lundi 28 juillet 2025

Inégalités aux Etats-Unis (2/4) : l'importance du pouvoir des travailleurs

« Pendant plus d'une génération après la Seconde Guerre mondiale, les disparités de revenus aux États-Unis ont été relativement faibles. Certains étaient riches et beaucoup étaient pauvres, mais rien ne ressemblait aux inégalités extrêmes, à la fragmentation économique et à la lutte des classes que l’on voit aujourd'hui.

Puis, à partir de 1980 environ, les inégalités ont explosé, atteignant les niveaux incroyablement élevés que nous observons aujourd'hui. Comme je l'ai montré la semaine dernière, non seulement les 1 % les plus riches se sont détachés des 99 % restants, mais au sein de ce 1 %, les 0,1 %, 0,01 % et 0,001 % les plus riches se sont éloignés davantage encore. Et cette concentration des richesses au sommet corrompt notre politique. L'affirmation d'Elon Musk selon laquelle Trump n'aurait pas gagné en 2024 sans lui est tout à fait plausible, tandis que ceux qui cherchent à s'attirer les faveurs de Trump en versant des millions de dollars à son fonds d'investiture et en achetant sa cryptomonnaie bénéficient clairement d'un traitement de faveur.

Je vais expliquer comment nous en sommes arrivés là, mais pas dans le billet d'aujourd'hui ; je réserve cette explication pour la semaine prochaine. Aujourd'hui, je souhaite poursuivre la discussion que j’ai commencée la semaine dernière sur les causes de la montée des inégalités de revenu aux États-Unis.

Dans le billet de la semaine dernière, j’ai affirmé que la plus importante cause de la montée des inégalités depuis 1980 a été un changement dans le pouvoir politique et le pouvoir de négociation au détriment des travailleurs. Même si la mondialisation et le progrès technique y ont certainement contribué, les données ne confirment pas qu’elles seraient les principales causes de la montée des inégalités aux États-Unis. Il s’agit principalement d'une question de pouvoir.

Je vais maintenant commencer à développer cet argument. Cependant, l'essentiel de mon billet d'aujourd'hui portera sur les facteurs de la montée des inégalités entre 1980 et 2000. Pourquoi m'arrêter là ? Parce que j'ai besoin de plus d’espace et de temps pour évoquer adéquatement les effets de la "financiarisation" et de l'essor des fortunes géantes du secteur technologique, qui ont principalement commencé après 2000 et ont accéléré la concentration des richesses au sommet. Je suis bien conscient que ces facteurs font aussi la une des journaux. Mais l’explosion des inégalités avant 2000 a préparé le terrain pour la période oligarchique que nous connaissons actuellement.

Je discuterai des points suivants :

1. Pourquoi le pouvoir est clé à l'histoire des inégalités

2. Les syndicats et pourquoi ils sont importants

3. L'essor du PDG impérial

Comment le pouvoir s'est joint à la conversation

Jusqu'aux années 1940, l'économie institutionnelle, qui accordait entre autres choses une grande importance aux relations de pouvoir, était un courant important de la pensée économique américaine. Mais après la guerre, pour plusieurs raisons (dont, ironiquement, l'essor de l'économie keynésienne, mais c'est une autre histoire), elle a été largement supplantée par des modèles mathématiques dans lesquels des individus maximisant leur profit et leur utilité mènent les marchés à l'équilibre, laissant peu de place pour des discussions sur le pouvoir. En outre, il ne semblait pas y avoir beaucoup de raisons de consacrer beaucoup de temps à l'analyse des inégalités de revenus, en partie parce que ces inégalités étaient relativement faibles et en partie, avouons-le, parce que les économistes universitaires étaient soumis à une certaine pression pour éviter de paraître "socialistes".

Mais la montée des inégalités depuis 1980, en plus de mettre le sujet en lumière, a clairement montré que les simples histoires d’offre et de demande sont souvent inadéquates pour expliquer combien les gens sont payés et pourquoi ils reçoivent des montants différents.

Permettez-moi donc de vous parler de quatre éléments empiriques clés qui ont amené de nombreux autres économistes américains et moi-même à commencer à prendre au sérieux le rôle du pouvoir dans la répartition des revenus.

Les salaires visqueux : En 1992, Truman Bewley, un économiste de Yale qui était spécialisé dans les modèles économiques très mathématisés, s'est passionné pour une question qui est devenue le titre d'un livre paru en 1999 : Why Wages Don’t Fall During a Recession ("pourquoi les salaires ne baissent-ils pas durant une récession"). En période de récession, le nombre de demandeurs d'emploi est bien supérieur à celui des emplois disponibles. Les employeurs pourraient donc embaucher de nouveaux travailleurs à des salaires nettement inférieurs à ceux de leurs effectifs actuels, afin de remplacer les travailleurs existants par de nouveaux salariés moins chers ou exiger des baisses de salaire de la part des travailleurs qui auraient du mal à trouver un nouvel emploi.

Alors pourquoi les salaires ne baissent-ils pas ? Parce qu'ils ne baissent pas, sauf dans des conditions très extrêmes. Par exemple, une étude de 2015 sur la distribution des variations de salaires en période de chômage élevé a observé ce phénomène pour les années qui ont immédiatement suivi la crise financière mondiale. Dans le graphique suivant, l'axe vertical représente la part des travailleurs ayant bénéficié d'une augmentation de salaire donnée (en logarithmes) de 2009 à 2010. Par exemple, 20 % des travailleurs n'ont connu aucune variation, tandis que 10 % ont bénéficié de modestes augmentations de salaire :

Part des travailleurs recevant une augmentation de salaire donnée (en logarithme)

Comme vous pouvez le voir, il y a un pourcentage élevé à zéro : beaucoup de travailleurs n'ont connu aucun changement de leur salaire. Mais presque aucun n'a subi de baisse de salaire. Pourquoi ?

Bewley a fait quelque chose de très inhabituel pour un économiste : il est allé discuter avec des gens, notamment au sein des entreprises. Ils lui ont dit que les baisses de salaires étaient très néfastes pour le moral des travailleurs, qui auraient le sentiment d'être exploités, et que les économies réalisées grâce à ces baisses n'en valaient pas la peine.

En d'autres termes, les perceptions de justice par les travailleurs sont très importantes. Mais qu'est-ce qui détermine ce qu'ils considèrent comme juste ?

La Grande Compression : Comme je l'ai expliqué la semaine dernière, la répartition relativement égale des salaires et des autres revenus qui a prévalu pendant plusieurs décennies après la Seconde Guerre mondiale n'a pas évolué progressivement. Elle s'est produite plus ou moins soudainement, avec une compression rapide des écarts de revenus pendant la guerre et peut-être quelques années après.

Kopczuk, Saez et Song ont dressé un tableau très utile de l'évolution des inégalités salariales au fil du temps, à partir des données de la Sécurité sociale. Ils ont utilisé le coefficient de Gini (qui n’est pas ma mesure préférée, mais qui est suffisamment pertinente pour le sujet d'aujourd'hui) pour mesurer les inégalités, montrant la même forte baisse, la même longue période de stabilité, puis la même forte hausse après 1980 que celles que nous avons observées la semaine dernière. Rappelons qu'un coefficient de Gini plus faible signifie une moindre inégalité :

Indice de Gini de la distribution des salaires aux Etats-Unis

Il y a eu une baisse vertigineuse des inégalités au cours des années 1940. Ce déclin peut être attribué en grande partie aux contrôles en temps de guerre, qui limitaient les augmentations de salaires, mais étaient beaucoup plus contraignants pour les travailleurs les mieux rémunérés. Ces contrôles ont été levés en 1947, mais réimposés pendant la guerre de Corée.

La chute initiale des inégalités n'est donc pas difficile à expliquer. Ce que les économistes trouvent plus énigmatique, c'est que les inégalités salariales ne sont pas revenues à la "normale" une fois que les contrôles ont été levés. Au contraire, des salaires relativement égaux ont persisté pendant plusieurs décennies, ne retrouvant qu'à la fin des années 1980 les niveaux qu’ils atteignaient avant la Grande Compression.

D'une certaine manière, une période de relative égalité salariale semble avoir créé une nouvelle norme pour les différentiels salariaux pendant plusieurs décennies. J’évoquerai plus tard les facteurs qui ont imposé ces nouvelles normes (spoiler : les syndicats y sont pour beaucoup), mais pour l'instant l'essentiel est que les inégalités de revenus semblent moins déterminées par la main invisible du marché que par la main visible des âpres négociations menées par les travailleurs avec les employeurs, contrairement à ce que pourrait laisser penser le cours de base en science économique.

Mais si les nouvelles normes ont entraîné une hausse des salaires en bas de l'échelle, cela n'aurait-il pas dû entraîner un chômage important ? Eh bien, cela m'amène à l'élément de preuve suivant.

Les salaires minima : L'Amérique a un salaire minimum national de 7,25 dollars de l'heure, mais ce taux n'a pas été augmenté depuis 2009. Au cours des années qui ont suivi, l'inflation a érodé ce salaire en termes réels au point qu'il n'est probablement plus pertinent pour l'économie.

Cependant, plusieurs États et certaines villes ont leur propre salaire minimum, souvent bien plus élevé que le salaire minimum national. L'augmentation du salaire minimum par les collectivités locales a pour conséquence inattendue, mais opportune, de fournir des preuves de son impact. Si le New Jersey augmente son salaire minimum alors que la Pennsylvanie ne le fait pas, la comparaison des tendances de l'emploi dans les comtés voisins le long de la frontière entre les deux Etats permet d'estimer l'impact du salaire minimum sur l'emploi. L'économie de base affirme qu'un salaire minimum plus élevé devrait coûter en emplois, mais est-ce vraiment le cas ?

David Card et Alan Krueger ont mené une étude pionnière basée sur cette idée au début des années 1990 et ils ont conclu que la hausse du salaire minimum dans le New Jersey n'avait eu aucun effet visible sur l'emploi. Depuis, de nombreuses études similaires ont été publiées, confirmant les résultats de Card et Krueger.

Qu’est-ce que ces résultats signifient pour les inégalités de revenus ? Je ne pense pas que le salaire minimum soit en soi en grande partie responsable de la montée des inégalités. Mais son incapacité à détruire des emplois nous indique qu'il existe une marge de manœuvre pour augmenter les salaires bien plus importante que ne le suggèrent les simples histoires d'offre et de demande et donc une plus grande marge de manœuvre pour que le pouvoir et les normes sociales jouent un rôle important.

Et puis il y a les salariés qui fixent eux-mêmes leur propre salaire…

La rémunération des dirigeants : Comment une société décide-t-elle du montant de la rémunération de son PDG et de ses autres cadres supérieurs ? Elle ne peut pas juste observer les taux courants du marché. Même un cynique doit admettre que certains PDG sont meilleurs que d'autres et que la valeur des talents d'un dirigeant peut dépendre des spécificités de l'entreprise qu'il dirige. En pratique, la rémunération des dirigeants est fixée par des comités de rémunération nommés par… le dirigeant lui-même.

Le risque de délits d'initiés a toujours été là. Pourtant, dans les années 1960, les PDG étaient payés "seulement" environ 20 fois plus que leurs salariés. Puis, les choses ont bien changé. Voici le ratio entre la rémunération des PDG et celle des travailleurs typiques :

Ratio rémunération des PDG sur rémunération des travailleurs

Je ne pense pas qu'il y ait d'explication plausible à cette explosion des rémunérations en termes de mondialisation ou de technologie. Donc quelque chose d’autre, impliquant probablement le pouvoir et les normes, a donc changé.

Les syndicats

L'énigme de la Grande Compression n'est pas le fait qu'elle ait eu lieu : les prix, les salaires et de nombreux autres aspects de l'économie étaient sujets à des contrôles gouvernementaux étendus, non seulement entre Pearl Harbor et le jour de la victoire sur le Japon, mais jusqu'en 1947 et de nouveau de 1950 à 1953. L'énigme est qu'elle ait persisté si longtemps. Qu'est-ce qui a soutenu la nouvelle normalité ?

Une grande partie de la réponse tient sûrement à l'existence d'un puissant mouvement syndical. Le syndicalisme a explosé à la fin des années 1930 et a connu une croissance encore plus forte pendant la guerre. Il a ensuite progressivement décliné, mais il représentait encore un quart de la main-d'œuvre en 1973.

Taux de syndicalisation aux Etats-Unis (en %)

Même ces chiffres sous-estiment l’effet des syndicats sur les travailleurs américains. Les entreprises qui n’étaient pas syndiquées devaient s’inquiéter d'éventuelles tentatives de mobilisation, donc beaucoup d'entre elles payaient leurs salariés comme s'ils étaient syndiqués, une sorte d'effet de pénombre couvrant même les syndiqués. Les syndicats fixaient aussi des normes qui avaient tendance à influencer les salaires, même quand il n’y avait pas de menace immédiate d'élections syndicales.

Un ouvrage classique de 1984 intitulé What do Unions Do? de Richard Freeman et James Medoff soutint que les syndicats jouent un rôle important dans la réduction des inégalités salariales. Non seulement les syndicats augmentent les salaires de leurs membres, mais ils tendent aussi à augmenter davantage ceux des travailleurs les moins bien payés et les moins diplômés. Une abondante littérature a suivi, que je ne tenterai même pas de résumer, si ce n'est pour dire qu'à quelques réserves près (notamment le fait que la situation ait été moins claire pour les femmes que pour les hommes) les études ultérieures ont globalement donné raison à Freeman et Medoff.

C'est triste et ironique, car au moment même où Freeman et Medoff documentaient la manière par laquelle les syndicats rendaient l'Amérique moins inégalitaire et, je dirais, plus juste le pouvoir des syndicats s'effondrait rapidement.

Pourquoi le syndicalisme a-t-il décliné ? Je soupçonne que de nombreux lecteurs supposeront que la force des syndicats s'expliquait par le fait que les grands syndicats étaient principalement présents dans le secteur manufacturier et que l'Amérique s'est désindustrialisée. Si la désindustrialisation était, comme je l'ai soutenu, pour l’essentiel inévitable, le déclin des syndicats n'était-il pas lui-même inévitable ?

Non. Il est vrai que le secteur manufacturier était autrefois plus syndiqué que le reste du secteur privé : 32 % en 1980, contre 15 % ailleurs. Mais le secteur manufacturier est à présent beaucoup moins syndiqué qu’il n’a pu l’être. Plus important encore, si les grands syndicats étaient très présents dans le secteur manufacturier, c'est parce que des entreprises de l’industrie comme General Motors et Ford étaient aussi les plus gros employeurs.

Aujourd'hui, notre économie est essentiellement une économie de services, où les principaux employeurs sont des entreprises de vente au détail : Walmart, avec 1,6 million de travailleurs, Amazon, avec 1,1 million. Il n'y a aucune raison fondamentale pour que ces entreprises ne soient pas syndiquées ; d'ailleurs, UPS, qui est le troisième employeur, l'est en grande partie. Mais ces sociétés se sont développées dans un environnement politique hostile au syndicalisme et permissif envers les efforts des sociétés visant à les écraser, souvent en utilisant des moyens illégaux.

Oh, et les syndicats continuent de représenter un grand nombre de travailleurs dans d’autres économies avancées (qui ont également des inégalités bien plus faibles que nous).

Ainsi, si les syndicats ont été une force de limitation majeure pour les inégalités, ce qu'ils ont été, leur déclin a été essentiellement un phénomène politique. Pourquoi l'environnement politique s'est-il si fortement retourné contre eux ? Voir mon prochain billet…

Les PDG impériaux

En 1955, Fortune a publié un article intitulé "How top executives live" ("Comment vivent les cadres supérieurs"). La réponse était, bien sûr, "assez bien", mais pas aussi luxueusement que vingt ans plus tôt. En général, la vie des PDG était incroyablement modeste au regard des standards actuels. […] De toute évidence, l'univers matériel et culturel de l'élite des entreprises a été profondément transformé. Mais pourquoi ? Il est difficile d'y voir une explication liée à la mondialisation ou à la technologie et il n’est pas non plus clair que les sociétés aient de meilleurs dirigeants aujourd’hui que par le passé.

En général, les personnes qui déterminent la rémunération d'un dirigeant (le conseil d'administration ou un comité de rémunération spécialement constitué) n'ont ni (a) les connaissances, ni (b) l’incitation nécessaires à quel niveau devrait s’établir la rémunération du PDG. De plus, ils sont souvent nommés par le PDG ou lui sont étroitement liés. Donc, en première approximation, les PDG déterminent eux-mêmes leur rémunération. Pourquoi, alors, se sentaient-ils capables de se payer "seulement" 20 fois plus que leurs salariés dans les années 1960, alors que leur rémunération atteint aujourd’hui un ratio dix à vingt fois plus élevé, voire plus encore ?

De nouveau, l'explication la plus probable est politique. Avant les années 1980, les énormes rémunérations versées aux dirigeants pouvaient susciter une vive réaction du public, que les entreprises ne souhaitaient peut-être pas subir. Les dirigeants eux-mêmes étaient peut-être moins enclins à négocier de hautes rémunérations face à des taux d'imposition marginaux élevés, dans la mesure où ils n’auraient pas pu garder beaucoup des gains supplémentaires.

Mais le vent politique a tourné et le sentiment de sécurité grandit peut-être. Si tout le monde négocie d’énormes salaires, pourquoi ne pas le faire vous-même ?

Nous sommes donc devenus une nation de sociétés dirigées par des PDG impériaux qui se versent des sommes incroyablement élevées.

Mais même cela n’était pas la fin de l’histoire.

Vers l'oligarchie d'aujourd'hui

À partir de 2000 environ, l'Amérique a connu l’émergence de fortunes colossales, en particulier dans les secteurs de la finance et des nouvelles technologies. Ce changement brutal s'explique en partie par les mutations technologiques, notamment l'essor d'internet. Cela, en combinaison avec la déréglementation financière, a favorisé l'explosion des magouilles financières. Cette financiarisation de l'économie a finalement permis la croissance des énormes fortunes technologiques. Et avec elle vint l'énorme essor du pouvoir politique de l'argent et la saga Elon Musk-Donald Trump.

Mais il faut du temps pour raconter cette histoire. Alors, attendez la semaine prochaine. »

Paul Krugman, « The importance of worker power. Understanding inequality: Part II », Stone Center, 14 juillet 2025. Traduit par Martin Anota

Aller plus loin…

« Etats-Unis : le triomphe de l'inégalité »

« Le problème des Etats-Unis : l’excessif pouvoir de monopole des firmes ou l’insuffisant pouvoir de négociation des travailleurs ? »

« Syndicalisme et inégalités aux Etats-Unis »

« L’érosion des institutions du marché du travail alimente les inégalités »

« La déréglementation du marché du travail pèse sur les salaires »

« Une science économique sans pouvoir ? »

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