récente conférence du FMI a suscité beaucoup de commentaires. Alors que certains ont dit que ses idées n’étaient pas complètement nouvelles, la façon par laquelle il les a assemblées pour dresser un portrait relativement pessimiste de l’économie américaine a soulevé un débat sur la possibilité d’une stagnation séculaire (cf. par exemple Paul Krugman). La stagnation séculaire se réfère au fait que certaines des pertes de production provoquées par la crise sont devenues permanentes, si bien que l'économie ne reviendra jamais à la tendance précédente.
Mais il y avait quelque chose d'autre dont Larry Summers a parlé et que je trouve tout aussi intéressant : il a évoqué le fait que dans les précédentes expansions l'économie américaine a à peine réussi à atteindre le plein emploi, malgré l'existence de bulles massives et d’excès. Cela conduit aussi à considérer avec pessimisme ces dernières années et ce pas tellement en raison de ce qui s'est passé après 2008, mais de ce qui s'est passé avant 2008.
Voici quelques données et une explication qui devraient vous faire partager ce pessimisme : c’est un fait bien établi que les taux d'intérêt réels mondiaux que l’on a pu observer au cours de la dernière expansion (2001-2007) étaient très faibles au regard des normes historiques. Le principal candidat pour expliquer la faiblesse des taux d'intérêt réels est l'excès d'épargne (saving glut) dont Ben Bernanke a parlé dans son discours de 2005 pour décrire l’abondante épargne en provenance d'Asie, de l'Allemagne, du Japon et des pays producteurs de pétrole. Comme l’épargne s’accroissait, le taux d'intérêt mondial a chuté. Dans d'autres pays (comme les États-Unis et certains pays européens), cela a conduit à une augmentation des dépenses et des emprunts qui s’est traduite par l’accroissement des déséquilibres mondiaux.
Mais si ce que nous avons vu au cours de ces années fut un accroissement de l'épargne qui a entraîné une baisse des taux d'intérêt, nous devrions observer une hausse de l’investissement (comme l’offre se déplace, nous nous déplaçons le long d'une courbe de demande décroissante pour trouver le nouveau prix d'équilibre). Et si l'investissement augmente, nous devrions observer une hausse du taux de croissance. Mais rien de tout cela n’est arrivé. En fait, non seulement l'investissement n'a pas augmenté, mais il est inférieur à ce qu'il était au cours des précédentes expansions, comme indiqué dans le graphique ci-dessous (les données portent sur l'économie américaine).
Lorsque l'on compare les quatre dernières expansions de l'économie américaine, nous pouvons voir que, même si le taux d'intérêt réel a continué à diminuer (en particulier durant l'expansion de 2001 à 2007), les taux d'investissement sont restés stables ou ont même baissé. J'ai inclus l'expansion actuelle dans le graphique, bien qu’elle ne soit pas comparable aux autres, dans la mesure où elle n’est pas encore finie.
Qu'est-il arrivé à l'investissement ? Pourquoi n’a-t-il pas augmenté alors même que les taux d'intérêt réels ont baissé et la masse d’épargne augmentait ? Je ne suis pas sûr que nous ayons une réponse à ces questions, mais ce que les données suggèrent, c'est que nous ne sommes pas seulement confrontés aux répercussions d'une profonde récession et que nous devrions également nous préoccuper de la robustesse de la reprise sur la base de la faiblesse de l'investissement au cours de la précédente expansion (une fois que l’on prend en compte le faible niveau des taux d'intérêt). »
Antonio Fatás, « Bubbles, interest rates and full employment », Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 19 novembre 2013. Traduit par Martin Anota
Aller plus loin…
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