« La dette américaine détenue par le public représente désormais 99 % du PIB. Le Congressional Budget Office (CBO) prévoit qu'elle atteindra 107 % du PIB d'ici 2027, dépassant ainsi le record établi à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces projections du ratio dette/PIB indiquent une augmentation constante, la définition de l’insoutenabilité.
Les discussions sur la dette nationale américaine s'ouvrent souvent avec une vieille citation d'Herb Stein (président du CEA sous Nixon) : "Si quelque chose ne peut durer à jamais, cela finira par s'arrêter". Mais quelle forme prendra cet arrêt ? Il y a six façons par lesquelles une dette insoutenable peut prendre fin : une croissance économique plus rapide, des taux d'intérêt plus bas, un défaut de paiement, l'inflation, la répression financière et l'austérité budgétaire. Dans le cas des États-Unis, la tentation serait grande de les écarter l’une après une. Mais ce serait aller à l’encontre de la loi de Stein.
Une croissance plus rapide
Depuis au moins Ronald Reagan, les candidats à la présidence affirment que, s’ils étaient élus, la croissance s’accélérerait et, par conséquent, les recettes fiscales augmenteraient. L'objectif de ces prévisions optimistes est de concilier les promesses de fortes baisses d'impôts avec celles de réduction des déficits budgétaires. Mais la réalité ne coopère pas : le scénario idyllique ne se concrétise jamais.
Malheureusement, une accélération significative de la croissance ne semble pas particulièrement probable à l'heure actuelle. En effet, la population active américaine a cessé de croître et désormais elle se réduit, parce que les familles ont moins d'enfants, les baby-boomers prennent leur retraite, l’arrivée de nouveaux immigrés est restreinte et les travailleurs malchanceux pris dans les rafles de l'ICE sont expulsés. Cela implique que le taux de croissance du PIB total sera plus faible à l'avenir. (Bien que ce soit le PIB par tête qui importe pour mesurer la prospérité, c'est le PIB total qui compte lorsque l’on considère l'assiette fiscale servant au service de la dette.)
On entend souvent les détracteurs de l'immigration dire que les États-Unis n'ont pas les moyens de prendre en charge les immigrés. Mais cela revient à ignorer le fait que les immigrés contribuent largement au financement de la sécurité sociale, de Medicare et d'autres programmes sociaux. La dette américaine serait plus soutenable si l'assiette fiscale était répartie sur un plus grand nombre de travailleurs. En d'autres termes, les préoccupations autour de la dette sont un argument en faveur de l'immigration, et non pour s’y opposer. Paradoxalement, l’équilibre entre les impôts payés et les prestations sociales perçues est encore plus favorable au budget américain si les immigrés sont en situation irrégulière. C’est parce que les cotisations sociales sont souvent prélevées directement sur leurs salaires ; pourtant, ils hésitent à demander des prestations de crainte d'être expulsés.
L’essor actuel de l'IA pourrait compenser la baisse de l'immigration. Il est impossible de dire ce que l’IA fera à la croissance. Mais il semble probable qu’il y a une part de bulle spéculative dans l’expansion des entreprises technologiques, du moins sur le marché boursier.
Selon les estimations du CBO, la croissance à long terme devrait atteindre 1,6 %. Dans un scénario optimiste, un boom de l'IA pourrait la porter à 2,0 %.
Des taux d'intérêt proches de zéro
Pendant les treize années qui ont suivi la crise financière mondiale de 2008, les taux d'intérêt ont été très bas. En conséquence, et encore en 2020, la charge d'intérêts versée annuellement par le Trésor américain ne représentait que 2,4 % du PIB. Mais cette époque est révolue. Les taux d'intérêt zéro ne sont pas revenus. Les paiements d'intérêts du gouvernement fédéral représentent désormais 3,8 % du PIB. Ils ne sont dépassés que par les dépenses de Sécurité Sociale et sont désormais supérieurs aux dépenses de santé, aux dépenses militaires et aux dépenses discrétionnaires hors défense.
Passons maintenant aux issues moins favorables.
Le défaut de paiement
La solvabilité des États-Unis a été dégradée, en partie parce que les agences de notation peuvent voir que la situation politique à Washington est pire qu'une simple impasse. Les titres du Trésor pourraient ne plus être la valeur refuge à laquelle nous avons longuement été habitués. Même les puissants États-Unis pourraient se heurter aux difficultés que d'autres pays endettés connaissent depuis longtemps. La réaction des marchés au "Jour de la Libération" proclamé par Trump en avril l’a illustré. Trump s'est lui-même qualifié de "Roi de la Dette", réveillant le souvenir des nombreux défauts de paiement qui ont jalonné sa carrière d'entrepreneur (ou des renégociations de dette, comme il préfère sans doute les appeler).
On dit que les investisseurs ne craignent pas le défaut de paiement d'un pays qui emprunte dans sa propre monnaie, ce que font certainement les États-Unis. L'idée est que, dans le pire des cas, il sera toujours possible de faire tourner la planche à billets pour rembourser les investisseurs. Trump lui-même l'a dit. Cependant, les investisseurs internationaux pourraient à terme chercher à limiter la capacité d'un pays à emprunter dans sa propre monnaie, comme cela a été le cas pour de nombreux pays en développement.
Il va sans dire que le défaut de paiement ne serait pas une solution souhaitable. Au contraire, le simple fait d'évoquer cette possibilité accroît la pression sur la capacité à financer la dette à des taux d'intérêt bas.
L’inflation
Dire que le gouvernement peut toujours imprimer de la monnaie pour rembourser les investisseurs revient à dire qu'il peut toujours réduire la valeur réelle de sa dette par l'inflation. C'est ce qu'a fait le Congrès continental, qui n'avait pas le pouvoir de lever des impôts, avec la dette contractée lors de la Révolution américaine. L'inflation a d'ailleurs légèrement fait baisser le ratio dette/PIB des États-Unis en 2022. Mais l'inflation serait une solution aussi mauvaise pour le gouvernement fédéral qu'un défaut de paiement explicite.
La répression financière
De nombreux pays en développement, ou d’autres avec un secteur financier fragile, pratiquent la répression financière : ils utilisent une réglementation financière draconienne pour contraindre les banques nationales à acheter des obligations d’État à des taux d’intérêt artificiellement bas. Ces mesures s’accompagnent parfois de contrôles des capitaux afin d’empêcher les sorties de fonds du pays.
Des proches de Trump ont évoqué la possibilité (1) d'imposer des "frais d'utilisation" aux banques centrales étrangères détenant de la dette américaine, (2) d'instaurer une taxe plus générale sur les investissements étrangers aux États-Unis, pour mettre du sable dans les rouages, ou (3) d'obliger les banques centrales étrangères à détenir des obligations américaines à 100 ans sans coupon, en remplacement des bons du Trésor qu'elles détiennent actuellement. Cela reviendrait à restructurer la dette américaine. Il s'agit d'une mesure radicale, qui équivaut pratiquement à un défaut de paiement.
Une austérité budgétaire extrême
Imaginons, de manière optimiste, que la croissance nominale soit de 5,0 % (soit 2 % de croissance réelle + 3 % d'inflation) et que le taux d'intérêt à long terme soit de 5,0 %. Dans ce cas, pour assurer la soutenabilité de leur dette, les États-Unis devraient précisément éliminer leur déficit primaire (c'est-à-dire leurs déficits budgétaires, hors paiements d'intérêts). Le déficit primaire représente actuellement plus de 3 % du PIB, compte tenu de la récente loi de Trump prolongeant indéfiniment les réductions d'impôt de 2017 qui devaient initialement expirer.
Ce serait extrêmement douloureux. Politiquement, c'est actuellement hors de question, encore plus que les autres options. Par exemple, cela exigerait de supprimer la quasi-totalité des dépenses de défense (à un moment où les besoins sont accrus) ou la quasi-totalité des dépenses discrétionnaires hors défense. Cela n'arrivera pas dans un avenir proche. Mais à terme, dans un avenir imprévisible, ce sera peut-être le plus probable des six scénarios possibles.
Nous connaissons tous ce problème depuis des années. Il y a eu une époque où une solution bipartite semblait à portée de main, inspirée des travaux de la Commission Greenspan qui, en 1982, avait remanié la Sécurité Sociale et repoussé la date d'épuisement du Fonds de réserve de la Sécurité sociale. L'idée est que les républicains et les démocrates au Congrès désignent une petite équipe pour les représenter lors de négociations à huis clos. Lorsque cette équipe parvient à un accord sur un ensemble de réductions de dépenses et de hausses de recettes fiscales, elle demande à ses collègues de voter pour ou contre.
Cela ne s'est jamais produit. Bill Clinton a finalement rétabli la soutenabilité, atteignant même des excédents budgétaires entre 1998 et 2000. (Son approche reprenait celle de George H.W. Bush en 1990 : une combinaison de légères hausses d'impôts, de ralentissement de la croissance des dépenses et de la mise en place du système de "pay-as-you-go"). Mais Clinton y est parvenu sans le soutien des républicains au Congrès.
En 2001, George W. Bush choisit alors de suivre l'exemple de Reagan plutôt que celui de son propre père. Il dilapida aussitôt les excédents budgétaires durement acquis qu'il avait hérités, en accordant de nouvelles baisses d'impôts et une augmentation des dépenses militaires. Cela remit immédiatement le pays sur une trajectoire insoutenable.
Il est difficile d'imaginer aujourd'hui qu'un dirigeant démocrate, même s'il reprenait le contrôle du gouvernement, choisirait de sacrifier les dépenses consacrées à des programmes importants, sachant que cela pourrait permettre à un successeur républicain de redistribuer les économies aux riches sous la forme de nouvelles réductions d'impôts. Et il est peu probable qu'un dirigeant républicain permette une hausse des impôts ou même qu'il s'expose à des accusations de réduction de la sécurité sociale et de l'assurance-maladie.
Il faudra sans doute une crise budgétaire majeure pour contraindre le système américain à entreprendre les réformes nécessaires. Plus cette prise de conscience tardera, plus l'ajustement final devra être radical. »
Jeffrey Frankel, « How will unsustainable US debt end? », novembre 2025.
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