mardi 2 septembre 2025

La véritable inquiétude budgétaire que nous devrions avoir devrait être celle de voir arriver un gouvernement populiste

« De nos jours, on entend souvent des histoires alarmistes à propos de la politique budgétaire du Royaume-Uni. La dernière en date est l'idée que le Royaume-Uni pourrait avoir à solliciter l'aide du FMI. C'est bien sûr absurde. Le gouvernement britannique ne peut pas se retrouver à court d'argent, parce qu’il peut créer des réserves, comme il le fit lorsque les marchés obligataires mondiaux se sont asséchés au début de la pandémie. Le ratio dette publique/PIB a fortement augmenté en raison de la crise financière mondiale, de l'austérité et de la pandémie, mais il reste toujours inférieur aux niveaux observés entre 1917 et 1960.

Mais, comme c'est souvent le cas, il y a une part de vérité derrière cette inquiétude. L'inflation baisse plus lentement au Royaume-Uni qu'aux États-Unis et en Europe (même si les droits de douane et les expulsions font que l’inflation est susceptible d’augmenter de nouveau aux États-Unis). C'est l'une des raisons pour lesquelles les taux d'intérêt sur la dette publique restent assez élevés au Royaume-Uni.

Alors que les taux actuels (fin août) des obligations d'État britanniques à 10 ans sont de 4,7 %, ils sont de 4,2 % pour les États-Unis, de 3,5 % pour la France et de 2,7 % pour l'Allemagne.

Cela est important en partie parce que cela signifie que le gouvernement doit payer des taux d’intérêt plus élevés sur la dette qu'il émet et que des paiements d'intérêts plus élevés sur la dette signifient soit plus d'impôts, soit moins de fonds pour les dépenses publiques. […] C'est également important parce que les autres taux d'intérêt de long terme de l'économie sont influencés par les taux d’intérêt des obligations, si bien que des taux obligataires plus élevés signifient des taux hypothécaires plus élevés, un coût d'emprunt plus élevé pour les entreprises, etc. […]

Mais il existe un autre facteur potentiel qui devrait entraîner une hausse des taux obligataires au Royaume-Uni au-delà du court terme : la menace d’un gouvernement populiste. Il y a trois raisons pour lesquelles la perspective d’un gouvernement populiste devrait entraîner une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique de long terme. La première concerne l’indépendance de la banque centrale. Les populistes (par définition, au sens où j’utilise ce terme) n’aiment pas les institutions qui sont indépendantes d’eux, mais qui peuvent pourtant prendre des décisions qui les influencent. Les populistes prennent aussi souvent (mais pas toujours) des décisions économiques stupides, comme baisser les taux d’intérêt lorsque l’inflation est susceptible d’augmenter.

C'est très important pour quiconque qui envisage d'acheter une obligation d'État dont la valeur est fixée en termes nominaux (comme c'est le cas pour la plupart de ces titres). Une période d'inflation réduira la valeur réelle de cette obligation, donc quiconque qui l'achètera aura donc besoin d'un taux d'intérêt plus élevé pour compenser ce risque. Trump est un bon exemple ici. Il a explicitement déclaré qu'il pensait que les taux d'intérêt devraient être plus bas parce que (selon lui) l’économie est en plein boom, une idée qui vous amènerait à rater un examen de première année de licence d'économie. Actuellement, une banque centrale indépendante contrôle les taux d'intérêt américains, mais Trump souhaiterait remplacer les décideurs actuels par des personnes qui obéiraient à ses ordres (ce qui mettrait ainsi fin à l'indépendance de la banque centrale américaine).

Lorsque Trump a tenté de limoger Lisa Cook, une gouverneure de la Fed, sous un prétexte inventé, cela a été perçu comme une intensification de sa tentative de prise de contrôle de la banque centrale américaine. La réaction des marchés a suivi l'analyse ci-dessus. Les taux d’intérêt sur la dette publique de court terme ont baissé, car Trump souhaite des taux plus bas. En revanche, les taux d'intérêt sur la dette publique américaine de plus long terme ont augmenté en raison des perspectives d'une inflation plus élevée (couplée au fait que quelqu'un, à un certain moment, relèvera les taux d'intérêt pour maîtriser cette inflation).

La deuxième raison pour laquelle les marchés obligataires devraient vraiment s'inquiéter d'un gouvernement populiste est le défaut de paiement. Un gouvernement normal au Royaume-Uni et aux Etats-Unis ne choisirait jamais de faire défaut, parce que les coûts politiques d'une telle décision dépassent largement le coût du service de la dette. De plus, comme noté ci-dessus, un gouvernement britannique ou américain ne peut être forcé à faire défaut. Un gouvernement populiste, en revanche, est une autre affaire. Il est bien plus concevable qu'un populiste au pouvoir choisisse de faire défaut sur la dette publique, même si une réduction de la dette réelle par une inflation plus élevée reste plus probable. Même une très faible probabilité de défaut nécessiterait des taux d'intérêt significativement plus élevés sur la dette publique pour compenser, comme nous l'avons vu lors de la crise de l'euro.

La troisième raison pour laquelle les gouvernements populistes sont susceptibles d'entraîner une hausse des taux d'intérêt sur la dette publique est qu'ils ont tendance à faire des promesses économiques qui ne peuvent être tenues que par des déficits budgétaires plus élevés. Des déficits plus importants vont avoir tendance à faire grimper les taux d'intérêt, non pas parce qu'ils augmentent les risques de défaut de paiement (voir ci-dessus), mais parce qu'ils stimulent la demande, ce qui nécessite des taux d’intérêt plus élevés pour compenser son impact sur l'inflation.

L'exemple de Trump soulève toutefois une question. Compte tenu de ses menaces claires à l’encontre de l'indépendance de la banque centrale, du fait qu’il ait flirté avec l'idée d'un défaut de paiement partiel et du fait qu’il ait augmenté le déficit en accordant des baisses d’impôts aux riches, pourquoi les taux d'intérêt sur la dette publique américaine ne sont-ils pas encore plus élevés ? Une réponse est de dire que les États-Unis sont particuliers et qu'il y aura toujours une demande internationale pour la dette publique américaine. Paul Krugman a une réponse différente : les marchés ne réalisent généralement les risques de crise que lorsqu’elle est imminente.

Dans ce qui est maintenant le bruit permanent d’histoires d’horreur à propos de la politique budgétaire britannique, il y a deux types. Le premier est la pensée magique de l'extrême droite. […]

Le deuxième groupe, plus intéressant, regroupe des économistes plus réputés et bien intentionnés, qui soulèvent parfois des questions légitimes. Mais il y a toujours un danger pour les économistes : ils se concentrent sur les détails économiques tout en ignorant les grands enjeux politiques. Si vous vous inquiétez du niveau de la dette ou des intérêts sur la dette au Royaume-Uni et souhaitez une baisse du ratio dette/PIB, alors se concentrer sur les règles budgétaires ou des solutions institutionnelles ne servira à rien tant que deux problèmes politiques majeurs subsisteront.

Le premier problème, comme je l'ai déjà mentionné, est la possibilité, voire la probabilité, qu'un gouvernement populiste de droite prenne le pouvoir au cours de la prochaine décennie. Non seulement ce gouvernement ignorera ou rejettera probablement toute règle ou institution budgétaire, mais il est également susceptible d'accroître grandement le déficit budgétaire, simplement pour son propre intérêt politique. Sous un gouvernement populiste de droite, les inquiétudes actuelles à propos de la soutenabilité budgétaire du Royaume-Uni paraîtront plutôt ridicules.

Le deuxième problème, lié au premier, est qu'au Royaume-Uni toute alternative à un gouvernement populiste semble incapable d'augmenter l'impôt sur le revenu. Qualifier ces gouvernements de lâches revient à passer à côté de l'essentiel : il y a une croyance politique générale selon laquelle ne pas s'engager à maintenir les taux d'imposition du revenu actuels a un coût électoral significatif. Il y a deux possibilités. La première est que cette croyance est erronée. La seconde est que nous avons un système politico-médiatique qui permet à assez d'électeurs de croire qu'ils peuvent bénéficier à la fois d'impôts plus bas et de dépenses publiques plus élevées. Il faut redoubler d'efforts pour démontrer que si nous voulons un niveau de services publics similaire à celui de nos voisins d'Europe occidentale, nous devons cesser d'avoir un niveau d'impôts inférieur à celui de nos voisins d'Europe occidentale.

Simon Wren-Lewis, « The real fiscal concern should be a populist government », Mainly Macro (blog), 2 septembre 2025. Traduit par Martin Anota

 

Aller plus loin…

« Les conséquences économiques du populisme » 

« L’insécurité économique explique-t-elle la montée du populisme de droite ? » 

« Pourquoi la mondialisation alimente-t-elle le populisme ? » 

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