jeudi 23 octobre 2025

L’Amérique rééquilibre-t-elle son commerce ou se retire-t-elle du commerce ?

« Le président Donald Trump a lancé son Grand Coup commercial (Great Trade Hack) le 2 avril 2025. Son objectif était d’augmenter les exportations américaines et de réduire les importations américaines pour mettre fin au déficit commercial chronique qui était, à ses yeux, une preuve évidente que l’Amérique était victime de l’étranger.

Les États-Unis victimes du système commercial ? C'est sûrement une erreur de frappe. N'est-ce pas les États-Unis qui abusaient du système commercial ? Non. Pas dans l'esprit du président. Lisez les mots qu'il a utilisés pour annoncer le Grand Coup commercial : "Pendant des décennies, notre pays a été pillé (looted), pillé (pillaged), violé et pillé (plundered) par des nations proches et lointaines, amies ou ennemies… Mais cela n’arrivera plus." (Donald Trump, 2 avril 2025)

Alors, comment rééquilibrerait-il les relations commerciales de l’Amérique ? Le plan comportait deux volets. Premièrement, frapper les importations de droits de douane massifs, dont le montant était proportionnel au déséquilibre commercial de chaque partenaire avec les États-Unis. Deuxièmement, contraindre les pays étrangers à de nouveaux accords ouvrant leurs marchés aux exportations américaines. La forte dépréciation du dollar américain a constitué un soutien puissant et inattendu.

Six mois plus tard, la poussière est retombée. Les droits de douane ont commencé à produire leurs effets. Les accords sont signés. Le dollar est en baisse. Alors, le grand Coup commercial a-t-il marché ? […]

Les faits : le retrait des États-Unis du commerce international

Les données nous racontent une histoire très claire. Mais pour comprendre ce qu'ils confessent, il vous faudra les "sous-titres" de la chronologie des tarifs douaniers.

La chronologie des tarifs douaniers

Le président Trump, en tant que candidat, avait promis d'imposer des droits de douane élevés à tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis dès le premier jour. Il ne l'a pas fait. Comme je l'ai souligné  […], "le premier jour, nous avons reçu un memo à propos droits de douane, pas des droits de douane".

La grosse artillerie tarifaire, qui a été tout d’abord déployée en février et mars, visaient la Chine, le Mexique et le Canada. Vous pouvez voir assez clairement l’annonce du Grand Coup commercial. Elle a déclenché un défilé désordonné de menaces, de reculs et de délais non respectés. Pendant tout ce temps, les droits de douane imposés ont régulièrement augmenté, même si la rhétorique vacillait comme un cerf-volant dans une tempête.

Les hauts et les bas du commerce américain en 2025

Au début, les importations américaines ont fortement augmenté jusqu'en mars. Pourquoi ? Les acheteurs américains anticipaient un relèvement des droits de douane. Les données macroéconomiques montrent que les stocks américains ont explosé durant ces mois. Les exportations ont également bondi, peut-être parce que les exportateurs et leurs clients craignaient que les droits de douane étrangers seraient relevés en représailles.

Puis les tirs d'artillerie tarifaires ont commencé. En mars, les droits de douane sur la Chine étaient déjà très élevés. A partir de mars, les importations et les exportations ont chuté. En juillet, les exportations et les importations américaines étaient inférieures à leurs niveaux de mars.

Qu'en est-il de la balance commerciale des biens ? […] Le déséquilibre dans le commerce de biens est pire aujourd'hui qu'il ne l'était lorsque Trump fut réélu en novembre 2024. Les droits de douane amènent les États-Unis à commercer moins.

Ce n'est pas un rééquilibrage. C'est un retrait.

Résumé et remarques finales

Six mois plus tard, le Great Trade Hack du président Trump a durement touché les importations, mais aussi les exportations. Ni les accords commerciaux ni le gain de compétitivité dû à la faiblesse du dollar n'ont été efficaces. La hausse promise des ventes américaines à l'étranger n'a jamais eu lieu.

Il en résulte une économie américaine plus fermée (cf. graphique). Les importations américaines de biens représentent une part plus faible des importations mondiales qu'elles ne l'étaient lorsque le président Trump a pris ses fonctions en janvier 2025. Il en va de même pour les exportations américaines de biens. Selon les données de l'OMC, la part des Etats-Unis dans les importations mondiales est passée d'environ 17,3 % à 14,5 %. La part des Etats-Unis dans les exportations mondiales est passée de 9,0 % à 8,6 %.

L’Amérique ne rééquilibre pas le commerce ; elle s’en retire

Comment est-ce possible ? La pensée du vingtième siècle appliquée au commerce du vingt-et-unième siècle

Lorsque le président Trump a obtenu son diplôme de Wharton en 1968, le commerce international était d'une simplicité rafraîchissante. Les importations étaient biens achetés à l'étranger, déterminés par les appétits domestiques et l'écart de prix entre les produits domestiques et les produits étrangers. Les exportations correspondaient aux biens vendus au monde entier, dont le flux était déterminé par la demande étrangère et le prix des produits américains relativement à ce qui était offert ailleurs. Les deux flux circulaient séparément. Les importations étaient des importations ; les exportations étaient des exportations.

Dans l'économie du vingtième siècle, le Grand Coup commercial aurait pu marcher. Les droits de douane auraient accru les prix à l'importation et réduit la demande de biens étrangers. Les accords commerciaux auraient ouvert les marchés d'exportation. Et un dollar plus faible aurait rendu les biens étrangers plus chers aux États-Unis et les produits américains moins chers à l'étranger. Le diagramme ci-dessous illustre cette logique économique d’antan.

Hélas, nous ne sommes plus au Kansas. Cette pensée du vingtième siècle n'est plus à la hauteur des défis économiques du vingt-et-unième siècle. Mais qu'est-ce qui a vraiment changé ?

La "deuxième dissociation" des années 1990 et la révolution de la chaîne de valeur mondiale

Je suis ravi que vous posiez cette question, car j'en ai déjà parlé dans mon livre de 2016, The Great Convergence: Information Technology and the New Globalisation. […] Voici le raisonnement. Avec la révolution des nouvelles technologies d’information et de communication (TIC), les processus de fabrication n’avaient plus à se limiter aux frontières nationales. Les nouveaux outils de communication et de coordination ont permis d'organiser des activités complexes, comme les multiples étapes d'un processus de fabrication, sur de grandes distances. Une fois que les TIC ont rendu possible la délocalisation des étapes à forte intensité en travail, les importantes différences de salaires l'ont rendue rentable. Comme je l'ai expliqué en 2016, l'essentiel de ce changement a résulté de la possibilité pour les entreprises des pays du G7 de délocaliser leur technologie et de la combiner à du travail à bas salaires à l'étranger. Le monopole que les travailleurs des pays du G7 avaient sur la technologie a été cassé par les TIC. Lorsque le savoir-faire manufacturier a commencé à circuler au-delà des frontières Nord-Sud, la Grande Divergence (Great Divergence) (de 1820 à 1990) a basculé en une Grande Convergence (Great Convergence) (de 1990 à aujourd'hui).

Cela faisait certainement partie des chocs globotiques qui, selon moi, étaient derrière le malaise de la classe moyenne américaine. Mais le point clé est qu'avec la deuxième dissociation, les usines ont commencé à traverser les frontières, tout comme les marchandises. La première dissociation a eu lieu lorsque la consommation et la production se sont dissociées géographiquement (ce qui a conduit à un essor du commerce de marchandises à partir de 1820). La deuxième dissociation a été celle des usines du G7, lorsque les étapes de production ont commencé à traverser les frontières.

Les chaînes de valeur s'étendent au-delà des frontières nationales. Les automobiles ne sont pas fabriquées au Japon, mais dans ce que j'ai appelé "l'Usine Asie" (Factory Asia) [Baldwin, 2006]. Les automobiles ne sont pas fabriquées en Amérique, mais dans ce que j'ai appelé "l'Usine Amérique du Nord" (Factory North America). Les automobiles ne sont pas fabriquées en Allemagne, mais dans "l'Usine Europe" (Factory Europe). En bref, le monde de l'industrie manufacturière a complètement changé autour de l’année 1990 et, comme les biens manufacturés représentent une part importante du commerce mondial, le commerce international a également changé. Importations et exportations se sont entremêlées. Les flux d'importation et d'exportation ne circulaient plus séparément. Ils se sont entremêlés. En termes plus simples, à partir des années 1990, les entreprises devaient "importer pour exporter".

Comme les pays en développement l'ont alors constaté, maintenir des droits de douane élevés sur les pièces et composants importés était un moyen sûr pour saper leur industrie et freiner leurs exportations de produits manufacturés. Ils ont donc décidé de réduire leurs droits de douane (cf. graphique). L’administration Trump est en train de réapprendre lentement cette leçon.

Remarques finales

Il y a une ironie stratégique au cœur du Grand Coup commercial américain. L'objectif était d'utiliser l'important marché domestique américain comme levier pour rééquilibrer le système. Et ce afin d'augmenter les exportations et de réduire les importations. Mais au lieu d'adhérer au nouveau système commercial créé par le Grand Coup commercial, l'Amérique se retire du commerce international et de l'engagement économique mondial. Le marché américain est toujours important, mais son influence s'affaiblit.

En tentant de rééquilibrer son commerce, l'Amérique a au contraire déséquilibré sa place dans l'économie mondiale. Le Grand Coup commercial est devenu le Grand Retrait commercial (Great Trade Retreat). »

Richard Baldwin, « Is America rebalancing its trade or retreating from trade? », 16 octobre 2025. Traduit par Martin Anota


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