lundi 3 mars 2025

Dans quelle mesure la Fed est-elle préservée des pressions politiques ?

« L’état de l’économie affecte la popularité des gouvernements en place. Pour cette raison, les politiciens sont incités à tenter d’influencer les décisions de politique monétaire de façon à stimuler la croissance économique grâce à des taux d’intérêt plus faibles. Cette incitation peut être particulièrement forte à l’approche d’élections. Pour cette même raison, la Réserve fédérale est structurée de façon à prendre ses décisions en ce qui concerne les taux d’intérêt indépendamment de la politique électorale. Si des taux d’intérêt plus bas stimulent l’activité économique à court terme, ils risquent également d’alimenter l’inflation et l’instabilité économique à plus long terme. Cependant, la structure indépendante de la Fed ne l’a pas toujours protégée des pressions politiques. Une analyse des interactions personnelles entre les présidents des Etats-Unis et les responsables de la Réserve fédérale entre 1933 et 2016 montre qu’il y a eu plusieurs fois où la pression émanant du président a influencé les activités de la Fed aux dépens de la stabilité des prix. La pression politique exercée sur la Fed durant les années 1960 et 1970 a fait augmenter l’inflation au-delà de ce que les facteurs macroéconomiques auraient prédit.

Il y a de nombreuses preuves empiriques de l’importance de l’indépendance des banques centrales. Les pays dotés de banques centrales plus indépendantes ont tendance à bénéficier d’une inflation plus faible en moyenne. Cette meilleure performance en termes d’inflation ne se fait pas au détriment d’un chômage moyen plus élevé. A l’inverse, les pays dans lesquels les politiciens ont plus de pouvoir sur les banques centrales, par exemple en ayant plus de pouvoir pour révoquer les dirigeants de la banque centrale ou pour avoir un mot à dire plus direct sur la politique monétaire, ont connu une inflation plus élevée et une plus grande instabilité économique. Au-delà des potentiels efforts pour stimuler l’économie avant les élections, cette instabilité peut également survenir lorsque des banques centrales asservies peuvent être amenées à contribuer au financement des déficits budgétaires publics, en achetant des obligations publiques ou en autorisant une plus grande inflation afin de réduire le poids de la dette publique en termes réels. Cette monétisation du déficit contribue initialement à maintenir les taux d’intérêt à un faible niveau, elle mais se fait au prix d’une inflation plus élevée à plus long terme. 

De nombreux aspects de la structure de la Réserve fédérale sont conçus de façon à l'isoler des pressions politiques. C’est une agence gouvernementale indépendante, dans le sens où elle ne reçoit pas son financement via le processus d'affectation des crédits budgétaires du Congrès. Elle ne fait pas partie des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire du gouvernement. Sa direction ne change pas lorsqu'un nouveau président américain et un nouveau Congrès américain sont élus. Les membres du Conseil des gouverneurs du système de Réserves fédérales sont nommés pour un mandat de 14 ans, de façon à les déconnecter du cycle électoral. Le président et le vice-président sont nommés pour un mandat de 4 ans, qui peut être renouvelé plusieurs fois. À titre d'exemple, les présidents de la Fed William McChesney Martin et Alan Greenspan sont tous deux restés en fonction pendant 19 ans. 

Malgré la structure institutionnelle visant à protéger la Réserve fédérale des pressions politiques, il y a toujours plusieurs façons par lesquelles les présidents peuvent tenter d’influencer la politique monétaire. Cela peut se faire directement ou indirectement. Par exemple, un président peut demander une réunion avec le président de la Réserve fédérale ou d’autres responsables de la Fed afin d’exprimer explicitement les objectifs politiques désirés. Le président peut aussi demander aux membres du cabinet ou aux membres du Congrès de parler aux responsables de la Fed et de les persuader de changer de politique. Le président peut exercer une pression publique sur la Fed, en critiquant l’action de la Fed dans des discours, dans des interviews avec des journalistes ou via les réseaux sociaux. Il y a certaines analyses empiriques suggérant que ce type de pression peut avoir un effet. Une récente  étude a examiné les tweets du président Trump concernant la Fed depuis le lancement de sa campagne présidentielle en 2015 jusqu’en 2021. Elle conclut que les tweets ont eu un impact mesurable sur les anticipations des marchés financiers en ce qui concerne la politique monétaire future, ce qui indique que les marchés croient que le président peut influencer la conduite de la politique monétaire de façon importante et durable. 

La présidence de Richard Nixon offre un clair exemple d'un moment de l'histoire des États-Unis où un président a essayé d'influencer la Fed. Des chercheurs ont documenté des preuves tirées des enregistrements de Nixon montrant que le président Richard Nixon a fait pression sur Arthur Burns, le président de la Réserve fédérale de l'époque, pour qu'il s'engage dans des politiques monétaires expansionnistes à l'approche des élections de 1972. Les écrits de Burns dans son journal décrivent comment celui-ci a ressenti une pression croissante pour servir les besoins électoraux de Nixon au détriment du bien-être économique du pays. Une analyse des transcriptions du Comité fédéral d'open market (FOMC) de la Fed de cette période a conclu que des considérations politiques ont influencé la prise de décision de la Fed et ont fortement contribué à la hausse de l'inflation américaine dans les années 1970.

Mais il est généralement difficile de définir et quantifier les pressions politiques. Une façon d’aborder la question de façon systématique consiste à examiner le nombre de réunions entre le président et les responsables de la Fed. Le nombre de réunions entre le président et les responsables de la Fed varie considérablement d’une présidence à l’autre. Par exemple, Bill Clinton n’a rencontré que 6 fois les responsables de la Fed au cours de ses 8 ans de présidence, tandis que Richard Nixon a eu 160 réunions avec eux au cours de ses 6 ans de mandat. Les présidents Johnson, Carter et Reagan ont interagi respectivement 109, 60 et 34 fois avec les responsables de la Fed (cf. graphique). Bien sûr, les réunions peuvent avoir lieu pour de nombreuses raisons (notamment en réponse aux conditions économiques) et ne reflètent pas nécessairement une pression politique. Par exemple, lors d’une récession, un président pourrait être plus susceptible de convoquer le président de la Fed pour lui demander son avis sur l’économie. Pour aborder cette question, j’ai utilisé des informations provenant de l’épisode au cours duquel des pressions se sont exercées sur la Fed à l’approche de l’élection de 1972 pour caractériser les réunions qui constituent des efforts pour influencer la politique monétaire. Cela m’a permis de mesurer l’effet inflationniste des pressions politiques via des interactions personnelles au-delà de ce qui aurait été anticipé dans d’autres conditions macroéconomiques. J’ai constaté qu’une hausse de la pression politique équivalente à la moitié de celle exercée par le président Nixon, pendant six mois, augmente le niveau des prix aux États-Unis de plus de 8 %. Les chocs de pressions politiques se sont principalement produits dans les années 1970, mais aussi dans les années 1960 sous l’administration Johnson. Mon étude révèle que les chocs de pressions politiques augmentent fortement et durablement l’inflation.

Interactions entre les présidents des Etats-Unis et les responsables de la Fed

L’indépendance de la Fed est de nouveau au centre des attentions. Au début de son second mandat, le président Trump a montré sa volonté à critiquer publiquement la gestion de la politique monétaire, chose qu’il avait déjà faite lors de son premier mandat. Dans son discours de Davos en janvier 2025, le président Trump s’est engagé à "demander que les taux d’intérêt chutent immédiatement et, de même, qu’ils devraient baisser partout dans le monde". En outre, l’administration Trump a affirmé son intention d’exercer une plus grande "supervision et un plus grand contrôle présidentiels sur l’ensemble du pouvoir exécutif… y compris des agences dites indépendantes" dans deux décrets exécutifs publiés les 18 et 19 février 2025. La nouvelle autorité présidentielle prévue par le décret, qui fera probablement l’objet de litiges, inclut le rôle de la Fed dans la régulation du système bancaire mais exclut le cadre de la politique monétaire de cette nouvelle surveillance présidentielle. Bien sûr, le président n’est pas le seul homme politique à chercher à influencer la Fed. De l’autre côté du spectre politique, la sénatrice Elizabeth Warren a exhorté le président de la Fed, Jerome Powell, à "agir plus rapidement pour faire baisser les taux d’intérêt" lors de son témoignage devant la commission bancaire du Sénat en février 2025. Jusqu’à présent, le président Powell a semblé déterminé à éviter toute interférence, en soulignant à plusieurs reprises l’indépendance politique de la Fed. Si la Fed changeait de cap et cédait aux pressions politiques de l’un ou l’autre côté du spectre politique, l’histoire ne serait pas de bon augure pour l’inflation américaine. »

Thomas Drechsel, « How immune is the Federal Reserve from political pressure? », EconoFact, 27 février 2025. Traduit par Martin Anota 


Aller plus loin…

« Les conséquences économiques du second mandat de Trump » 

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