« L’un des thèmes évoqués dans les analyses faites autour de l’élection américaine, y compris les miennes, a été le choc sur le revenu réel causé par la récente hausse des prix des matières premières (énergie et alimentation). L’idée est que les électeurs les moins engagés (les électeurs peu informés) imputent ces chocs au gouvernement plutôt qu’à la Russie ou à la pandémie, ce qui expliquerait pourquoi ces dernières années ont été un désastre dans les sondages pour les élus.
Dans cette analyse, j'ai écrit : "les économies peuvent être touchées par des chocs externes négatifs et ceux-ci sont susceptibles de survenir de plus en plus souvent à cause du changement climatique, de populistes ou de dictateurs idiots, etc. Aucun gouvernement n’a le pouvoir d’empêcher que tous ces événements aient un impact négatif sur ses citoyens".
En ce qui concerne les chocs externes sur les prix, comme ceux que l’on a connus à la suite de la pandémie, la deuxième phrase doit être davantage justifiée, comme de nombreux gouvernements ont tenté de protéger les électeurs de certaines des pires augmentations des prix de l’énergie. En outre, certains ont suggéré à l’époque, et continuent de suggérer, que les gouvernements auraient dû en faire davantage dans ce sens. En effet, j’ai plaidé ici en faveur de l’utilisation des taxes sur les surprofits des producteurs d’énergie pour financer le soutien aux consommateurs.
Il est utile de faire quelques distinctions entre ceux qui gagnent et ceux qui perdent lorsque le prix des matières premières augmente. Les gains peuvent aller aux profits des entreprises qui peuvent être taxés par l'État (par exemple, les producteurs d'énergie domestiques) ou aux revenus des producteurs domestiques individuels de ces matières premières (par exemple, les agriculteurs). Ces gains peuvent également aller à des entreprises ou à des individus dans le reste du monde et ne peuvent donc pas être taxés par le gouvernement.
J'ai discuté en détail du cas où les gagnants peuvent être taxés dans mon billet sur la taxe sur les surprofits de l'énergie, je vais donc simplement résumer les principaux points ici. Tout d'abord, si les hausses de prix sont causées par une pénurie d'approvisionnement mondiale (provoquée par des guerres ou autre chose), la hausse des prix a pour effet d'égaliser l'offre et la demande. Tout transfert doit garantir qu'il ne réduise pas de manière significative l'incitation des consommateurs et des entreprises à économiser sur ce produit rare et celle des producteurs à en accroître l'offre. Le pétrole et le gaz constituent un cas particulier, car nous ne voulons pas que les producteurs augmentent l'offre de ces produits pour ne pas alimenter changement climatique.
Pour la plupart des pays, les gagnants se trouvent à l’étranger et ne sont pas imposables. L’impact sur les consommateurs peut toujours être amorti par les gouvernements, mais quel poste de l’identité du budget de l’État devrait changer pour concorder avec cette aide ? Augmenter les impôts serait simple, mais il y a le risque de simplement remplacer une cause de mécontentement (la baisse des revenus réels due à la hausse des prix des matières premières) par une autre (la baisse des revenus due à la hausse des impôts).
Les aides aux consommateurs pourraient sinon être financées par une augmentation du stock de dette publique ou des réserves détenues par les banques. Cela ne peut être fait si le choc sur les prix est permanent et souvent les gouvernements ne savent pas si les chocs sur les prix seront permanents ou temporaires, mais une aide peut être donnée en faisant l’hypothèse qu’elle est temporaire, puis supprimée progressivement si le choc se révèle plus persistant qu’initialement prévu. Dans la mesure où le financement par le déficit n’est qu’un report d’impôts, les gens finissent par payer pour les aides à un moment ou à un autre, mais comme les électeurs les moins engagés ne voient généralement pas les déficits de cette façon (ou pensent qu’eux-mêmes ou leurs proches ne paieront pas les impôts futurs plus élevés), cette forme de financement sera plus populaire que le recours à des augmentations d’impôts immédiates. Que la situation macroéconomique justifie ou non le financement par endettement des aides (une relance budgétaire) est une autre question, mais la réponse dépendra probablement du contexte, il est difficile de discuter en termes généraux.
Je sais que cela semble de plus en plus inutile de nos jours, mais permettez-moi tout d’abord de demander si protéger les consommateurs d’une partie de l’impact d’un choc mondial sur les prix est optimal d’un point de vue macroéconomique. Supposons que le financement par déficit de toute aide consiste essentiellement à retarder plutôt qu’à éviter le paiement par les consommateurs (c’est-à-dire qu’ils évitent certains coûts aujourd’hui, mais paient des impôts plus élevés dans les années suivantes). Ici, je pense que nous devons distinguer entre différents types de consommateurs.
Si le gouvernement compense partiellement les consommateurs pour un choc sur les prix, mais que les consommateurs finissent par payer les aides via des impôts plus élevés, pour l’essentiel le gouvernement lisse l'impact du choc sur les revenus des consommateurs au fil du temps. La plupart des consommateurs ont suffisamment d’épargne pour le faire eux-mêmes et n'ont pas besoin que le gouvernement le fasse pour eux, donc l'intervention du gouvernement est inutile mais relativement bénigne.
Cependant, une minorité significative de consommateurs pauvres n’ont pas la capacité d’atténuer l’impact du choc sur leurs revenus et trouveraient difficile, impossible ou tout simplement trop coûteux d’emprunter pour le faire. Pour ce groupe, l’État peut utilement agir comme un lisseur de revenu/consommation.
Il y a aussi un argument redistributif en faveur du soutien aux consommateurs les plus pauvres après un choc sur le prix des matières premières. Si les matières premières sont de l’énergie ou de la nourriture, ce sont des produits de première nécessité et une hausse de leurs prix augmentera la pauvreté absolue et relative. Cela suggère qu’il y a un argument économique en faveur de l’octroi d’aides aux ménages les plus pauvres après une hausse du prix des matières premières qui sont des produits de première nécessité, financées par une hausse des impôts payés par les ménages les plus prospères, soit au moment du choc sur les prix (ce qui est politiquement impopulaire), soit plus tard (via le financement par endettement).
Pour en revenir à la politique, les aides aux ménages les plus pauvres versées à la suite d’une hausse du prix des matières premières auraient-elles un impact politique significatif en protégeant le gouvernement de l’impopularité d’une hausse des prix ? Le problème évident est que cela laisserait un grand nombre d’électeurs moins engagés mais relativement aisés mécontents du gouvernement. En effet, pour beaucoup, les aides aux ménages les plus pauvres pourraient accroître leur mécontentement. Comme je l’ai noté ici, les électeurs socialement conservateurs se radicalisent à droite dans les périodes difficiles en raison de leur inquiétude à l’égard des "pauvres non méritants".
Cela rend très tentant pour les gouvernements d’étendre les compensations à tous les consommateurs ou à la plupart d’entre eux, à condition qu’ils puissent contourner ou ignorer les règles budgétaires qui limitent le financement par endettement. Pourtant, même dans ce cas, cela peut avoir un effet limité en termes politiques. Les aides versées après une hausse des prix pour compenser la perte de revenus des consommateurs laissent en place le choc qu’il y a à payer des prix plus élevés, et pour les électeurs moins engagés cela peut vraiment compter. (Dans le cas des États-Unis, où la croissance réelle des salaires a été forte récemment, l’idée est que les gens pensent que le gouvernement est responsable de la hausse des prix, mais qu’ils sont individuellement responsables des hausses de salaires qu’ils ont obtenues.)
Ce problème pourrait être évité si les subventions prenaient une forme telle qu’ils empêchent les prix payés par les consommateurs d’augmenter en premier lieu, mais faire cela mettrait fin à l’incitation des consommateurs à se tourner vers des substituts aux produits coûteux. Si tous les gouvernements faisaient cela, alors les prix augmenteraient encore davantage de façon à équilibrer le marché.
Donc, les bénéfices pour un gouvernement qui tenterait d’amortir l’impact d’une hausse du prix des matières premières sur les consommateurs en étalant son coût dans le temps sont incertains. Nous le soupçonnions déjà : de nombreux gouvernements ont fourni une aide après la hausse des prix de l’énergie et nous savons que parmi ceux qui se sont présentés aux élections récemment, aucun n’a survécu. »
Simon Wren-Lewis, « Should governments protect citizens from external shocks to living standards? », in Mainly Macro (blog), 26 novembre 2024. Traduit par Martin Anota
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