lundi 15 décembre 2025

La Chine peut-elle continuer de chercher à sortir de sa crise immobilière par les exportations ?

« L'économie chinoise a connu une période prolongée de déflation (la baisse des prix). Le chômage est probablement plus élevé que ne l’indiquent les chiffres officiels. Le système bancaire a des pertes latentes sur ses prêts aux promoteurs immobiliers, dont beaucoup doivent cesser leur activité ou voir leur dette convertie en actions. Certains ménages chinois ayant eu la malchance de payer d'avance pour un appartement il y a cinq ans attendent toujours qu’il le leur soit livré.

Il en résulte, selon un article récent du New York Times, un malaise généralisé : "La crise immobilière en Chine dure depuis déjà cinq ans sans perspective de fin en vue, fragilisant l'un des piliers de son économie. Les collectivités locales, à court de liquidités en raison de l’effondrement du marché immobilier, ne dépensent plus dans les projets d’infrastructures comme elles le faisaient lors des précédentes périodes de malaise économique. La répression menée par Pékin contre la concurrence excessive entre les fabricants chinois a déprimé le climat pour que l’investissement en capital alimente l'expansion."

Si l'on ajoute les dettes des véhicules d'investissement locaux (essentiellement des mécanismes pour financer les infrastructures, mais parfois aussi des investissements industriels ou autres) à la dette du gouvernement central et aux dettes reconnues des provinces chinoises, le FMI estime que la dette du secteur public chinois représente environ 125 % du PIB et que le déficit budgétaire, y compris hors bilan, pourrait dépasser 12 % du PIB. 

Avec un stock important de dette publique, la solution la plus simple pour sortir de ces difficultés est une monnaie plus faible et une forte stimulation des exportations. C’est effectivement par ce biais que la Chine a connu de la croissance depuis que sa bulle immobilière a éclaté (ou plutôt a été piquée) au milieu de l’année 2021. Les exportations nettes ont contribué à hauteur de plus d’un point de pourcentage à la croissance annuelle en moyenne – et bien davantage en 2024 et au cours des trois premiers trimestres de 2025.

Les données commerciales sous-jacentes indiquent en réalité une contribution plus importante des exportations nettes que celle rapportée dans les données officielles sur les "contributions" et l'on doute que les contributions domestiques déclarées soient aussi élevées qu'annoncé, ce qui impliquerait que les exportations nettes pourraient avoir été le principal moteur de la croissance récente de la Chine. Il en résulte un excédent commercial de 1 000 milliards de dollars (selon les données douanières) après seulement 11 mois de données et un excédent global de biens qui devrait (s'il était mesuré avec précision) avoisiner le chiffre impressionnant de 1 200 milliards de dollars (6 % du PIB de la Chine, soit bien plus d'un point de pourcentage du PIB du total de l'ensemble des partenaires commerciaux de la Chine).

De plus, la crise immobilière n'est pas encore terminée. Vanke, un important promoteur immobilier soutenu par l'État, est la dernière entreprise en date à rencontrer des difficultés financières. Le Times souligne à juste titre : "il n’y a aucun plan de sauvetage sectoriel ni aucun plan global qui ait été mis en place pour stimuler l'investissement immobilier". L'investissement immobilier continue de chuter et l’investissement dans l'industrie et les infrastructures semblent effectivement avoir ralenti ces derniers mois (il y a d'importantes lacunes dans les données). Un simple graphique confirme que "l’investissement dans l'immobilier, les infrastructures et l'industrie, les trois principaux composants de ce chiffre, baissent tous simultanément".

La combinaison d'un nouveau ralentissement domestique et d'une dette publique du gouvernement général élevée est à la base des appels à un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire en Chine pour résoudre son problème de déflation. Dans un modèle classique, l'assouplissement monétaire agit en partie grâce à la dépréciation du taux de change et à la stimulation des exportations nettes.

Ainsi, recommander à la Chine d'assouplir sa politique monétaire pour compenser les pressions déflationnistes revient de facto à lui recommander de tenter de sortir de sa crise domestique par ses exportations. Cela est d'autant plus vrai si cet appel à l'assouplissement monétaire s'accompagne d'un appel au resserrement budgétaire, comme l'a fait le FMI en 2023 et 2024.

Mais compter uniquement sur l'assouplissement monétaire pour redresser une économie aussi vaste et aussi déséquilibrée que celle de la Chine se heurte à quelques problèmes.

Le problème évident est que l'excédent commercial de la Chine est déjà très important. En fait, son excédent industriel est déjà supérieur à celui de n'importe quel autre pays, rapporté à son PIB.

Comme l'ont souligné Greg Ip et d'autres, l’économie chinoise dans la période récente se caractérise par un succès stupéfiant à l'exportation et par une stagnation des importations. Le volume des importations est resté quasiment inchangé par rapport à ses niveaux de 2018. Autrement dit, le succès des exportations chinoises exige des autres pays qu'ils se désengagent de leurs secteurs d'exportation actuels, et non qu'ils investissent dans de nouveaux secteurs. Dès lors, il y a de réelles inquiétudes à l’idée qu'une Chine qui continue de miser sur les exportations pour compenser son manque de dynamisme intérieur entraîne la désindustrialisation d'autres économies. L'Europe s'inquiète désormais. L’Allemagne aussi. Les vieilles économies tirées par l'exportation doivent se réorienter vers des secteurs davantage tournés vers le marché domestique afin de laisser de la place pour la croissance des exportations chinoises, un processus difficile. Une grande partie des pays émergents s'inquiète à présent d'une désindustrialisation prématurée

De plus, l'immense secteur manufacturier chinois et son important excédent commercial ont suscité des inquiétudes chez les partenaires commerciaux de la Chine quant à leur dépendance aux intrants industriels chinois et au risque associé de vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement que la Chine a instrumentalisées par le passé et qu'elle pourrait instrumentaliser de nouveau à l'avenir. 

Autrement dit, les politiques qui fonctionnent pour un petit pays affichant un excédent modeste (ou un déficit passé qu'il faut transformer en excédent pendant une période de redressement budgétaire) ne fonctionnent pas nécessairement pour une grande économie qui dégage déjà un excédent substantiel.

L'excédent extérieur de la Chine, tel qu’il est rapporté, devrait dépasser les 3 % du PIB cette année. Cependant, il est fort probable que ce chiffre soit sous-estimé. Selon moi, le véritable excédent pourrait avoisiner les 5 % du PIB chinois, soit près d'un point de pourcentage du PIB mondial. Si la Chine avait continué d'appliquer la même méthode de calcul de la balance des paiements qu'entre 2010 et 2021, son excédent dépasserait déjà largement les 4 % de son PIB.

Il est donc quelque peu difficile pour les observateurs extérieurs d'encourager la Chine à chercher à sortir de sa crise par les exportations. Après tout, la Chine n'a jamais enregistré de déficit extérieur, même lorsque son boom immobilier était à son pic, et elle n'a donc jamais vraiment partagé la demande avec le reste du monde en période de prospérité. Par conséquent, il semble illusoire de demander au monde de partager une part importante de sa demande avec la Chine alors que son moteur de croissance domestique est toujours au point mort. 

Le FMI commence (semble-t-il) à se demander si ses recommandations traditionnelles d'assouplissement monétaire et de resserrement budgétaire conviennent à la situation. Après tout, le Fonds devrait mettre l’accent sur des politiques bénéfiques à l'ensemble de l'économie mondiale, et non pas seulement à un seul pays-membre. Or, on voit mal ce que le monde gagnerait d’une politique qui entraînerait un affaiblissement du yuan chinois, une augmentation des exportations chinoises et une hausse de l’excédent douanier chinois.

En réalité, la réponse politique standard dans un pays confronté à une baisse des prix domestiques, à une hausse du chômage domestique et à une augmentation de l'excédent extérieur est une expansion budgétaire. 

Et une telle stratégie fait sens pour la Chine.

Malgré les nombreuses discussions autour des problèmes de dette de la Chine, le gouvernement central chinois n'est en réalité pas si endetté. Il dispose donc d'une marge de manœuvre budgétaire importante. Une étude remarquable du FMI de 2023 (réalisée par Lam et Badia) a conclu que le gouvernement central possédait autant d'actifs financiers que de passifs financiers. Certes, le gouvernement central a de nombreux engagements hors bilan, mais il part d'un bilan très sain, ce qui lui confère une grande marge de manœuvre budgétaire.

Le FMI semble désormais infléchir sa position. La déclaration finale de sa mission a souligné la nécessité d'une expansion à la fois budgétaire et monétaire. La directrice générale a déclaré : "deuxième économie au monde, la Chine est tout simplement trop importante pour que sa croissance repose essentiellement sur les exportations et continuer de dépendre d'une croissance tirée par les exportations risque d'exacerber les tensions commerciales internationales". Ce nouveau ton est bienvenu.

Je soupçonne que certains sont encore tentés de croire que la Chine peut faire d'une pierre deux coups. Après tout, si la Chine consacre des sommes considérables aux subventions industrielles (une estimation récente évalue ces subventions à 4 % du PIB chinois), une réduction de ces subventions lui permettrait peut-être de conjuguer rigueur budgétaire et ajustement de sa politique externe.

La prudence est toutefois de mise. Toute réduction des investissements inefficaces reste une réduction des investissements, et par conséquent, la diminution des subventions aux nouvelles capacités de production réduit la demande domestique. Or, on peut s’attendre à ce qu’une baisse de l’investissement (ou du déficit budgétaire) aggrave le déséquilibre entre l'épargne et l'investissement et se traduire par un excédent extérieur plus important (le même raisonnement s'applique ici que celui qui a conduit le FMI à affirmer qu'une réduction des investissements immobiliers devrait engendrer un excédent extérieur plus conséquent ; voir l'encadré 1.1 du External Sector Report de 2024).

Generating true adjustment requires policies that raise consumption and domestic demand, not just policies that reduce investment. It thus takes policies that use the central government's fiscal space to directly support consumption, now just curbs on local government industrial subsidies (Keith Bradsher of the New York Times has reported that local governments sometimes have built entire factories to the specification of a coveted EV firm) and limits on the activities of government investment funds.  

Pour opérer un véritable ajustement, il faut des politiques qui stimulent la consommation et la demande domestique, et non pas seulement des politiques qui réduisent l'investissement. Il faut donc des politiques qui utilisent la marge de manœuvre budgétaire de l'État pour soutenir directement la consommation, pas seulement des restrictions sur les subventions industrielles des collectivités locales [...] et des limitations des activités des fonds d'investissement publics. 

Pour ceux qui préfèrent ne pas raisonner en termes d'équilibre entre épargne et investissement, considérons l'impact d'une réduction de l’investissement dans l’industrie manufacturière sur un secteur spécifique comme la sidérurgie.

La crise immobilière a réduit la demande interne chinoise d’acier, ce qui a déjà entraîné une hausse des exportations chinoises d'acier ces dernières années. Cependant, la principale contrepartie à la baisse de la demande d'acier dans le secteur immobilier a été une augmentation considérable de la demande du secteur manufacturier : construction de nouvelles usines, équipement de ces usines en bras robotisés et création de débouchés pour tous les véhicules que la Chine est désormais capable de produire [...]. Si l’investissement dans le secteur manufacturier diminue, la capacité de production d'acier future de la Chine pourrait ne pas croître aussi rapidement, mais la capacité actuelle trouvera moins d'acheteurs sur le marché domestique. Cela signifie soit une hausse des exportations (entraînant des fermetures d'usines à l'échelle mondiale), soit la fermeture d'aciéries domestiques (accentuant la pression déflationniste sur les salaires).

La simple réalité est qu’il n'y a pas de solution facile pour réduire l'excédent commercial de la Chine, si ce n'est de permettre un yuan beaucoup plus fort, puis de compter sur la pression exercée par un yuan plus fort et une croissance limitée des exportations pour contraindre la Chine à entreprendre les politiques structurelles et budgétaires nécessaires pour faire baisser son taux d'épargne et faire de la consommation domestique un véritable moteur. 

Le FMI exprime désormais au moins son inquiétude quant à la faiblesse du taux de change réel de la Chine, à l'augmentation de son excédent extérieur et à sa dépendance aux exportations nettes pour sa croissance.

Mais cela ne suffit pas au FMI pour rectifier le tir dans ses recommandations. La Chine elle-même ne semble pas pressée d'opérer les changements nécessaires à l’orientation de ses politiques économiques. Le président Xi privilégie toujours le soutien aux investissements dans une usine plutôt qu'à la consommation des ménages. Or, ce manque de soutien à la consommation des ménages pose problème dans un pays à la fois immense et extrêmement dépendant des exportations nettes pour sa croissance. »

Brad W. Setser, « Can China continue to export its way out of its property slump? », Follow the Money, 14 décembre 2025. Traduit par Martin Anota

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire