lundi 31 mars 2025

Trump est mauvais pour les affaires

« Une étrange particularité de la politique américaine est que les entrepreneurs, en particulier les petits entrepreneurs, semblent toujours croire qu'ils prospéreront mieux sous les présidences républicaines, même si l'histoire montre que les performances des entreprises sont meilleures sous les présidences démocrates. Les petits entrepreneurs ont soutenu Trump lors de la dernière élection, malgré les nombreux éléments montrant qu'il serait très mauvais pour les affaires.

Et à présent, le réveil leur est brutal.

Parlons un instant du contrôle des prix. Il y a quelques semaines, Viktor Orban, le dictateur de facto de la Hongrie et coqueluche du mouvement MAGA, a annoncé qu'il imposait un plafonnement des marges bénéficiaires (essentiellement un contrôle des prix) sur les produits alimentaires. J'avais l'intention d'écrire quelque chose à ce propos pour dire que quelque chose de similaire pourrait survenir aux États-Unis, que les entrepreneurs ont été des idiots s’ils ont pensé que Donald Trump était de leur côté.

Malheureusement, je n'ai jamais eu le temps d'écrire cet article. J'ai donc raté ma chance d'être prophétique, parce que c'est déjà arrivé : Trump aurait dit aux dirigeants du secteur automobile en mars de ne pas augmenter les prix en réponse aux droits de douane. Il nie l’avoir dit, mais les informations semblent solides. Son affirmation qui a fait la une des journaux selon laquelle il s’"en fiche" de la hausse des prix des voitures semble avoir concerné les voitures importées, non la production domestique.

La raison pour laquelle je m’attends à ce que Trump suive les traces d'Orban, c'est que, comme lui, il n'a clairement aucun principe fixe, si ce n'est le pouvoir et l'autoglorification. Sous Trump, la politique ne reflétera aucune idéologie cohérente. Au contraire, elle changera au gré de sa perception de l'avantage personnel, de ses accès de colère, de ses caprices et de son narcissisme malin. S'il n’aime pas la hausse des prix, il tentera de freiner l'inflation avec l'intimidation.

En bref, MAGA sera très mauvais pour les affaires.

Dans l'immédiat, il semble que Trump se fiche que ses droits de douane augmenteront les coûts des entreprises en plus d’accroître les prix à la consommation. Nous aurons une meilleure idée de l'ampleur de la hausse des coûts après le "Jour de la Libération" (Liberation Day), la grande annonce des nouveaux droits de douane prévue mercredi. (La guerre, c'est la paix, la liberté, c'est l'esclavage, les droits de douane, ce sont des baisses d'impôts.) Mais la hausse des coûts a déjà commencé.

En effet, à cause des tarifs douaniers déjà en vigueur, l’économie américaine est déjà en difficulté, les fabricants ayant des difficultés à maintenir leurs activités.

Vous voyez, les droits de douane élevés sur l'acier et sur l'aluminium ont été le premier coup de semonce de la guerre commerciale de Trump et ils s'appliquent non seulement aux métaux eux-mêmes, mais à tout ce qui est fabriqué à partir de ces métaux, notamment les vis, les écrous et les boulons. Et les producteurs étrangers n'absorbent pas ces droits de douane ; ils augmentent fortement les prix.

C'était bien sûr prévisible et prévu. Les droits de douane ne font pas que rendre plus chers les biens étrangers pour les consommateurs. Dans un monde où de nombreuses de nos importations sont des intrants productifs comme des vis (ou des pièces automobiles), les droits de douane augmentent directement le coût de fabrication aux États-Unis. Pourtant, les menaces proférées par Trump contre les constructeurs automobiles suggèrent qu'il pense pouvoir maîtriser l'inflation avec l'intimidation.

L’effet direct de la hausse des coûts provoquée par les tarifs douaniers n’est toutefois que le début des dégâts du trumpisme pour les affaires.

Par le passé, j'ai été sceptique quant aux affirmations selon lesquelles l'incertitude joue un rôle important dans l'économie. Durant les années Obama, les vagues allusions à "l'incertitude" semblaient souvent, en pratique, être invoquées comme une façon élégante d’évoquer "des politiques que je n'aime pas" et servaient d'excuse pour ignorer que l'austérité budgétaire imposée par les républicains au Congrès pesait sur l'économie. Mais dans les dix semaines qui ont suivi l'investiture de Trump, l'incertitude perçue a explosé. Voici l’un des indicateurs largement cités :

Incertitude relative à la politique économique (moyenne sur sept jours)

Il n'est pas difficile de voir pourquoi. Le recours apparent de Trump au contrôle des prix n'est qu'un signe supplémentaire qu'il n'y a plus de règles, que la politique économique change d’un jour à l’autre au gré de ses humeurs. Je termine ce billet seulement deux jours avant la grosse annonce sur les droits de douane et tout indique que l'administration n'a toujours pas décidé de la structure générale des droits de douane, et encore moins de leur taille. Nous ne pourrons pas non plus considérer la question comme réglée après la grosse annonce : Trump pourrait imposer des droits de douane supplémentaires ou les réduire aussi brutalement qu'il les a relevés, selon la personne qui a été son dernier interlocuteur. L'État, c'est Trump.

Ce type d'incertitude est paralysant pour les entreprises, qui sont en train de prendre conscience que tout genre d’engagement à long terme peut se révéler être une désastreuse erreur. Construisez une usine qui dépende de pièces importées et Trump pourrait vous mettre à genoux avec de nouveaux droits de douane. Construisez une usine qui ne sera rentable que si les droits de douane restent en vigueur et Trump pourrait vous faire vaciller en les retirant.

De nouveau, le problème est qu’il n’y a pas vraiment de philosophie économique MAGA, juste celle qui convient au fragile ego de Trump.

Tout cela était prévisible et prédit. Avant l'élection, de nombreux économistes avaient prévenu que les politiques de Trump seraient destructrices, même si les modèles n’ont pas pris pleinement en en compte la folie. 

Ce qui est remarquable, c’est que de nombreux entrepreneurs, supposés pragmatiques, n'ont pas vu ce qui était évident. Les propriétaires de petites entreprises, en particulier, ont clairement soutenu Trump et […] leur optimisme a grimpé en flèche après sa victoire. Aujourd'hui, il s'effondre.

Les chefs d'entreprise se sont donc laissés berner, comme d'habitude, mais avec encore moins d'excuses. Ils auraient dû avoir conscience que ce n’est pas parce que Trump ne s’inquiète guère de la vie des Américains ordinaires qu'il est favorable aux entreprises, mais aussi que l'élection n'était pas une question de gauche versus droite, mais d'État de droit versus autocratie. Nous avons maintenant un premier aperçu de ce à quoi ressemble la vie sous autocratie et c'est mauvais pour chacun, y compris pour les entrepreneurs. »

Paul Krugman, « MAGA is Bad for Business. And business owners were deluded to believe otherwise », Krugman Wonks Out (blog), 31 mars 2025. Traduit par Martin Anota


 

Aller plus loin…

« Les conséquences économiques du second mandat de Trump » 

« Petite macroéconomie des droits de douane » 

« Quelles ont été les conséquences de la guerre commerciale de Trump pour les Etats-Unis ? » 

« Les insidieux effets de l’incertitude sur l’économie »  

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