samedi 26 juillet 2025

L'art de faire des accords vraiment stupides

« Plus tôt cette semaine, l'administration Trump a annoncé triomphalement avoir conclu un important accord commercial avec le Japon. Les analyses sont terminées et l'accord a reçu une note de 0 % sur Rotten Tomatoes. Et je ne parle même pas des réactions des économistes ; je parle de la réaction du secteur manufacturier, à la fois des dirigeants et des syndicats, que les droits de douane de Trump étaient censés aider.

Pourquoi de telles réactions négatives ? J'y reviendrai bientôt. Commençons par parler de l'état général de la guerre commerciale de Trump.

Sous Trump, les États-Unis ont pris un virage incroyablement abrupt vers le protectionniste. Voici la vision à long terme :

Droits de douane sur les importations américaines (en %)

En quelques mois, nous sommes passés d'un régime de barrières commerciales très faibles (obtenu grâce à des générations de dures négociations commerciales internationales) à des tarifs douaniers dignes de Smoot-Hawley. De nombreuses entreprises se sont néanmoins rassurées en pensant que ces tarifs douaniers extrêmement élevés étaient temporaires et qu'ils redescendraient lorsque Trump commencerait à faire des accords avec d'autres pays.

Mais le Japon a conclu un accord et il se retrouve face à des droits de douane de 15 %, contre une moyenne de 1,6 % avant Trump. Des rapports suggèrent qu'un accord similaire pourrait être conclu avec l'Union européenne. À ce stade, il semble que nous nous dirigions vers une nouvelle normalité dans laquelle la plupart des importations seraient taxées à 15 %, tandis que certaines seraient soumises à des droits de douane encore plus élevés.

Trump affirme que les étrangers paieront ces droits de douane et ses partisans pointent du doigt les prix à la consommation, qui n'ont pas encore présenté une franche hausse, comme prouvant qu’il a raison. Mais ils regardent la mauvaise mesure des prix. Ce qu’il faut regarder, ce sont les prix à l'importation, c'est-à-dire les prix facturés par les producteurs étrangers aux États-Unis, prix suivis par le Bureau of Labor Statistics.

Si Trump avait raison, nous assisterions à une forte baisse des prix à l'importation, compensant les hausses de droits de douane. Cela ressemblerait à ceci :

Ce que nous voyons en réalité, c’est cela :

Autrement dit, si l’on regarde les mesures de prix appropriées, les étrangers ne semblent pas payer une part significative des tarifs douaniers de Trump.

Qui paie ? Jusqu'à présent, le fardeau semble peser principalement sur les entreprises américaines, qui subissent une forte hausse de leurs coûts. Prenons par exemple le rapport de l'Institute for Supply Management sur l’industrie manufacturière, qui demande aux directeurs des achats si leurs coûts ont augmenté. Le pourcentage de réponses positives a toujours été un très bon indicateur de l'inflation dans les mois suivants. Or, nous connaissons actuellement une inflation des coûts à des niveaux qui n’avais plus été vus depuis l'été 2022.

Jusqu'à présent, ces coûts n'ont pas été entièrement répercutés sur les consommateurs, probablement en partie parce que les entreprises anticipaient une baisse des tarifs douaniers. Mais une fois que les entreprises auront constaté le niveau élevé des tarifs douaniers imposés sur les importations en provenance du Japon et de l'Europe après qu’ils aient conclu des accords avec l’administration Trump, leur volonté de les absorber plutôt que de les répercuter sur les consommateurs s'évaporera.

Les consommateurs américains vont donc bientôt souffrir. Mais pourquoi les fabricants américains sont-ils si mécontents de l'accord avec le Japon ? Parce que, en combinaison avec les autres droits de douane imposés par Trump, cet accord laisse de nombreux fabricants américains dans une situation pire qu'avant le début de la guerre commerciale de Trump.

C'est particulièrement manifeste dans le cas des automobiles et des produits automobiles. Trump a imposé des droits de douane de 25 % sur toutes les importations automobiles, soi-disant pour des motifs de sécurité nationale. Cela inclut les importations en provenance du Canada et du Mexique. Or, les produits automobiles canadiens et mexicains ont généralement un contenu américain important, c'est-à-dire qu'ils contiennent des pièces fabriquées aux États-Unis. Les voitures japonaises n’en ont généralement pas.

Mais désormais les tarifs douaniers sur les voitures en provenance du Japon s’élèveront à 15 %, soit à un niveau moindre que pour les voitures en provenance du Canada et du Mexique.

D’accord, ce n'est pas si simple, car les importations en provenance du Canada et du Mexique bénéficient d'une exonération partielle basée sur la part de leur valeur provenant des États-Unis. Certes, les choses sont donc plus compliquées. Mais nous pourrions néanmoins nous retrouver maintenant dans une situation où les voitures dont la production ne crée pas d'emplois manufacturiers aux États-Unis seront soumises à un taux de droits de douane inférieur à celui auquel sont soumises les voitures dont la production crée des emplois dans l’industrie américaine.

Attendez, ce n'est pas tout. Trump a également imposé des droits de douane de 50 % sur l'acier et l'aluminium, qui représentent bien sûr une part importante du coût d'une voiture. Les constructeurs japonais ne sont pas soumis à ces droits de douane.

Dans l’ensemble, l’interaction entre cet accord avec le Japon et les autres tarifs douaniers de Trump fait probablement pencher la balance entre les producteurs américains et japonais de voitures, et peut-être d’autres produits, en faveur du Japon .

Si cela paraît incroyablement stupide, c'est parce que ça l'est. Alors, comment cela a-t-il pu se produire ?

Vous pourriez penser qu'un accord avec l'un de nos plus importants partenaires commerciaux ait été piloté par une équipe de négociateurs expérimentés et compétents, appuyés par des experts économiques. Mais en réalité, il s'agissait clairement d'un travail d'amateur. […]

Les négociateurs de Trump n’avaient probablement aucune idée de ce qu’ils faisaient et ne se rendaient pas compte que dans leur hâte frénétique de conclure un accord, ils acceptaient des tarifs douaniers qui seraient très défavorables à l’industrie américaine.

Pourquoi étaient-ils pris d’une telle frénésie ? Trump a été l’objet de nombreuses moqueries pour avoir fait de grandes promesses à propos de sa capacité à négocier des accords commerciaux, promesses qui sont ensuite restées sans effet. Lui et ses gens étaient donc certainement inquiets à l’idée de faire des annonces majeures avant la date butoir du 1er août, date qu'il s’est lui-même imposé, suffisamment inquiets pour ne pas se rendre compte de ce à quoi ils s’accordaient.

Et, bien sûr, ils espéraient peut-être aussi qu’un accord commercial spectaculaire détournerait l’attention des médias de Jeffrey Epstein.

Maintenant que d'autres pays ont vu ce que le Japon a pu réussir à faire, je ne serais pas surpris de voir d'autres accords conclus dans un avenir proche. Ces accords seront-ils tout aussi stupides que celui-ci ? Probablement.

Paul Krugman, « The art of the really stupid deal », 25 juillet 2025. Traduit par Martin Anota


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