« Que penser des propositions pour un "Accord de Mar-a-Lago" venant de certains fidèles de Trump, notamment Stephen Miran ? (Il est le nouveau président du Conseil des conseillers économiques du président Trump.) Au cours des trois ans et dix mois qui arrivent, Trump pourrait bien trouver un événement qu'il voudrait célébrer en lui donnant le nom de sa résidence en Floride. Mais l'Accord de Mar-a-Lago dont certains parlent, concernant le dollar, n'a aucune chance d’être cet événement.
Le retour de la coordination internationale ?
La proposition prévoit un effort, coordonné entre les grands pays, pour intervenir afin de faire déprécier le dollar, dans l'espoir d'améliorer le solde commercial américain. Cela ressemble beaucoup à l'Accord du Plaza de 1985, que l’on dit être sa source d’inspiration.
On pourrait imaginer une proposition sensée pour une intervention concertée afin de faire chuter le dollar, coordonnée avec les mesures des Etats-Unis visant à réduire leur déficit budgétaire et des mesures adoptées par l'Allemagne et la Chine visant à accroître le leur, contribuant ainsi à répondre aux causes fondamentales des déséquilibres commerciaux internationaux. Mais ce n'est pas le cas.
Les gens de Trump cherchent à s’attaquer à deux effets secondaires de l’intervention sur le dollar : les implications pour (1) le financement des déficits américains, en particulier pour maintenir les taux d’intérêt américains à un faible niveau ; et (2) le maintien du rôle du dollar comme première monnaie internationale.
Trump peut-il faire baisser le dollar sans que les taux d’intérêt américains n’augmentent ?
La crainte d'une pression à la hausse sur les taux d'intérêt américains est fondée : si les banques centrales étrangères intervenaient pour réduire la valeur du dollar, elles le feraient en détenant moins de bons du Trésor américain qu'elles n’en détiennent actuellement. Avec une demande en baisse pour les bons du Trésor, leur prix chuterait et leur taux d'intérêt augmenterait. Une autre façon de voir la pression à la hausse sur les taux d'intérêt américains est de considérer ce qui se produit lorsque le solde commercial s'améliore alors même que l'économie est à pleine capacité : dans ce cas, des composantes de la demande domestique (consommation des ménages et investissement des entreprises) sont évincées.
Le premier à utiliser le terme "Accord de Mar-a-Lago" a apparemment été Zoltan Pozar, qui a proposé un accord de "Bretton Woods III" qui conduirait à l’abandon de la domination du dollar. Il abandonnerait le système monétaire mondial basé sur le dollar et le remplacerait par un nouveau système basé sur des monnaies numériques de banque centrale et sur l'or ou sur d'autres matières premières. De plus, le gouvernement américain renforcerait son bilan en réévaluant l'or.
Le détrônement du dollar s’accélérerait si le plan visant à le déprécier incluait une politique monétaire américaine plus accommodante, ce que Trump a de toute façon préconisé.
Mais Trump souhaite préserver le rôle du dollar comme première monnaie internationale. Nous savons que c'est important pour lui, parce qu’il menace d'imposer des droits de douane à tout pays des BRIC qui abandonnerait le dollar au profit d'une nouvelle monnaie. Stephen Bessent, le secrétaire au Trésor, a déclaré en octobre que la dévaluation du dollar et sa domination ne sont pas nécessairement des objectifs "mutuellement exclusifs". C'est vrai. Par exemple, au début des années 1990, alors que le dollar se dépréciait, il a gagné des parts dans les indicateurs monétaires internationaux, tels que les réserves internationales des banques centrales. Mais il existe clairement une tension entre les deux. Et si le plan est conçu de façon à décourager les banques centrales de détenir des titres du Trésor américain, alors il est difficile de voir comment cela pourrait être compatible avec la poursuite de la domination du dollar dans le système monétaire mondial. L'administration américaine ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
La proposition discutée par Stephen Miran
Ainsi, la version de la proposition de Mar-a-Lago discutée par Stephen Miran inclut, outre une dépréciation du dollar, des mesures qui visent à continuer de faciliter le financement des États-Unis (c'est-à-dire à empêcher la hausse des taux d'intérêt américains), tout en préservant le rôle international du dollar, par une certaine combinaison des choses suivantes :
(1) obliger les banques centrales étrangères à détenir des obligations américaines à 100 ans sans coupon, en remplacement des bons du Trésor qu'elles détiennent actuellement. Cela constituerait une restructuration de la dette américaine, ce qui est essentiellement un défaut de paiement. C'est une mesure assez radicale à proposer.
Ou (2) facturer des "frais d’utilisation" aux banques centrales étrangères qui détiennent de la dette américaine.
Ou (3) une taxe plus générale sur les investissements étrangers aux États-Unis, mettant du sable dans les roues, ce qui rappelle la taxe Tobin proposée il y a longtemps par certains sceptiques de la libre circulation des marchés financiers internationaux.
De plus (4), le fonds souverain que Trump a ordonné de créer le 3 février est supposé avoir quelque chose à voir avec cela. Mais ce lien n’est pas évident. En tout cas, il faut se demander d'où proviendrait l'argent finançant le fonds souverain. Un bon conseil pour les pays en développement est de ne pas créer un fonds souverain s’il faut emprunter pour le créer, car ils n'ont pas accumulé d'importantes réserves internationales. Il est aussi judicieux de noter qu'un fonds souverain fonctionne mieux lorsqu'il est investi dans des actifs étrangers plutôt que des actifs domestiques. Ce conseil s'applique également aux États-Unis. Le fonds souverain de Trump ne répond à aucun de ces deux critères.
Les étrangers peuvent-ils être contraints d’accepter une restructuration de la dette américaine ?
Pourquoi les banques centrales et d’autres investisseurs du monde entier accepteraient-ils des obligations à 100 ans (c’est-à-dire qui ne rapporteraient aucun intérêt pendant cent ans) au lieu des bons vieux bons du Trésor ? Trump menacerait probablement d'imposer des droits de douane contre leurs pays. Mais il a brandi cette arme si souvent, au nom de tant d'objectifs, avec tant de reports et de revirements, qu'elle n’aurait guère de crédibilité si elle était utilisée pour forcer des achats de titres du Trésor américain. Si les États-Unis persistent à abuser des tarifs douaniers et des sanctions financières, ils inciteront les pays étrangers à abandonner complètement le dollar, accélérant ainsi la perte de domination du dollar.
Le reste de la proposition consiste à contraindre les pays étrangers à accepter des bons du Trésor de qualité inférieure en brandissant la puissance militaire et géopolitique des États-Unis. La situation rappelle peut-être les années 1960 lorsque l'Allemagne, désireuse de préserver le système de Bretton Woods, avait volontairement payé les frais de change pour faire stationner des soldats américains en Allemagne. Ou encore 1991, lorsque le Koweït et l'Arabie saoudite avaient transféré assez d'argent aux États-Unis pour payer les coûts de la guerre contre l'Irak, compensant ainsi pleinement le déficit commercial américain.
Mais à l'époque, les États-Unis bénéficiaient de la bienveillance de leurs alliés ; les Allemands et les Koweïtiens avaient agi de leur plein gré. Ces derniers temps, nous nous sommes évertués à abandonner le leadership géopolitique américain et il n’y a peu, voire plus du tout, de bonne volonté ou de capital politique sur lesquels nous pouvons nous appuyer. La proposition de l'Accord de Mar-a-Lago paraît plus coercitive. Comme l'Empire romain exigeant un tribut des territoires occupés par ses légions. Viennent ensuite le déclin et la chute. »
Jeffrey Frankel, « Mar-A-Lago Accord march 22, 2025 », Econbrowser (blog), 22 mars 2025. Traduit par Martin Anota
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