lundi 26 mai 2025

L’aide étrangère semble efficace… maintenant qu’elle a pris fin

« Joni Mitchell chantait : "On dirait toujours que ça s'en va, qu'on ne sait pas ce qu'on a jusqu'à ce qu'on ne l’ait plus". Elle se lamentait de la dégradation de l'environnement. L'aide aux pays en développement (l’aide publique au développement) est peut-être maintenant dans la même catégorie.

Combien dépensent les États-Unis ?

Au cours des huit dernières décennies, les Américains ont dépensé plus en aide humanitaire, en programmes de développement économique et en autres aides étrangères que tout autre pays : 72 milliards de dollars par le gouvernement américain en 2024 et davantage par les ONG privées.

On doit noter que les autres pays riches dépensent davantage par habitant. L'aide étrangère américaine, en pourcentage du revenu, se classe au 24ème rang mondial, avec seulement 0,24 %, ce qui est un quart de ce que donnent un habitant d'Europe du Nord. De plus, l'aide étrangère américain ne représente que 1 % des dépenses publiques totales des États-Unis. Ce chiffre est bien inférieur à ce que pense le public américain (environ 25 % selon divers sondages).

Le pessimisme domine

Beaucoup d’Américains estiment que l'aide étrangère a échoué. Plus surprenant, d'éminents universitaires ont partagé les impressions de l'homme de la rue. Les critiques pointent les inconvénients de l'aide, affirment qu'elle ne fait pas de différence significative. (Analysant 97 études, Doucouliagos et Paldam [2009] ont décelé une relation statistiquement non significative entre l’aide publique et la croissance économique. Rajan et Subramanian [2008] et Quibria [2014] sont également arrivés à cette conclusion. Rodrik considère l’aide au développement comme quasiment inutile.) D’autres affirment qu’elle est en définitive néfaste. Dambisa Moyo et Bill Easterly comptent parmi les plus éminents de ces sceptiques. (Les autres incluent P.T. Bauer, Thomas Dichter et Roger Riddell.)

Les critiques soulignent, à juste titre, que le développement économique dépend davantage des décisions que prend le pays que de celles que font les experts bien intentionnés des pays riches. Ils évoquent des histoires d'horreur de programmes d'aide malavisés qui ont été victimes d'une mauvaise gestion, d'une ingérence gouvernementale excessive ou de la corruption. Le Vietnam dans les années 1960, le Zaïre dans les années 1980 et l'Afghanistan dans les années 2010 sont trois exemples parmi tant d'autres de pays où l'aide étrangère a été mal orientée dès le départ.

Certes, certains économistes ont réaffirmé l'utilité de l'aide au développement ; c’est le cas de Paul Collier et Jeffrey Sachs. Certains mettent l'accent sur les conditions dans lesquelles les bénéfices tendent à l'emporter sur les coûts [Banerjee et Duflo, 2012 ; Burnside et Dollar, 2000 ; Easterly et Pfutze, 2008 ; Edwards, 2015 ; Easterly, 2002]. Néanmoins, un lecteur instruit mais peu au fait en affaires étrangères aurait probablement eu l'impression que l'aide étrangère n'est pas nécessairement bénéfique.

Les nombreuses réussites de l’aide étrangère

C'est-à-dire que les lecteurs auraient pu garder cette impression jusqu'en février. Mais peu après l'investiture de Donald Trump, lorsque ce dernier et Elon Musk ont fermé l'USAID de manière extrêmement destructrice, nous avons soudainement commencé à entendre parler des projets vitaux et efficaces que les États-Unis finançaient. L'aide étrangère, en particulier l'aide humanitaire, s'avère plus populaire pour la majorité qu'on ne le pensait. L'attitude du public reflète de véritables succès.

Les réussites ont été particulièrement remarquables en matière de santé publique. Le Plan d'aide d'urgence du Président pour la lutte contre le sida (PEPFAR) a sauvé des millions de vies du VIH et du sida, en particulier en Afrique, depuis son lancement par le Président George W. Bush en 2003. L'Initiative présidentielle contre le paludisme a permis d'éviter 2 milliards de cas de paludisme au cours des vingt dernières années, réduisant ainsi de moitié le taux de mortalité. L'Alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation (GAVI), qui reçoit un soutien de la part du gouvernement américain, a vacciné plus d'un milliard d'enfants contre la rougeole, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche et d'autres maladies potentiellement mortelles, empêchant ainsi la survenue d’environ 19 millions de décès futurs. La polio a été éliminée dans tous les pays sauf deux ; la variole a été éliminée partout.

Ces efforts expliquent en grande partie pourquoi la mortalité infantile a fortement baissé. Au dix-neuvième siècle, dans le monde, 43 % des enfants mouraient avant leur cinquième anniversaire. Au cours des cent dernières années, le taux de mortalité infantile a été ramené à seulement 4 %. Les vaccins et autres initiatives de santé publique sont responsables de l’essentiel de cette amélioration.

La participation aux initiatives mondiales de santé qui réduisent la propagation de maladies infectieuses comme Ebola, le VIH/SIDA, la tuberculose et le Covid-19, non seulement sauve des millions de vies dans les pays pauvres, mais s’avère payante même si l’on ne considère que le danger de contagion atteignant les pays riches.

L'aide étrangère a aussi amélioré l'agriculture dans les pays en développement. L'aide internationale a rendu possible la Révolution verte (le développement et la diffusion de variétés de cultures améliorées, utilisées avec des engrais synthétiques, de nouveaux pesticides et l’irrigation moderne) dans la seconde moitié du vingtième siècle. La Révolution verte a augmenté les rendements des céréales asiatiques de 60 %, permettant à l'Inde et à d'autres pays de devenir autosuffisants en matière d’alimentation, d'augmenter les revenus et de réduire la mortalité infantile de 2 à 5 points de pourcentage entre 1961 et 2000, par rapport à un taux initial de 18 %.

En outre, les États-Unis dépensent 4 milliards de dollars par an en aide alimentaire à l’étranger (même si celle-ci est souvent conçue pour bénéficier aux agriculteurs américains).

Des programmes comme le plan Marshall américain ont connu un succès spectaculaire après la Seconde Guerre mondiale, en aidant l'Europe et le Japon à se redresser et en jetant les bases de huit décennies de paix et de prospérité mondiales relatives, sous la direction des États-Unis. Plus récemment, l'aide étrangère a permis à l'Ukraine de résister à la pire attaque contre le territoire souverain d'un pays européen depuis les années 1940. L'aide internationale, notamment pour des causes aussi nobles que les secours en cas de catastrophe et le soutien aux droits de l'homme et à la démocratie, a été une composante importante du soft power américain. C'est le soft power, au moins autant que la puissance militaire, qui a permis de remporter la Guerre froide – et la puissance militaire est bien plus coûteuse. Elle maintiendrait encore aujourd'hui la primauté des États-Unis dans le monde si le gouvernement actuel ne la sapait pas assidûment, comme s'il cherchait délibérément à céder la place à la Chine. (L'expression "soft power" a été inventée par mon collègue Joe Nye, décédé ce mois-ci.)

Pourquoi le pessimisme est-il si dominant ?

Les économètres ont des difficultés à établir une connexion directe entre l'aide étrangère et la croissance économique, parce que de nombreux autres facteurs causaux sont à l’œuvre. En outre, une grande partie de l'aide américaine est conçue pour poursuivre des objectifs politiques ou militaires, plutôt qu'humanitaires, sociaux ou économiques. Les principaux bénéficiaires de l'aide étrangère américaine, après l'Ukraine, sont Israël, l'Égypte et la Jordanie. Mais seulement un cinquième de l'aide étrangère américaine transite par des gouvernements étrangers. Lorsque c’est faisable, elle passe par des ONG locales, ce qui réduit le risque de corruption.

Il serait déraisonnable d'imaginer que les améliorations en matière de morbidité, de mortalité et de nutrition n'aient pas également amélioré les performances économiques, au-delà de l'amélioration directe des conditions de vie des populations. Il semble évident que l'aide étrangère contribue au développement, même si ce n’est pas elle qui y contribue le plus.

Pourquoi la vision pessimiste de l'aide étrangère a-t-elle tant dominé les médias jusqu'à présent ? Une bonne explication est que le pessimisme pour tout domine, en particulier pour tout ce que font les gouvernements. Nous aimons entendre que les choses se passent mal.

Une grande majorité des personnes interrogées aux États-Unis et dans d'autres pays riches pense à tort que le taux de mortalité infantile dans les pays pauvres a augmenté ou est resté stable. En réalité, la mortalité infantile a diminué de plus de moitié depuis 2000. De même, 80 % des personnes interrogées pensent à tort que le taux mondial d'extrême pauvreté a augmenté ou est resté stable, alors qu'il a en réalité fortement diminué entre 1990 et 2013 (il stagne depuis). Si les gens n'ont pas entendu les informations, ils ne peuvent pas savoir que l'aide étrangère et la vaccination sont responsables de l’essentiel de ces améliorations.

Quelles qu’aient été les limites de l'aide étrangère par le passé, il est clair que l'approche destructrice de Trump aggrave considérablement les choses. Vous ne savez ce que vous aviez que lorsque vous le perdez. »

Jeffrey Frankel, « Foreign aid looks good, now that it’s gone »Econbrowser (blog), 24 mai 2025. Traduit par Martin Anota

 

Références

Banerjee, Abhijit, & Esther Duflo (2012), Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way to Fight Global Poverty.

Bourguignon, François, & Mark Sundberg (2007), « Aid Effectiveness – Opening the Black Box », American Economic Review, vol. 97, n° 2.

Burnside, Craig, & David Dollar (2000), « Aid, policies, and growth », American economic review, vol. 90, n° 4.

Collier, Paul (2007), The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It, Oxford University Press.

Doucouliagos, H. ,& M. Paldam (2009), « The aid effectiveness literature: The sad results of 40 years of research », Journal of Economic Surveys, vol. 23, n° 3.

Easterly, William (2002), « The tragedy of foreign aid is not that it didn’t work ».

Easterly, William, & Tobias Pfutze (2008), « Where Does the Money Go? Best and Worst Practices in Foreign Aid », Journal of Economic Perspectives.

Edwards, Sebastian (2015), « Economic Development and the Effectiveness of Foreign Aid: A Historical Perspective », Kyklos, vol. 68, n° 3.

Moyo, Dambisa (2012), Dead Aid: Why Aid Is Not Working and How There Is a Better Way for Africa.

Rajan, Raghu, & Arvind Subramanian (2008), « Aid and Growth: What Does the Cross-Country Evidence Really Show? », Review of Economics and Statistics, vol. 90, n° 4.

Sachs, Jeffrey (2005), The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time, Penguin Press.

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