« La productivité, les revenus, la consommation et l’investissement sont structurellement faibles en Europe depuis le début du millénaire et ils ont considérablement divergé de ceux des États-Unis.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Après la Seconde Guerre mondiale, la productivité du travail en Europe a convergé : en 1945 ; elle représentait 22 % de la productivité américaine, contre 95 % en 1995. Et pendant la majeure partie de cette période, la demande domestique de la zone euro, en pourcentage du PIB, se situait au milieu de la fourchette des économies avancées.
Mais à partir du milieu des années 1990, la croissance relative des États-Unis et de la zone euro a été bouleversée par deux chocs majeurs.
Le premier a été le choc technologique provoqué par Internet, à partir duquel la convergence de la productivité de l’UE avec celle des États-Unis s’est arrêtée, puis inversée. L’écart de productivité qui a émergé depuis lors entre les deux économies s’explique en grande partie par la croissance plus rapide de la productivité du secteur technologique américain.
Le deuxième choc a été la grande crise financière et la crise de la dette souveraine, à la suite desquelles l’orientation de la zone euro s’est détournée de la demande domestique.
On entend souvent dire que la mondialisation est responsable de ce changement, car elle a beaucoup plus affecté l’économie de l’UE que celle des États-Unis. Mais la première vague de mondialisation n’a pas eu beaucoup d’effet sur l’excédent de la balance courante de la zone euro, qui a fluctué entre - 0,5 % et 1 % du PIB du milieu des années 1990 jusqu’à environ 2008. L’excédent structurel du secteur des ménages de la zone euro a été compensé par les déficits de l’Etat et des entreprises, soutenus par une forte croissance du crédit.
Ce n’est que lorsque les "crises jumelles" (twin crises) ont éclaté que l’économie a fondamentalement changé.
Avec le décrochage de l’investissement et le resserrement de la politique budgétaire, les secteurs des entreprises et des gouvernements sont passés à un excédent. En conséquence, la demande domestique de la zone euro, en pourcentage du PIB, est tombée au plus bas de la fourchette des économies avancées.
Et l’écart relatif avec les États-Unis s’est creusé. Avant la grande crise financière, la demande domestique aux États-Unis augmentait environ 1,4 fois plus vite que dans la zone euro. Depuis, l’écart a été 2,2 fois supérieur.
L’orientation relative de la politique budgétaire a été un facteur important. De 2009 à 2019, l’orientation budgétaire collective corrigée des variations conjoncturelles dans la zone euro a été en moyenne de 0,3 %, contre - 3,9 % aux États-Unis. Et si nous regardons les déficits primaires en termes absolus, mesurés en euros de 2023, le gouvernement américain a injecté 14 fois plus de fonds dans l’économie : 7.800 milliards d’euros aux États-Unis et 560 milliards dans la zone euro.
L’offre relative de crédit privé a aggravé ce déficit de financement. Après la crise, le taux de croissance annuel des prêts bancaires aux entreprises dans la zone euro est tombé à zéro et n’est retourné en territoire positif qu’après 2016. Aux États-Unis, la croissance du crédit bancaire a retrouvé un rythme d’environ 5 % à partir de 2012 et s’y est maintenue.
L’effet net a été que la zone euro est devenue un exportateur structurel de capitaux, avec un excédent de la balance courante dépassant régulièrement 3 % du PIB après 2012. Les sorties de capitaux ont été en partie alimentées par les IDE après la crise, mais depuis lors, le principal moteur a été les flux de portefeuille, attirés par un rendement supérieur de l’épargne aux États-Unis.
On peut exagérer la mesure dans laquelle les gouvernements contrôlent leurs modèles économiques, qui dans une économie de marché sont la somme des décisions du secteur privé. Mais il est difficile de prétendre que ce résultat était entièrement accidentel.
Les gouvernements ont fait peu d’efforts pour compléter le marché intérieur de l’UE et l’application de ses règles s’est affaiblie, tandis que l’intégration des marchés de capitaux n’a guère progressé. Tous ces facteurs ont été un obstacle à la croissance de la productivité et au flux d’épargne vers l’investissement domestique.
En outre, les politiques européennes ont toléré une faible croissance des salaires comme moyen d’accroître la compétitivité extérieure, aggravant le cycle faible revenu-faible consommation. Depuis 2008, la croissance annuelle moyenne des salaires réels est presque quatre fois plus élevée aux États-Unis que dans la zone euro.
De très importants déséquilibres commerciaux internationaux ont exercé une pression à la baisse sur les taux d’intérêt réels, ce qui a créé une marge de manœuvre budgétaire pour que tous les gouvernements puissent aller à contre-courant de la faible demande domestique. Mais au moins jusqu’à la pandémie, en Europe, ils ont fait le choix politique délibéré de ne pas utiliser cette marge de manœuvre.
Dans l’ensemble, les décideurs politiques ont révélé une préférence pour une constellation économique particulière : celle basée sur l’exploitation de la demande étrangère et l’exportation de capitaux avec des niveaux de salaires bas. Mais cette constellation ne semble plus soutenable.
Depuis un certain temps, le marché chinois est devenu moins favorable aux producteurs européens à mesure que la croissance ralentissait et que les opérateurs locaux devenaient plus compétitifs et montaient dans la chaîne de valeur. Les exportations vers la Chine stagnent depuis 2020.
Le ralentissement a accru notre dépendance au marché américain, les exportations de biens de l’UE ayant augmenté de 13 % au cours de cette période. Mais la nouvelle administration américaine ne semble pas encline à agir comme notre acheteur en dernier ressort. Nous devrons faire face à une stratégie américaine visant délibérément à rééquilibrer la demande mondiale et à supprimer les excédents commerciaux de ses principaux partenaires commerciaux.
Le défi auquel l’Europe fait face aujourd’hui est que ni les politiques macroéconomiques, ni la structure du crédit privé ne sont bien placées pour combler le vide laissé par la demande extérieure. Et un facteur important connectant ces faiblesses est l’absence de réformes clés dans la structure des marchés des biens, des services et financiers.
Lorsque les politiques macroéconomiques fonctionnent bien, nous devrions assister à un "transfert" de la politique budgétaire à la politique monétaire au crédit privé qui assure un degré élevé de stabilité de la demande au fil du temps. Si la politique budgétaire s’assouplit suffisamment pour pousser la production au-dessus du potentiel et augmenter l’inflation, la politique monétaire se resserre et la création de crédit privé diminue. Et puis, lorsque la politique budgétaire s’inverse, la politique monétaire s’assouplit et le crédit privé augmente pour combler le vide.
Nous voyons actuellement ce processus se dérouler aux États-Unis, avec une politique budgétaire (pour l’instant) moins expansionniste, la Réserve fédérale assouplissant les conditions de financement et la création de crédit privé commençant à reprendre et à maintenir l’impulsion financière.
Mais cette interaction fonctionne parce que le "transfert" a lieu lorsque la croissance économique est forte, ce qui permet au crédit privé de prendre le relais. Dans la zone euro, cependant, deux facteurs structurels rendent les politiques macroéconomiques moins efficaces, ce qui entrave à son tour ce processus.
Tout d’abord, bien que la zone euro soit une grande économie, elle ne se comporte pas comme telle en raison de son marché intérieur incomplet. Le FMI estime que les barrières internes au sein du marché unique équivalent à un droit de douane ad valorem d’environ 45 % pour le secteur manufacturier de l’UE et à un droit de douane de 110 % pour le secteur des services. Aux États-Unis, le droit de douane manufacturier implicite entre les États est trois fois plus bas. Ces barrières limitent effectivement la marge de manœuvre budgétaire en Europe en maintenant la croissance potentielle en dessous de ce qu’elle pourrait être, ce qui réduit les recettes publiques potentielles et augmente les ratios dette publique/PIB. Le FMI estime que, si les barrières étaient réduites au niveau américain, le niveau de productivité du travail de l’UE serait presque 7 % plus élevé après sept ans.
Ces faiblesses structurelles accentuent la pression sur les décideurs politiques pour qu’ils freinent la politique budgétaire avant que la reprise ne soit forte et auto-entretenue, ce qui est la condition nécessaire pour que le crédit privé prenne le relais. Par exemple, aujourd’hui nous voyons que l’orientation budgétaire (ajustée à la conjoncture) dans la zone euro se dirige vers la neutralité, même si la croissance reste faible et la production inférieure au potentiel. Les barrières internes réduisent également la taille potentielle des multiplicateurs budgétaires. Comparée avec d’autres grandes économies, la zone euro est inhabituellement ouverte. Le commerce représente environ 55 % du PIB, contre 45 % au Japon, 37 % en Chine et 25 % aux États-Unis. Il existe de robustes analyses empiriques suggérant que les multiplicateurs budgétaires diminuent avec l’ouverture commerciale, car une partie de l’impulsion budgétaire sera satisfaite par une baisse des exportations nettes plutôt que par une augmentation de la production nationale.
Mais l’ampleur même de ces droits de douane internes signifie que, pour les produits élastiques vis-à-vis des prix, leur abolition créerait un puissant effet de détournement de la demande vers la demande domestique. L’intégration du marché unique permettrait donc probablement d’aligner l’ouverture commerciale de la zone euro sur celle des autres grandes économies et de renforcer les multiplicateurs budgétaires.
Le deuxième élément structurel qui affecte la stabilité de la demande en Europe est l’absence d’un marché des capitaux intégré. Lorsque la politique monétaire s’assouplit dans la zone euro, la transmission aux conditions de financement est susceptible d’être plus lente qu’aux États-Unis, en raison du poids plus important du financement bancaire par rapport aux marchés des capitaux. Cela affecte à son tour la vitesse à laquelle le crédit privé réagit. Par exemple, une analyse de la BCE conclut que la réévaluation des titres de créance des entreprises après un changement de politique monétaire est beaucoup plus rapide que celle des prêts bancaires. Dans la zone euro, la variation des taux de marché est entièrement transmise aux rendements des obligations d’entreprises au cours du même trimestre, tandis que pour les taux prêteurs, cela prend généralement environ six mois à un an. La transmission des changements de la politique monétaire au marché hypothécaire est également accélérée par un système davantage basé sur le marché des capitaux avec des niveaux de titrisation plus élevés, car la valorisation des titres adossés sur des créances hypothécaires a une influence directe sur les taux hypothécaires. Ce mécanisme contribue à expliquer la transmission beaucoup plus forte des taux à l’investissement immobilier aux États-Unis. Et les marchés boursiers réagissent généralement immédiatement aux variations des taux de marché, reflétant à la fois la variation du taux d’escompte et les anticipations de croissance.
L’effet net de ces contraintes structurelles sur les politiques macroéconomiques est que la zone euro connaît de plus longues périodes où l’économie opère en dessous de son potentiel et cette incapacité à maintenir la pression sur la demande se répercute ensuite sur la croissance de la productivité.
Il existe de robustes éléments empiriques concernant les économies avancées qui suggèrent que les dépenses de R&D sont procycliques et que des dépenses de R&D plus élevées sont associées à l’innovation. Selon une étude du CEPR, 20 % de la croissance économique à long terme est tirée par la demande et son effet sur les incitations des entreprises à innover. Cela implique qu’une économie constamment sous-chauffée produira finalement moins d’innovation et connaîtra une plus faible croissance de la productivité.
Ainsi, les politiques structurelles et macroéconomiques doivent changer pour augmenter la croissance endogène en Europe. Des réformes structurelles sont nécessaires pour que les politiques macroéconomiques produisent leur plein effet et des politiques macroéconomiques pleinement efficaces sont nécessaires pour que les réformes structurelles produisent une croissance maximale de la productivité.
Mais ce que nous entendons aujourd’hui par réformes structurelles a changé. Il y a dix ans, le terme signifiait principalement accroître la flexibilité du marché du travail et comprimer les salaires. Aujourd’hui, cela signifie augmenter la croissance de la productivité sans déplacer la main-d’œuvre, mais plutôt en requalifiant les personnes.
Différentes mesures susceptibles d’augmenter la productivité ont été présentées dans le rapport. Mais le marché unique européen et le marché des capitaux sont fondamentaux, car ils sous-tendent les mécanismes de base qui tirent la croissance de la productivité.
La croissance de la productivité est en grande partie tirée par une combinaison d’innovation parmi les grandes entreprises meneuses, d’entreprises matures à la traîne qui adoptent ces innovations et de nouvelles entreprises qui émergent et défient les précédentes. Mais sur tous ces fronts, l’Europe réalise de mauvaises performances
Une analyse du FMI constate que, parmi les grandes entreprises cotées en Bourse, la croissance de la productivité en Europe est bien plus lente qu’aux États-Unis, le secteur technologique américain connaissant une croissance presque 40 points de pourcentage plus rapide depuis 2005. L’Europe est aussi abondante en petites entreprises matures qui ne se développent pas du tout. Et ses jeunes entreprises les plus prometteuses croissent rarement assez vite pour influencer la dynamique agrégée.
Selon une estimation, l’ensemble des entreprises américaines dont la valorisation boursière est supérieure à 10 milliards de dollars et qui ont créées au cours des 50 dernières années vaut près de 30.000 milliards de dollars. C’est 70 fois plus que l’ensemble des entreprises de l’UE qui répondent aux mêmes critères.
Le déblocage du marché unique est clé pour s’attaquer au problème de tous les côtés : créer l’échelle nécessaire pour que les jeunes entreprises puissent se développer en Europe, accroître la pression concurrentielle sur les grandes entreprises stagnantes et encourager une plus grande sortie des entreprises en difficulté afin que les ressources puissent être réallouées ailleurs.
Mais l’Europe a également besoin d’une structure financière qui facilite la croissance des jeunes entreprises innovantes, ce que son système bancaire ne peut pas fournir.
Aujourd’hui, les banques européennes prêtent environ six fois plus aux sociétés immobilières et plus de quatre fois plus aux entreprises manufacturières qu’aux entreprises du secteur des TIC. Aux États-Unis, les prêts immobiliers représentent également environ 45 % du portefeuille total de prêts.
Les banques ne sont tout simplement pas les bons intermédiaires pour financer les jeunes entreprises qui développent de nouvelles technologies, des entreprises qui ont souvent des flux de trésorerie volatils, un risque élevé de faillite et des collatéraux largement immatériels. Mais à l’heure actuelle, le capital-risque européen n’est pas prêt à combler ce déficit de financement : la part de fonds de capital-risque mondiaux n’est que de 5 % pour l’UE, contre 52 % aux États-Unis.
Pour faire évoluer la structure financière de l’Europe vers les actions, il faudra un environnement d’innovation qui produise un vivier d’entreprises à forte croissance capables d’attirer du capital-risque ; un régime réglementaire qui permette aux investisseurs institutionnels pour canaliser les financements vers ces entreprises ; et un régime fiscal qui favorise les fonds propres par rapport à la dette et un traitement unifié des stock options.
Mais cela nécessitera également un changement de mentalité fondamental quant à la façon par laquelle nous voulons générer de la croissance. Aujourd’hui, les investisseurs institutionnels européens allouent bien plus sur les marchés boursiers américains que sur les marchés européens, car les rendements y sont systématiquement plus élevés. C’est la contrepartie d’un modèle de croissance tiré par les exportations, avec de faibles salaires et un faible investissement domestique et nous devrons accepter ces faibles rendements tant que ce modèle restera en place.
Si ces réformes structurelles étaient mises en œuvre, elles contribueraient déjà grandement à ce changement. La productivité augmenterait, l’efficacité des politiques de demande augmenterait, et cela stimulerait en retour la croissance de la productivité.
Mais nous savons qu’il faudra du temps avant que de telles réformes ne portent leurs fruits. Nous devrions donc également réfléchir à la possibilité d’utiliser les politiques macroéconomiques de manière plus efficace dans l’intervalle.
Si l’UE devait émettre de la dette conjointement, cela pourrait créer une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire qui pourrait être utilisée pour limiter les périodes de croissance inférieure au potentiel.
Des travaux suggèrent qu’un actif sûr européen émis par l’Union bénéficierait d’un "rendement de commodité", une prime qui découle de la rareté des actifs sûrs de haute qualité libellés en euros. Si les obligations de l’UE se négociaient aujourd’hui comme des actifs sûrs équivalents, le rendement de commodité ferait baisser les coûts d’emprunt en dessous des taux de croissance.
Ce différentiel permettrait à l’UE d’émettre de la dette supplémentaire (potentiellement jusqu’à 15 % du PIB) et de la refinancer indéfiniment sans exiger de paiements de la part des États-membres. Mais cela ne fonctionnerait que si nous pouvions supposer (avec un degré de confiance élevé) que les taux de croissance réels seraient effectivement supérieurs aux taux d’intérêt réels sur une base soutenue.
En d’autres termes, nous ne pourrions pas nous engager dans cette voie à moins que des réformes structurelles ne soient déjà en cours pour relever les taux de croissance potentiels à moyen terme.
Sans dette commune, la soutenabilité des budgets nationaux aujourd’hui constituera une contrainte pour l’expansion des politiques budgétaires nationales. Nous devrons alors également réorienter notre action politique, en passant d’un changement d’orientation de la politique budgétaire à une amélioration de sa composition (en augmentant l’investissement public) et à la coordination entre les États-membres. Cela créerait également une marge de manœuvre pour accroître la demande.
Plus important encore, l’exploitation de la marge de manœuvre budgétaire dans le cadre des nouvelles règles budgétaires de l’UE créerait une marge importante pour accroître l’investissement. La BCE estime que si tous les pays utilisaient pleinement la période d’ajustement de sept ans, 700 milliards d’euros supplémentaires seraient disponibles pour l’investissement, soit une part importante des besoins en investissement public qui sont nécessaires.
L’impact de ces investissements sur la croissance dépend bien sûr des multiplicateurs. Mais la nature des besoins d’investissement auxquels l’Europe fait face aujourd’hui implique que les multiplicateurs pourraient être assez élevés. (…) »
Permettez-moi de conclure.
Trois facteurs sont à l’origine du modèle économique dans lequel l’Europe s’est engagé au cours des vingt dernières années, fondé sur une faible demande domestique, des salaires bas et des investissements à l’étranger. Le premier facteur a été la mondialisation "débridée" qui a créé un environnement dans lequel la demande extérieure pouvait devenir un moteur de la croissance plus important. Le deuxième facteur est la politique budgétaire après la grande crise financière. En partie à cause du paradigme mercantiliste qui privilégiait la demande étrangère par rapport à la demande domestique, et en partie parce qu’elle était contrainte par un marché unique incomplet, la politique budgétaire est devenue excessivement restrictive, a freiné la demande domestique et a réduit l’investissement public. Et le troisième facteur est l’absence de progrès dans la suppression des barrières au sein du marché unique, en particulier pour les services, et dans l’intégration des marchés de capitaux, alors même que l’Europe faisait face à un ralentissement de la croissance de la productivité et à de profonds changements technologiques.
Ces facteurs se sont combinés pour réduire la croissance potentielle et affaiblir l’efficacité des politiques macroéconomiques. Le résultat a été un niveau de croissance domestique en Europe qui a été bien inférieur à ce que nous aurions pu atteindre. Et ce contexte a probablement contribué, à son tour, à une baisse de la R&D, à une baisse de l’innovation et à une croissance de la productivité encore plus faible. L’Europe s’est effectivement enfermée dans un cercle vicieux.
Le rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne a mis en évidence l’héritage de ces choix politiques dans les principaux secteurs économiques européens. Les dysfonctionnements au niveau macroéconomique se sont traduits par un tableau relativement sombre au niveau microéconomique.
Il serait réconfortant de croire que ces problèmes ne sont pas aussi graves qu’ils le paraissent et que, en tant que riche continent, l’Europe peut entrer dans une phase de déclin confortable et maîtrisé. Mais en réalité, il n’y a rien de rassurant avec cette perspective.
Si l’UE continue avec le même taux de croissance moyen de la productivité du travail que celui qu’elle connait depuis 2015, compte tenu du vieillissement de nos sociétés, l’économie dans 25 ans aura la même taille qu’aujourd’hui. Cela signifie un avenir de recettes fiscales stagnantes et d’excédents budgétaires pour empêcher les ratios d’endettement d’augmenter. Pourtant, nous sommes confrontés à des engagements en matière de dépenses qui ne diminueront pas avec le PIB.
Les coûts du maintien de notre modèle social seront immenses : les passifs de retraite non financés dans les pays de l’UE varient de 150 % à 500 % du PIB. Et à ces obligations s’ajoutent les investissements massifs nécessaires pour mener à bien les multiples transformations auxquelles nous faisons face. Les 750 à 800 milliards d’euros par an que la Commission et la BCE estiment nécessaires pour investir dans l’énergie, la défense, la numérisation et la R&D n’incluent même pas des objectifs importants comme l’adaptation au changement climatique et la protection de l’environnement. Ce sont tous des investissements qui détermineront si l’Europe restera inclusive, sûre, indépendante et soutenable. (…) »
Mario Draghi, « Europe: Back to domestic growth », CEPR, policy insight, n° 136.
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