jeudi 7 août 2025

Le nouvel accord commercial de l'empereur

« Mardi, Donald Trump est intervenu sur CNBC pour expliquer pourquoi l'Union européenne fait face à des droits de douane de "seulement" 15 %. Mais ses propos étaient tout simplement illusoires et ces illusions devraient être encore plus inquiétantes que les droits de douane.

Les Européens, a affirmé Trump, auraient accepté de débourser 600 milliards de dollars, un déboursement qu'il a décrit comme un "don" et non comme un prêt. Il a également souligné qu'il s'agissait de "600 milliards de dollars à investir dans tout ce que je veux. Tout. Je peux faire tout ce que je veux avec".

Trump semble donc croire que l’Union européenne a accepté de lui fournir une caisse noire de 600 milliards de dollars.

En fait, comme je l'ai souligné après que l'"accord" ait été annoncé, l'UE n'a rien accepté de tel. En réalité, elle n'aurait littéralement pas pu conclure un tel accord. Les pays européens ne sont pas des économies dirigées dans lesquelles le gouvernement peut dicter au secteur privé où investir, et de toute façon, la Commission européenne, qui a négocié avec Trump, ne peut pas dicter aux gouvernements des États-membres ce qu'ils doivent faire.

Considérez-le donc comme le nouvel accord commercial de l’empereur : Trump se pavane, très impressionné par lui-même, mais il est pourtant complètement nu.

Est-ce que c’est important ? J'ai vu des commentaires qui le disent. Eh bien, ce n'est qu'un autre fantasme auto-glorifiant de Trump, comme sa conviction qu’il n’y a pas d’inflation, que son taux d'approbation est de 71 % et que "les gens adorent les droits de douane".

Mais je ne pense pas que nous devrions nous sentir rassurés par les illusions commerciales de Trump, parce qu’il a perdu le contact avec la réalité dans tous les domaines.

Que se passera-t-il si Trump réalise que l'Europe n'a pas réellement tenu ce qu’il pense qu’elle a promis ou, comme il le verra probablement, que l'UE a manqué à sa promesse ? Il nous a déjà donné une réponse : il relèvera les droits de douane sur les importations en provenance d’Europe à 35 %.

Trump pourrait ne pas être à même de mettre à exécution cette menace. En fait, il est fort possible que les tribunaux déclarent illégaux nombre des droits de douane qu’il a déjà imposés (ce qu’ils sont assurément) et ordonnent à l'administration de rembourser les sommes qu’elle a déjà perçues.

Mais supposons que la Cour suprême fasse comme elle fait d'habitude et décide que la Constitution permet à Trump de faire ce qu'il veut. Dans quelle mesure l'Europe devrait-elle craindre la possibilité que Trump relève les droits de douane à un niveau plus élevé qu'auparavant ?

Eh bien, j'ai essayé de faire le calcul et, d'après ce que je peux en juger, une augmentation des droits de douane américains de 15 à 35 % causerait moins de dommages à l'Europe que beaucoup ne l'imaginent. Certes, cela la nuirait, mais pas tant que cela. En faisant de 15 % le seuil de référence (celui en vigueur même si les pays concluent des "accords") Trump a épuisé une grande partie de ses munitions de guerre commerciale, réduisant considérablement l'efficacité de toute nouvelle menace.

Après tout, l'Europe n'a jamais été aussi dépendante de l'accès aux marchés américains. En 2024, les exportations de biens de l'UE vers les États-Unis représentaient un peu moins de 3 % de son PIB, une somme non négligeable, mais insuffisante pour que la prospérité européenne dépende de la bonne volonté des Etats-Unis.

Les droits de douane de Trump rendront l'UE encore moins dépendante du marché américain. Dans mon billet de dimanche, j'expliquais que le chiffre crucial est l'"élasticité d'Armington", qui mesure la sensibilité des flux commerciaux aux droits de douane, et qu'une estimation raisonnable de cette élasticité est de 3. Si nous retenons ce chiffre, nous nous pouvons nous attendre à ce que les droits de douane de 15 % qui sont actuellement en vigueur réduisent les exportations de l'UE vers les États-Unis d'environ un tiers, pour les ramener à environ 2 % du PIB.

C'est un coup dur, certes, mais pas un coup énorme. Dans les pages du Financial Times, Richard Milne nous fait part de rapports d’entreprises européennes montrant qu’elles font preuve d'une surprenante résilience. De plus, la perte d'activité aux États-Unis sera en partie compensée par une hausse des dépenses publiques en Europe, en particulier avec l'Allemagne qui augmente ses dépenses d'infrastructures et de défense.

Voilà avec un tarif douanier de 15 %. Mais que se passerait-il si Trump poussait les tarifs douaniers à 35 % ? Mes calculs au dos de l’enveloppe suggèrent que cela réduirait les exportations européennes vers les États-Unis d’un supplément de 0,7 % de PIB. Autrement dit, le choc que subirait l’Europe si Trump mettait ses menaces à exécution serait moins important que celui qu'il impose déjà avec les tarifs qu'il compte maintenir dans tous les cas.

Cela fait sens, si vous y réfléchissez. Plus les droits de douane que Trump impose sur les importations sont élevés, moins les autres pays vendent aux États-Unis. Et moins ils nous vendent, moins ils ont à perdre si nous poussons les droits de douane encore plus haut.

Et cet argument ne prend même pas en compte la forte probabilité qu'une nouvelle vague de droits de douane de Trump provoque des représailles de la part de l'Europe et d'autres partenaires commerciaux. L'UE a jusqu'à présent choisi de ne pas riposter aux droits de douane de Trump, car ses responsables ont estimé qu'il valait mieux conclure un accord, ou du moins faire semblant d’en conclure un, que de se lancer dans une guerre commerciale du coup pour coup. Mais s’il s’avère que Trump voit un accord non pas comme une fin en soi, mais simplement comme le point de départ de nouvelles exigences, je soupçonne que même les bureaucrates timides à Bruxelles finiront par décider que trop c’est trop.

Mais encore une fois, à ce stade, les mathématiques de la guerre commerciale importent moins que la folie qui se tient derrière.

Il y a toujours eu un relent de mégalomanie dans la politique tarifaire de Trump, une conviction qu’il peut utiliser la menace des tarifs douaniers pour contraindre d’autres pays à faire ce qu’il veut sur divers fronts, allant de la promesse de ne pas abandonner le dollar comme monnaie de réserve jusqu’à l’abandon des poursuites contre les dictateurs en herbe qui ont tenté de renverser la démocratie.

Cependant, en faisant des droits de douane de 15 % la nouvelle norme (en maintenant des droits de douane élevés même lorsque les pays font, ou prétendent faire, des concessions aux États-Unis), Trump a épuisé une grande partie des munitions commerciales qu’il avait.

Cependant, Trump sera le dernier à reconnaître qu’il y a des limites à sa capacité à intimider le monde, pour le commerce ou le reste. Et ce manque de conscience devrait tous nous inquiéter. »

Paul Krugman, « The emperor’s new trade deal », 7 août 2025. Traduit par Martin Anota

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