« Le président Donald Trump tente de limoger Lisa Cook, gouverneure de la Réserve fédérale, première femme noire à occuper ce poste. Il n'a probablement pas l'autorité légale pour le faire, mais c’est aux tribunaux de décider. Quoi qu'il en soit, cette mesure sans précédent de la part d'un président américain menace directement l'indépendance de la Fed, et en conséquence la stabilité de l'économie américaine.
Nous tenons l'indépendance des banques centrales pour acquise, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Jusqu'à la fin des années 1980, l'indépendance des banques centrales était une rare exception (essentiellement en Suisse, en Allemagne de l'Ouest et aux États-Unis), non la règle. Mais depuis lors, elle domine à la fois la pensée et la pratique à travers le monde.
Il y a déjà eu des attaques à l’encontre de l'indépendance des banques centrales auparavant, aux États-Unis et dans d'autres pays, et les conséquences économiques ont souvent été graves. Aux États-Unis, l'exemple le plus flagrant d’une soumission de la Réserve fédérale aux exigences des politiciens est peut-être la situation l'élection présidentielle de 1972, lorsque le président de l'époque, Richard Nixon, et le président de la Fed, Arthur Burns, se sont coordonnés pour assouplir les politiques budgétaire et monétaire en tandem pour stimuler l'économie et, par conséquent, accroître les chances de réélection de Nixon. Cela a fonctionné politiquement, mais pour contenir les pressions inflationnistes que ces actions ont déchaînées le président a été contraint de mettre en place en 1971 le seul contrôle des salaires et des prix en temps de paix de l'histoire des États-Unis. Ce fut un désastre.
Il est injuste d'imputer à Burns et à ses collègues la responsabilité de toute l'inflation extraordinaire qui a suivi. Les chocs d'offre, notamment liés aux prix alimentaires et énergétiques, ont été d’importants déterminants de l'inflation à partir de 1972. Ironiquement, l'économie américaine fait aujourd’hui face à plusieurs chocs d'offre potentiels, avec les droits de douane, la possibilité que la politique d'expulsion actuelle contracte l'offre de main-d'œuvre américaine et même la possibilité que les guerres en Ukraine et au Moyen-Orient affectent les prix du pétrole.
La politique monétaire est le principal outil de lutte contre l'inflation. Alors que la politique budgétaire peut stimuler la demande globale, elle est moins efficace pour freiner l'inflation et n'est pratiquement jamais utilisée à cette fin. Que se passera-t-il si nous faisons face à une forte inflation et que la Réserve fédérale n’y répond pas en resserrant sa politique monétaire ?
Là aussi, nous devons regarder le passé pour en avoir une idée. Des années après le policy mix expansionniste malavisé et coordonné des politiques budgétaire et monétaire du début des années 1970, Paul Volcker, le célèbre faucon anti-inflation, fut nommé à la tête de la Fed et entreprit de lutter contre l'inflation en fixant les taux d'intérêt à un niveau élevé. Le prix de la maîtrise de l'inflation a été la double récession de 1980 et 1981-1982, causée en grande partie par le resserrement monétaire. Les politiques de Volcker furent efficaces et restaurèrent la crédibilité anti-inflation de la Fed. Mais la souffrance était palpable.
Les chocs d'offre des années 1970 et 1980 étaient bien sûr mondiaux. Les récessions qui ont suivi l’ont donc été également. Les chocs d'offre actuels aux États-Unis (liés aux droits de douane et à la contraction de la population active) ont, en revanche, une origine principalement domestique. Si le président Trump réussit sa campagne visant à éviscérer la Fed, notre principal rempart contre l'inflation sera affaibli, se ce n’est détruit.
L’ancien président de la Fed, Ben Bernanke, a résumé succinctement le danger d’une Fed politisée dans un discours qu’il a donné en 2010 : "Les responsables de la banque centrale sujette à une influence politique à court terme peuvent subir des pressions pour stimuler excessivement l'économie afin de générer des gains en termes de production et d'emploi à court terme qui excèdent le potentiel sous-jacent de l'économie. De tels gains peuvent être populaires au départ, et donc utiles lors d'une campagne électorale, mais ils ne sont pas soutenables et s'évaporent rapidement, ne laissant derrière eux que des pressions inflationnistes qui détériorent les perspectives économiques de long terme. Ainsi, l'ingérence politique dans la politique monétaire peut engendrer des cycles de boom-récession indésirables qui fragilisent en définitive l'économie et alimentent l'inflation".
Le Comité de l'Open Market de la Réserve fédérale est technocratique, pas politique. Les sept gouverneurs sont nommés selon le processus habituel de nomination politique : nominés par le président et confirmés par le Sénat américain. Mais on attend d'eux qu'ils laissent leurs opinions politiques de côté, ce qu'ils font généralement. Les douze présidents des banques de réserve régionales ne sont pas nommés politiquement.
Ces technocrates fondent leurs décisions en matière de taux d'intérêt sur des données, sur des théories et sur des leçons tirées de l’Histoire, et non sur des calculs politiques. Cela ne signifie pas qu'ils ne se trompent jamais. Mais cela signifie que les erreurs de la Fed ne visent pas à aider le parti au pouvoir, ce qui signifie généralement de fixer des taux d'intérêt plus bas quoi qu'il arrive. Le président Trump, par exemple, réclame depuis des années un taux des fonds fédéraux à 1 %, bien que les marchés financiers ne croient pas que cela surviendra. Si c’était le cas, l'inflation anticipée, et donc les taux d'intérêt, seraient actuellement bien plus élevés.
Si le Congrès et/ou les tribunaux n’empêchent pas le président d’éviscérer l’indépendance de la Fed, cela risque de faire connaître à l’économie américaine une répétition au vingt-et-unième siècle des événements des années 1970 et 1980, avec une forte inflation, un chômage élevé et une croissance économique stagnante, une véritable recette pour un désastre économique. »
Alan Blinder, « The Federal Reserve must maintain its independence for the U.S. economy to thrive », in Equitable Growth, 28 août 2025. Traduit par Martin Anota
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