« Trump a remporté une victoire personnelle aux élections de 2024, en remportant tous les États pivots (swing States), en améliorant sa part de suffrages à peu près partout et, contrairement à sa victoire de 2016, en recueillant une majorité absolue du vote populaire. En outre, il a conduit le Parti républicain à une majorité sénatoriale plus importante que prévu et, même si de nombreuses élections à la Chambre des représentants restent à déterminer, une majorité élargie à la Chambre pourrait également en résulter. Ces gains sont plus qu’incrémentaux ; en fait, ils pourraient annoncer une nouvelle ère dans la politique américaine.
Les politologues et les historiens passeront des années à analyser les causes et l’importance de cette élection. Ma focale est plus immédiate. Bien que les données soient imparfaites et incomplètes, je vais apporter des réponses préliminaires à deux questions, qui sont en réalité les deux faces d’une même médaille : pourquoi Donald Trump a-t-il remporté l’élection présidentielle de 2024 et pourquoi Kamala Harris a-t-elle perdu ?
La victoire de Trump
La théorie de Donald Trump était globalement correcte. Lui et ses directeurs de campagne pensaient qu’il était possible de s’appuyer sur la force croissante des Républicains parmi les électeurs blancs de la classe laborieuse pour créer une coalition multiethnique de la classe laborieuse. Il avait raison : si les sondages à la sortie des urnes se révèlent exacts, il a fait des progrès parmi les Latinos et les Afro-Américains, en particulier parmi les hommes. Il a augmenté la part qu’il a obtenu dans les suffrages exprimés par les hommes noirs est passée de 12 % à 20 % et la part qu’il a obtenue parmi les suffrages exprimés par les hommes hispaniques a augmenté de neuf points, passant de 45 % à 54 %.
L'équipe de campagne de Trump pensait également pouvoir améliorer ses performances auprès des jeunes adultes, ce qu'elle a effectivement fait : sa part de suffrages dans cette catégorie est passée de 35 % en 2020 à 42 % cette année. Des données anecdotiques suggèrent que l’essentiel de cette hausse reflète un basculement vers Trump chez les jeunes hommes. Trump a passé beaucoup de temps dans des podcasts, comme celui de Joe Rogan, dont le public principal est ce groupe qui est sinon difficile à atteindre.
Après les primaires républicaines, les partisans victorieux de Trump ont dû faire un choix : soit modérer leur message pour toucher les partisans déçus de Nikki Haley, qui a mené une campagne conservatrice traditionnelle à la Reagan, soit continuer de chercher à séduire la base républicaine tout en bénéficiant du soutien réticent de son adversaire défait. Ils ont choisi la deuxième option et ont gagné le pari que le parti s’unifierait autour d’eux. Donald Trump a reçu 94 % des voix républicaines et, en prime, il a réduit l’avantage démocrate parmi les indépendants de neuf points en 2020 à cinq points cette année.
Les choix tactiques de la campagne de Trump ont porté leurs fruits. Trois d’entre eux se sont révélés déterminants. Premièrement, convaincue que le lien personnel étroit entre Trump et ses partisans ferait l’essentiel du travail de mobilisation, la campagne a décidé de ne pas investir massivement dans l’organisation traditionnelle de mobilisation des électeurs et de confier cette tâche à des organisations de soutien. Bien que la campagne de Harris ait vanté son avantage sur le terrain, rien ne prouve que cela ait fait une grande différence.
Deuxièmement : la campagne de Trump a décidé que la position de Harris sur les questions autour de la transidentité était le "Willie Horton" de 2024 et a investi massivement dans une publicité négative qui a dominé les ondes dans tout le Sud. Des preuves anecdotiques suggèrent que cette campagne a contribué à affaiblir les efforts de Harris visant à se présenter comme une candidate de centre-gauche pleine de bon sens plutôt que comme une émissaire de San Francisco.
Troisièmement : Donald Trump a choisi de moduler sa position sur l’avortement en déclarant très tôt que chaque État devait décider par lui-même sur cette question, puis en doublant la mise en promettant d’opposer son veto à une interdiction nationale de l’avortement. De nombreux opposants de longue date à l’avortement ont été déçus et certains ont été scandalisés. Néanmoins, cela n’a rien coûté à Trump, qui a remporté 81 % des voix parmi les évangéliques blancs, soit un score pratiquement inchangé par rapport à celui qu’il avait obtenu il y a quatre ans.
La défaite de Harris
La campagne de Harris a toujours été en dents de scie. Elle a été vice-présidente d’un président dont la cote de popularité a chuté au milieu de sa première année de mandat et qui ne s’est jamais rétablie. Le jugement du public sur sa performance sur deux questions fondamentales, à savoir l’inflation et l’immigration, était extrêmement négatif et Harris a hérité de cette désapprobation lorsque Joe Biden a abandonné sa course pour un second mandat.
Le fait que Biden ait attendu si longtemps avant de quitter la course a également joué en défaveur de Kamala Harris. La décision tardive du président l’a privée de l’occasion d’affiner ses arguments lors d’une primaire et a raccourci le temps dont elle disposait pour se présenter aux électeurs. Elle a fait de son mieux dans les circonstances en unifiant rapidement le parti et en s’appuyant sur l’appareil de campagne de Biden plutôt qu’en partant de zéro, mais elle n’a jamais entièrement surmonté les difficultés découlant du calendrier de Biden.
La théorie de Harris était erronée. En prenant des exemples des élections de 2022, elle a supposé que mettre les droits reproductifs au centre de son programme mobiliserait une armée de femmes en colère et les inciterait à se rendre massivement aux urnes. Cela n’a pas été le cas. La part des femmes dans le total des suffrages exprimés n’a augmenté que marginalement par rapport à son niveau de 2020 et la part des femmes ayant voté pour Harris n’a pas augmenté par rapport à la part des femmes qui ont voté pour Biden en 2020. Il est difficile d’évaluer dans quelle mesure l’accent mis sur l’avortement a contribué au mauvais score de Harris auprès des hommes (elle n’a obtenu que 43 % de leurs suffrages, contre 48 % pour Biden en 2020), mais cela n’a rien fait pour les convaincre qu’une administration Harris serait sensible à leurs préoccupations.
Son argument final, selon lequel Donald Trump représente un danger clair et immédiat pour la démocratie, n’a guère eu plus de succès. Cela s’explique par le fait que de nombreux républicains et indépendants ont vu en Harris et en les démocrates plus généralement les véritables menaces pour la démocratie et aussi parce que l’accusation n’a apporté aucune nouvelle information susceptible de faire changer d’avis les électeurs qui n’avaient pas encore pris leur décision. Donald Trump est peut-être le candidat le plus connu de l’histoire américaine moderne, ce qui rend difficile de changer l’opinion de quiconque à son égard.
Les choix tactiques de Harris ont aggravé ses problèmes. Premièrement, elle a laissé passer des opportunités de clarifier son image politique. Bien que l’impopularité de Biden ait pesé sur sa campagne, elle a refusé de se démarquer de lui de quelque manière que ce soit pour convaincre les électeurs. De même, en refusant d’expliquer pourquoi elle avait abandonné les positions progressistes sur la criminalité, l’immigration, la santé et le changement climatique, elle a brouillé la perception que le public avait d’elle et a ouvert la porte à l’accusation d’être une radicale lancée par la campagne de Trump. En repensant à la campagne victorieuse de Bill Clinton en 1992, certains démocrates espéraient que Harris aurait un "moment Sister Souljah" au cours duquel elle romprait avec une certaine orthodoxie du parti afin de montrer son indépendance, mais cela n’a pas eu lieu.
Deuxièmement, la décision de Harris d'éviter les interviews avec les médias pendant la première moitié de sa campagne a donné l'impression qu'elle dépendait de remarques préparées à l'avance et qu'elle avait peur de réfléchir spontanément par elle-même. Répondre à des questions difficiles peut améliorer la réputation qu’un candidat renvoie en termes de compétence et de caractère, un avantage potentiel dont Harris et sa campagne ont semblé ignorer bien trop longtemps.
Conclusion
Les démocrates savaient que l'élection serait serrée, mais l'ampleur de leur défaite va probablement déclencher des récriminations, puis une longue période d'introspection. Comme ce fut le cas après la défaite de Michael Dukakis en 1988, le parti sera contraint de s'engager dans un débat sur les causes de sa défaite et ce qui sera certainement une campagne des élections primaires longue et animée déterminera la voie à suivre.
Entre-temps, le président Trump devra relever le défi de tenir les promesses ambitieuses qu’il a faites pendant sa campagne. Il reste à voir s’il pourra imposer des droits de douane massifs sans augmenter les coûts pour les ménages moyens et sans déclencher une nouvelle vague d’inflation. Il est également incertain de savoir s’il pourra apaiser les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient aussi rapidement qu’il le prétend tout en réduisant les engagements internationaux de l’Amérique. Et il est possible que la tentative d’expulser des millions d’immigrés présents aux États-Unis lui explose au visage en provoquant des troubles civils et une réaction négative parmi les électeurs latinos qui se sont ralliés à cette cause. S’il ne parvient pas à répondre aux espoirs qu’il a suscités, en particulier chez les nouveaux partisans qui lui ont donné la majorité, lui et son parti pourraient en payer le prix en 2026 et au-delà. »
William A. Galston, « Why Donald Trump won and Kamala Harris lost: An early analysis of the results », 6 novembre 2024. Traduit par Martin Anota
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