« Il n'est pas difficile de trouver des preuves de l’ample excédent commercial de la Chine.
Les exportations d’automobiles chinoises ont fortement augmenté, elles dépassent largement les 6 millions de véhicules (soit environ un dixième du marché automobile mondial en dehors de la Chine) et elles devraient atteindre 8 millions d'exportations de voitures particulières en 2026.
Ce chiffre dépasse largement l'excédent du précédent champion mondial des exportations (exportweltmeister) d’automobiles, à savoir le Japon. BYD, le principal constructeur chinois de véhicules électriques, entend exploiter à plein sa nouvelle flotte de transporteurs de voitures. L'entreprise est en bonne voie pour exporter un million de véhicules électriques et hybrides rechargeables en 2025 et elle ambitionne d'exporter à terme cinq millions de voitures (un chiffre impressionnant), soit environ un million de plus que le Japon.
La Chine domine bien sûr toute une gamme de catégories d'exportation de technologies propres : cellules de batteries, panneaux photovoltaïques, et ainsi de suite.
D'après les données du FMI sur le volume du commerce mondial de marchandises, les exportations chinoises ont progressé de 40 % en volume depuis fin 2019, tandis que les importations n'ont augmenté que de 1 %. Cela implique, incidemment, une contribution des exportations nettes à la croissance de plus d'un point de pourcentage par an sur cette période – un chiffre impressionnant (les exportations représentaient l’équivalent de 17 % du PIB au début de ce boom, donc le calcul est simple ici, même s'il ne correspond pas exactement aux données du PIB chinois).
L'excédent commercial de la Chine dans le secteur manufacturier, selon les données douanières chinoises, dépasse désormais largement les 2 000 milliards de dollars. Cela représente l’équivalent de 10,5 % du PIB chinois.
C’est l’équivalent de plus de 2 % du PIB mondial, un excédent qui dépasse largement les excédents combinés de l'Allemagne et du Japon à leur pic.
L'excédent commercial de la Chine, dans tous les biens, s'élève désormais à 1 200 milliards de dollars, selon les données douanières chinoises, après une augmentation d'environ 800 milliards de dollars au cours des cinq dernières années. Cet excédent représente l’équivalent de 6 % du PIB chinois et plus de 1 % des PIB cumulés de ses partenaires commerciaux.
Cela signifie que l'excédent commercial de la Chine dépasse largement celui de l'Europe, surtout si l'on fait abstraction de la contribution disproportionnée de l'Irlande […].
Les données du CPB néerlandais sur les volumes exportés montrent que la croissance des volumes exportés de la Chine dépasse celle du commerce mondial, la Chine gagnant rapidement des parts de marché sur l'Europe.
Il ne fait donc aucun doute que les déséquilibres des paiements internationaux sont de retour et qu'ils sont désormais énormes. De plus, la croissance du pays affichant le plus grand excédent commercial, à savoir la Chine, repose fortement sur ses exportations nettes – une trajectoire qui laisse présager des déséquilibres plus importants et davantage de tensions commerciales à terme. La BCE explique ce phénomène par une insuffisance de la demande domestique chinoise, ce qui fait sens. La Chine a une ample marge de manœuvre pour satisfaire la demande étrangère grâce à des capacités de production non utilisées pour répondre à sa propre demande. Et la faiblesse de l'économie nationale s’est traduite par de faibles taux d’intérêt sur l'épargne chinoise et un renminbi relativement faible (bien que les banques publiques doivent désormais intervenir pour maintenir le yuan à un niveau extrêmement bas).
Les Français ont reconnu le risque que représente pour l'Europe l'excédent commercial croissant de la Chine et ils souhaitent mettre en avant les déséquilibres dans l’agenda du prochain sommet du G7. Les Allemands ont de nombreuses raisons de penser qu'il s'agit d'une excellente idée, compte tenu de l'impact des exportations chinoises sur le tissu industriel allemand.
Pourtant, malgré des preuves accablantes d'une hausse massive des exportations chinoises ces cinq dernières années (en valeur absolue et relativement aux importations), le FMI a des difficultés à cerner clairement la contribution disproportionnée de la Chine aux déséquilibres mondiaux. En effet, le FMI se base exclusivement sur les excédents et déficits des comptes courants déclarés par les pays pour évaluer l'ampleur des déséquilibres de la balance des paiements extérieurs. Et l'excédent du compte courant de la Chine, rapporté à son PIB, est précisément le chiffre qui n'a pas vraiment explosé.
Certes, l'excédent commercial déclaré de la balance des paiements courants de la Chine a atteint 420 milliards de dollars en 2024, en légère hausse par rapport à 2023. Il a atteint l’équivalent de 2,2 % du PIB chinois, un chiffre qui a permis au FMI d'affirmer que la Chine a désormais un déséquilibre excessif. Mais cet excédent était en réalité légèrement supérieur à la norme estimée de la balance des paiements courants de la Chine et la hausse de 1,5 point de pourcentage de l’excédent enregistrée depuis 2019 n'est pas gigantesque. De plus, les prévisions du FMI (notamment celles de l’External Sector Report de juillet et des Perspectives de l'économie mondiale d'octobre) indiquent que l'excédent commercial de la Chine devrait retomber sous les 2 % du PIB. Pour des raisons connues du seul FMI, il est peu probable que l'excédent de 2025 se maintienne.
Cela signifie que, selon les indicateurs utilisés par le FMI, la Chine ne semble pas avoir un excédent si important.
L'excédent du Japon est plus important en proportion de son PIB, celui de la Corée est plus important en proportion de son PIB et celui de l'Allemagne est plus important en proportion de son PIB. Même l'excédent de l'UE en 2024 était plus important en proportion de son PIB : 2,6 % du PIB contre 2,2 % du PIB.
Cela signifie aussi que, dans une grande partie des analyses du FMI (cf. le staff report de 2024), l'excédent extérieur de la Chine peut être ignoré (il est à peine supérieur à ce qu'il devrait être et selon les prévisions il devrait disparaître presque miraculeusement sans aucun changement significatif de la politique chinoise). Ce jugement pose de sérieux problèmes dans les recommandations du FMI concernant la Chine : en particulier, il a permis au FMI de définir le problème de la Chine comme un déséquilibre interne (déflation, faible croissance de l'emploi) et non comme une combinaison de déséquilibre interne et de déséquilibre externe.
La solution préférée du FMI face aux pressions déflationnistes en Asie, notamment en Chine, est généralement l’assouplissement monétaire, qui tend à déprécier la monnaie et à accroître l'excédent extérieur.
La réponse appropriée à une insuffisance de la demande qui entraîne une déflation et un excédent commercial croissant consiste toutefois à s’appuyer sur une expansion budgétaire soutenue – quelque chose que le FMI rechigne à recommander à la Chine (malgré un bilan du gouvernement central solide et une dette nette limitée).
Mais tant que l'excédent extérieur de la Chine paraît faible selon le seul indicateur que le FMI utilise, ce dernier n'a pas à prendre de décision difficile : il peut recommander des politiques qui amènent en définitive la Chine à exporter pour sortir de sa crise immobilière, et ce en toute bonne conscience.
Il n’a pas à arriver à la conclusion plus difficile que la Chine a épuisé sa capacité à puiser dans la demande extérieure pour compenser sa faiblesse intérieure et donc il n’a pas à préconiser une expansion budgétaire (financée au niveau du gouvernement central) qui soutienne la demande.
Jusqu'à présent, le FMI s'est montré disposé à réclamer une recapitalisation du secteur bancaire pour assurer l'achèvement des appartements inachevés (mais déjà vendus), mais pas une expansion financée par le déficit de la protection sociale chinoise (pour être exact, le FMI souhaite des réformes structurelles stimulant la consommation, mais il rechigne à appeler à un déficit budgétaire structurel plus important pour financer un plus large filet de sécurité sociale).
Mais l’excédent du compte courant de la Chine, mal mesuré et sous-estimé, a également un second effet : il signifie que l’analyse que le FMI fait des déséquilibres des paiements mondiaux ne se concentre pas correctement sur l’Asie de l’Est.
Je ne sais pas combien de fois j’ai entendu que l'excédent commercial de l'Europe est presque aussi important que celui de la Chine et qu’il est par conséquent injustifié de se focaliser seulement sur ce dernier. Ce n'est pas vraiment le cas, du moins pas selon les données commerciales fiables : l'excédent commercial de la Chine est massif et il augmente, tandis que celui de l'Europe disparaît si des ajustements sont faits pour corriger l'excédent commercial irlandais, qui tient avant tout à des jeux fiscaux.
C’est en grande partie parce que la Chine a pris des parts de marché de l'Europe dans de nombreux secteurs industriels. Cela s’est traduit par la contraction des exportations allemandes, ainsi que par une croissance des exportations chinoises bien plus rapide que celle du commerce mondial, tandis que les volumes exportés par l’Europe diminuent et restent bien en-deçà à la croissance globale du commerce mondial.
Je ne détaillerai pas les raisons pour lesquelles les chiffres officiels de l’excédent courant chinois est artificiellement réduit. Il suffit de dire que sa méthode de calcul de la balance des paiements de 2022 réduit comme par magie l'excédent des biens de plus d'un point de pourcentage du PIB et que le mystérieux déficit de revenus (malgré une position nette d'investissement international positive de près de 4 000 milliards de dollars) ampute cet excédent d'un autre point de pourcentage .
Mais le résultat de ces manipulations statistiques est plutôt problématique s'il empêche le FMI (et d'autres) de reconnaître à quel point le modèle de croissance actuel de la Chine pose problème au reste du monde.
Autrement dit, il est parfois opportun d'observer le flux des porte-conteneurs et des navires transportant des véhicules, et de ne pas se fier uniquement aux données chinoises. »
Brad W. Setser, « China’s massive surplus is everywhere (yet the IMF still has trouble seeing It clearly) », Follow the Money (blog), 12 novembre 2025. Traduit par Martin Anota




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