« Au moment où j’écris ces lignes, une semaine après les élections nationales américaines, il semble que le parti républicain du président nouvellement élu Donald Trump va prendre le contrôle des deux chambres du Congrès, ce qui permettra à celui-ci de mettre en œuvre son programme économique. Il a été clair quant à ses intentions : des droits de douane pour protéger les États-Unis, des baisses d’impôts pour aider les entreprises et l’expulsion des immigrés sans papiers.
Equipé des principes macroéconomiques que l’on trouve dans les manuels, mais aussi avec l’humilité nécessaire à toute prévision, je prédis qu’il sera déçu par les résultats. Je prédis également, cependant, que le résultat ne sera pas la catastrophe économique contre laquelle ses détracteurs nous mettent en garde, à moins qu’il ne force la Réserve fédérale américaine à faire ce qu’il désire, auquel cas tous les paris sont ouverts.
Prenons les droits de douane. Trump a promis d’imposer un droit de douane de 10 % sur toutes les importations et de 60 % sur celles en provenance de Chine. (Certains affirment qu’il pourrait utiliser cela comme un coup d’ouverture pour une négociation et reculer s’il obtient ce qu’il veut. Je suis sceptique, ne serait-ce qu’en raison de son apparent amour pour les recettes douanières.)
Les effets initiaux pourraient fonctionner en grande partie comme il l’espère. Les importations américaines chuteront, les recettes douanières augmenteront (mais pas autant qu’il l'espère, précisément parce que la base fiscale, à savoir les importations, diminuera) et le déficit commercial du pays diminuera.
Mais ce ne sera que le début de l’histoire.
Supposons tout d’abord qu’il n’y ait pas de représailles tarifaires au coup pour coup de la part de la Chine ou de l’Europe. Comme la demande américaine se déplace des biens étrangers vers les biens domestiques, une demande plus élevée de biens domestiques dans une économie qui est déjà au plein emploi exercera une pression à la hausse sur les prix. Cette pression obligera la Fed à relever ses taux d’intérêt pour garder l’inflation sous contrôle. En raison de taux d’intérêt plus élevés et de l’amélioration de la balance commerciale, le dollar s’appréciera, exactement le contraire de ce que Trump désire. Les exportations américaines souffriront et le déficit commercial ne s’améliorera pas beaucoup, voire pas du tout.
Les représailles chinoises et européennes, toutes les deux probables, modifieront le scénario, mais pas à l'avantage des Etats-Unis. Les exportateurs américains souffriront davantage. La balance commerciale pourrait ne pas s’améliorer du tout. En net, la baisse des importations et des exportations pourrait entraîner une ralentissement plutôt qu’une accélération de l’activité économique. Même alors, les droits de douane entraîneront toujours une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt, laissant l’administration Trump ne pas tirer grand-chose finalement de sa hausse des droits de douane.
Les exportateurs mécontents, la faible amélioration (s’il y a amélioration) du déficit commercial, une inflation probablement plus élevée et un dollar plus fort ne réjouiront pas Trump. Que fera-t-il ?
Doubler la mise serait dans son caractère. Mais l’opposition des exportateurs vis-à-vis des nouveaux droits de douane et les effets inflationnistes de ceux-ci sont susceptibles de le dissuader de poursuivre sur cette voie. Un recul et une réduction des droits de douane seront également peu probables. Donc, le scénario le plus probable est que les droits de douane resteront en place. Si tel est le cas, les bonnes nouvelles initiales sur le front du commerce international et de la production, durant peut-être jusqu’aux élections de mi-mandat de 2026, s’estomperont, laissant derrière elles les effets négatifs habituels d’une réduction des échanges, c’est-à-dire une moindre utilisation de l’avantage comparatif.
Penchons-nous à présent sur l’immigration : Trump a promis d’expulser les immigrés clandestins. On estime leur nombre à environ 11 millions et certains parlent d’en expulser environ 1 million par an.
Il y a environ 160 millions de personnes en emploi aux États-Unis. Donc, si Trump expulsait 1 million d’immigrants par an, cela réduirait l’emploi de 0,5 % par an, avec une baisse finale totale de 5 %. Les postes vacants seraient plus nombreux et resteraient importants, tout comme le ratio emplois vacants/chômeurs, ce qui entraînerait des pressions inflationnistes soutenues. La Fed réagirait en relevant ses taux d’intérêt, provoquant une appréciation du taux de change, de nouveau quelque chose que Trump ne souhaite pas voir.
Ce ne sera pas le cas, étant donnée l’ampleur des chiffres dans ce scénario. Les employeurs mécontents, en particulier dans l’agriculture, la construction et la restauration, se feront rapidement assez entendre pour que le rythme des expulsions ralentisse. L’inflation, qui s’est également révélée politiquement extrêmement coûteuse, ferait probablement réfléchir Trump à deux fois. Ainsi, on doit supposer que les expulsions, même si elles ont lieu, seront en grande partie symboliques, touchant des dizaines ou des centaines de milliers de personnes plutôt que des millions. Si les expulsions ont lieu, elles entraîneront une inflation, des taux d’intérêt plus élevés et potentiellement un conflit potentiel avec la Fed. J’y reviens ci-dessous.
Penchons-nous sur la fiscalité : Trump a promis de prolonger les réductions d’impôts adoptées en 2017. Il est très probable que cela se produise. En outre, il a suggéré à plusieurs reprises que les prestations de sécurité sociale et les pourboires deviennent entièrement non imposables, que les déductions fiscales des États et des collectivités locales soient augmentées et que le taux d’imposition des sociétés, qui a été réduit de 35 à 21 % en 2017, soit de nouveau réduit pour atteindre 15 % pour les entreprises manufacturières. Ces mesures pourraient toutefois être rejetées par un certain nombre de républicains conservateurs de la Chambre des Représentants, ce qui conduirait à un paquet budgétaire plus limité, mais toujours substantiel.
Toute discussion sur les plans budgétaires doit partir du fait que le déficit budgétaire fédéral est déjà extrêmement large. Le ratio de la dette fédérale sur le PIB est de 100 %. Le déficit représente environ 6,5 % du PIB et le déficit primaire environ 3,5 %. Si les baisses d’impôts de 2017 devaient expirer, le déficit diminuerait de 1 % du PIB en 2025. Mais même dans cette hypothèse, le Congressional Budget Office prévoyait des déficits primaires d’environ 3 % aussi loin où nous pouvons regarder. Les mesures envisagées par Trump augmenteraient ce chiffre d’environ 1 à 2 points de pourcentage, conduisant à un déficit primaire durable de 4 à 5 % et à une augmentation rapide du ratio dette publique sur PIB. Si le taux d’intérêt et le taux de croissance étaient à peu près égaux, ce qui semble une hypothèse raisonnable, cela impliquerait un ajustement du déficit primaire de 4 à 5 % du PIB ou, de façon équivalente, de 16 à 20 % du budget fédéral, pour stabiliser le ratio d’endettement. C’est un chiffre extrêmement élevé et il n’y a aucune raison de penser que les réductions des taux d’imposition sur les sociétés, même si elles stimulent l’investissement et la croissance potentielle, réduiront substantiellement le déficit au cours des toutes prochaines années.
Si Trump mettait en œuvre toutes les mesures qu’il a suggérées, l’une des questions sera de savoir combien d’années il faudrait aux investisseurs pour remettre en question le statut sans risque des bons du Trésor américain. Personne ne sait avec certitude si cette remise en question débutera durant sa présidence ou après. En tout cas, si cela survient et que les investisseurs commencent à exiger une prime de risque, cela conduirait probablement à une politique budgétaire plus responsable. En laissant de côté cette question du risque, il est toutefois probable qu’une nouvelle expansion budgétaire, à partir d’une économie proche du plein emploi, mènera à l’inflation et, par conséquent, à des taux directeurs de la Fed plus élevés et à un dollar plus fort. De nouveau plus, ce scénario pourra déclencher un conflit avec la Fed.
Donc, peut-être que la question la plus cruciale est celle de savoir ce que la Fed fera. Si elle s’en tient à son mandat, elle douchera certains des espoirs de Trump a avec les tarifs douaniers, les expulsions et les réductions d’impôts. Elle devra limiter la surchauffe économique, augmenter les taux d’intérêt et amener le dollar à s’apprécier.
La grande question est donc de savoir si Trump peut forcer la Fed à abandonner son mandat et à maintenir des taux d’intérêt bas face à une inflation plus élevée. Le président de la Fed, Jay Powell, a clairement indiqué qu’il restait attaché à son mandat et qu’il resterait à la tête de la Fed jusqu’à l’expiration de son mandat en mai 2026 (son mandat de membre du conseil se termine en 2028). Il est peu probable que les membres actuels du conseil de la Fed suivent une ligne différente. Mais un poste au conseil se libérera en janvier 2026 et Trump pourrait chercher à nommer un membre du conseil plus docile à ce poste. Si tel est le cas et que le conseil accepte (ce qui est improbable), le résultat sera des taux d’intérêt bas, une surchauffe et une inflation plus élevée. Etant donnée l’impopularité d’une forte inflation, sans parler de la réaction des marchés financiers à la perte d’indépendance de la Fed, cette perspective pourrait suffire à faire hésiter Trump à suivre cette option.
J’ai laissé de côté d’autres conséquences économiques possibles qui sont pertinentes au niveau macroéconomique, notamment la déréglementation (en particulier du système financier), la politique énergétique, la plus grande liberté donnée au secteur des crypto-monnaies et les effets d’une plus grande incertitude économique sur l’investissement et la consommation. Si je devais résumer mes prédictions : l’économie de Trump pourrait paraître bonne pendant un certain temps, avec une forte croissance économique (malgré les perceptions des électeurs lors des dernières élections, l’administration Biden a laissé à l’administration Trump une économie américaine forte, un précieux cadeau dans ce contexte). Il n’est pas judicieux de prédire une catastrophe immédiate ou un krach boursier, comme certains l'avaient fait en 2016. Mais les effets positifs initiaux vont probablement s’essouffler et peut-être s’inverser, peut-être avant la fin du mandat de Trump. »
Olivier Blanchard, « How will Trumponomics work out? », PIIE, Realtime Economics (blog), 13 novembre 2024. Traduit par Martin Anota
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