« […] Trump a annoncé un "accord" commercial avec l'Union européenne qui ressemble beaucoup à celui qu'il a conclu avec le Japon. J'utilise des guillemets car il y a peu de signes de contrepartie. Les États-Unis imposent un droit de douane de 15 %, qui est inférieur à celui précédemment affiché à titre de menace, mais qui est néanmoins largement supérieur à celui que nous avions avant Trump. Globalement, les droits de douane américains devraient se stabiliser à peu près au niveau qui prévalait après les tristement célèbres droits de douane Smoot-Hawley de 1930.
En échange, nous avons reçu une vague promesse d'investissements européens plus importants aux États-Unis. Lorsque le Japon a fait une promesse similaire la semaine dernière, des responsables de l'administration ont affirmé que cela signifierait que des centaines de milliards seraient investis dans la reconstruction de l'industrie américaine. Les responsables japonais ont toutefois indiqué que cet argent sera presque entièrement constitué de prêts et de garanties de prêts. Cela suggère que le Japon se contentera de mettre le nom de Trump sur des flux financiers qui auraient eu lieu de toute manière. Il y a toutes les raisons de penser que l'UE fera de même.
Et comme l'accord avec le Japon, cet accord semble imposer des droits de douane plus faibles sur les voitures fabriquées en Europe, qui contiennent très peu de composants américains, que sur celles fabriquées au Canada, qui contiennent de nombreuses pièces américaines. Si l'on ajoute à cela les droits de douane punitifs sur l'acier et l'aluminium, la politique commerciale de Trump semble en définitive nuire à l'industrie manufacturière américaine.
Lorsque je souligne que l'idée d'accords commerciaux de Trump semble contre-productive, même au regard de son objectif affiché de stimuler l'industrie manufacturière, je reçois des réactions de la part de lecteurs du genre : "Ah oui ? Si vous êtes un expert en négociations commerciales, dites-moi quel accord vous auriez pu conclure".
D'accord, je peux donner une réponse. Si j'avais été en charge des négociations avec l'Union européenne, j'aurais pu obtenir un accord comportant les éléments suivants :
• Des droits de douane très faibles sur les exportations américaines de produits manufacturés vers l’Europe, de l’ordre de 1 % ;
• Un commerce bilatéral presque équilibré, avec des exportations américaines à destination de l'Europe représentant près de 90 % des importations américaines en provenance d'Europe ;
• Les entreprises américaines pourraient faire affaires librement en Europe, gagnant des centaines de milliards de dollars de bénéfices chaque année ;
• Les entreprises européennes investiraient plus de 150 milliards de dollars par an (un vrai investissement, pas des prêts) aux États-Unis
Pourquoi est-ce que je crois que j'aurais pu négocier un tel accord ? Parce que c'est à cela que ressemblaient les transactions internationales entre les États-Unis et l'UE en 2024. Voilà donc ce que nous aurions pu obtenir sans rien faire.
Avant que Trump ne retourne au pouvoir, les exportations non agricoles américaines vers l'UE étaient soumises à un taux de droits de douane moyen […] de 1 %. Quant aux transactions américaines avec l'Europe, elles se présentaient comme suit :
Situation de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis
Si le déséquilibre commercial semble moins important que les chiffres que vous avez pu entendre, c'est parce que Trump aime parler du solde commercial des biens, mais qu’il passe sous silence le fait que l'Amérique affiche un excédent commercial substantiel dans les services. Si l'on inclut à la fois les biens et les services (pourquoi ne le ferait-on pas ?), les échanges entre les États-Unis et l'Europe apparaissent assez proches de l'équilibre.
Mais si les relations commerciales entre les États-Unis et l'UE étaient plus ou moins bonnes l'an dernier, pourquoi Trump a-t-il imposé d'énormes droits de douane et en a-t-il maintenu une grande partie en place même après le prétendu accord ? Parce qu'il les aime. Vous n'arriverez à rien dans la compréhension de la guerre commerciale si vous partez du principe que les droits de douane de Trump répondent à des griefs légitimes. Et il a échoué à obtenir une concession significative, principalement parce que l'Europe se comportait déjà bien et qu’elle n'avait rien à concéder.
L’accord commercial entre les États-Unis et l’UE n’a-t-il donc été que du vent ? […] Non, il a été une mauvaise chose, mais principalement pour des raisons politiques.
1. Trump croit probablement qu’il a gagné, ce qui ne fera que l’encourager à persister dans sa guerre commerciale.
2. Cela nuira à l'économie mondiale, le fardeau pesant principalement sur les Américains à faibles revenus. Le Yale Budget Lab estime que les droits de douane de Trump rendront l'économie américaine 0,4 % plus pauvre à long terme, ce qui est très proche de mes propres calculs au dos de l’enveloppe. Mais les droits de douane sont fondamentalement une taxe sur les ventes qui réduira le revenu réel des familles pauvres et populaires d'environ 1,5 %, alors même que les réductions d’impôts augmenteront les revenus des plus riches.
3. Les négociateurs européens n'ont pas fait beaucoup de grandes concessions, mais ils ont fait semblant de céder du terrain. Et ils n'ont pas riposté, même s'ils en avaient clairement le droit, car les États-Unis viennent de revenir sur tous leurs accords passés officiels. Cela fait paraître l'UE comme faible, ce qui est de mauvais augure pour sa capacité à relever les vrais défis, à commencer par celui de l'aide à l'Ukraine.
Il y a deux choses moins décourageantes concernant ce qui vient de se passer. Premièrement, Trump semble avoir reculé concernant l'idée de traiter les taxes sur la valeur ajoutée européennes comme une barrière injuste aux exportations américaines (ce qu'elles ne sont pas, mais les faits n'ont pas d'importance ici). C'est donc une confrontation potentiellement terrible qui est évitée, du moins pour le moment.
Deuxièmement, si cet accord commercial était en partie une tentative de faire disparaître Epstein des fils d’actualité, mon sentiment en les regardant est qu’il s’agit d’un échec total.
Pourtant, si j'étais Européen, je serais très en colère contre tout ce qui ressemble à un apaisement de Trump. L'UE est une superpuissance économique, surtout si elle s'allie au Royaume-Uni. Elle doit commencer à agir comme telle. »
Paul Krugman, « I coulda made a better deal. What, exactly, did Trump get from Europe? », 29 juillet 2025. Traduit par Martin Anota
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