mercredi 1 octobre 2014

Les cicatrices permanentes de l’austérité budgétaire

« L’impact de la consolidation budgétaire sur la croissance du PIB a probablement suscité plus de controverses que n’importe quel autre débat depuis le début de la crise financière mondiale de 2008. Quelle a été la taille des multiplicateurs budgétaires ? La contraction des dépenses publiques peut-elle stimuler l’économie ? Il y a bientôt deux ans, Olivier Blanchard et Daniel Leigh, deux économistes du FMI, publièrent un document de travail où ils affirmaient que les organisations internationales, le FMI inclus, avaient sous-estimé la taille des multiplicateurs budgétaires. Ils affirmaient que le vrai multiplicateur n’ait pas de 0,5, comme on le supposait jusqu’alors, mais plutôt d’environ 1,5 : en d’autres termes, un dollar de dépense publique en moins se traduirait par une baisse du PIB de 1,5 dollar. 

Alors que ce chiffre est déjà élevé, il est possible que les véritables coûts des consolidations budgétaires soient encore plus larges. Dans une étude que je suis en train de préparer, j’observe les effets que les consolidations budgétaires peuvent avoir sur le PIB potentiel. Pourquoi ce sujet est-il intéressant ? Parce qu’au cours des cinq dernières années nous avons fortement révisé à la baisse le niveau (et, dans plusieurs cas, le taux de croissance) de la production potentielle pour les pays qui ont embrassé l’austérité budgétaire. Et même s’il est justifié de réduire les ratios d’endettement, les plans d’austérité ont été excessifs et l’observation des données empiriques nous démontre que la contraction cyclique de l’activité mène à une révision à la baisse des prévisions du PIB de long terme (chose dont j’ai déjà parlée dans mon précédent billet). 

Pour démontrer cela, je réplique l’analyse de Blanchard et Leigh, mais au lieu d’utiliser l’erreur de prévision sur la croissance de la production, j’ai utilisé l’erreur de prévision sur les variations de la production potentielle. […] Je prends les Perspectives de l’économie mondiale publiées par le FMI en avril 2010 et je calcule, d’une part, la consolidation budgétaire prévue au cours des deux années suivantes (en l’occurrence 2010 et 2011) et, d’autre part, la variation attendue de la production potentielle au cours de cette même période. 

Je regarde alors la variation effective de la production potentielle au cours de ces deux années, telle qu’elle est présentée dans les Perspectives de l’économie mondiale du FMI d’avril 2014. En comparant ce graphique avec la prévision faite en avril 2010, nous pouvons calculer pour chaque pays l’erreur de prévision associées à la croissance de la production.

La plupart des modèles supposent qu’il ne devrait pas y avoir de corrélation entre ces deux chiffres. Les consolidations budgétaires affectent la production à court terme, mais pas à long terme. Mais sous certaines hypothèses (par exemple les effets d’hystérésis ou les répercussions des cycles d’affaires sur la croissance), la conjoncture peut avoir un effet permanent sur la production potentielle (j’ai également parlé de ça ici). Donc, que nous montrent les données empiriques ?

Si nous incluons tous les pays européens qui font partie du groupe des pays avancés tels que les définit le FMI, nous obtenons la relation dépeinte dans le graphique ci-dessus. Il y a une forte corrélation entre deux variables : les consolidations budgétaires ont entraîné de larges variations de nos estimations de la production potentielle. Le coefficient (fortement significatif d’un point de vue statistique) s’élève à environ -0,75. 

Juste pour comparer, et revenir à l’étude originelle de Blanchard et de Leigh, le coefficient de la croissance de la production (courante, et non potentielle) est autour de -1,1. Parce que la prévision de la croissance de la production inclut déjà un multiplicateur autour de 0,5, l’interprétation de Blanchard et de Leigh est que le FMI a sous-estimé les multiplicateurs : au lieu de 0,5, le vrai chiffre est de 1,6. Dans ma régression, le multiplicateur théorique construit à partir du modèle du FMI doit être nul, ce qui signifie que le vrai multiplicateur de long terme est juste le coefficient de la régression, soit environ 0,7. Mais ce chiffre est élevé et il fournit des preuves empiriques en faveur de Brad DeLong et Larry Summers qui affirmaient que les contractions budgétaires peuvent entraîner un accroissement de la dette publique via les effets permanents qu’elles exercent sur la production potentielle. 

La corrélation ci-dessus soulève plusieurs questions intéressantes : Quels sont les mécanismes à travers lesquels la production potentielle se trouve affectée ? La production potentielle change-t-elle vraiment ou est-ce seulement notre perception de la croissance de long terme ? J’espère répondre à toutes ces questions en développant cette analyse succincte dans un véritable article. A suivre donc. » 

Antonio Fatás, « The permanent scars of fiscal consolidation », Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 1er octobre 2014. Traduit par Martin Anota 


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