« La mission des banques centrales est d’aider l’économie à surmonter les chocs et à ramener l’inflation vers son objectif. Ce billet de blog de la BCE s’interroge sur les leçons que nous pouvons tirer des cycles de politique monétaire passés à propos de la manière de contrôler l’inflation tout en parvenant à un atterrissage en douceur (soft landing) de l’économie.
L’économie est un peu comme un avion et les banques centrales un peu comme ses pilotes. Elles ajustent leurs instruments de politique économique pour guider leur économie à travers les turbulences, les chocs et les crises, en vue d’atterrir en douceur à la destination : la stabilité des prix. Lorsque l’inflation est trop élevée, les banques centrales augmentent les taux d’intérêt pour ralentir l’économie et la faire redescendre. Tout comme les pilotes calculent leur approche et entament la descente vers leur destination finale, les décideurs politiques doivent déterminer le moment opportun pour commencer à assouplir les taux directeurs afin d’atteindre leur objectif d’inflation et d’assurer un atterrissage en douceur de l’économie. Et, tout comme les pilotes, ils peuvent tirer des leçons de leurs expériences passées pour améliorer leur façon de réagir aux conditions difficiles et améliorer leurs chances de réaliser un atterrissage en douceur.
C’est précisément ce que nous avons fait, en examinant un total de 48 cycles de politique monétaire dans neuf économies différentes sur une période de 50 ans (une moyenne de cinq cycles par pays).
Sur ces 48 "vols", environ un tiers se sont soldés par un atterrissage en douceur, c’est-à-dire que l’inflation est revenue à son niveau cible en deux ans sans que l’économie ne sombre dans une récession. Quels sont donc les facteurs qui déterminent la rudesse du vol et la douceur avec laquelle l’avion atterrit sur la piste ?
Le cycle typique de la politique monétaire
Les cycles de politique monétaire sont des épisodes au cours desquels les taux directeurs augmentent rapidement à partir d’un niveau minimum ou stable pour atteindre un maximum local, avant d’être maintenus à ce niveau ou de baisser de nouveau jusqu’à un nouveau minimum. Dans notre échantillon, les banques centrales ont eu tendance à augmenter les taux directeurs d’environ 20 points de base par mois avant de les maintenir à leur altitude de croisière pendant huit mois, puis à les réduire de 38 points de base par mois pendant la descente. Au début des cycles de resserrement, l’inflation était en moyenne de 2,8 %, la croissance du PIB de 5,9 % et le chômage de 6,6 %. Au moment de la première baisse des taux, l’inflation était, en moyenne, encore plus élevée, à 4,1 %, tandis que la croissance a nettement baissé, en moyenne, à 2,8 %. Cela met en évidence un point important de notre analyse : les banques centrales ont tendance à commencer à assouplir la politique monétaire alors que l’inflation est encore relativement élevée, peut-être en raison des inquiétudes à propos de l’essoufflement de la croissance et des risques pour la stabilité financière. Il s’avère que les cycles de politique monétaire réussis tendent à se caractériser par une baisse de la croissance au moment de la première baisse des taux, suivie d’une forte reprise économique et d’une baisse de l’inflation au cours des deux années suivantes. Lors des épisodes d’atterrissage en douceur, ce ralentissement de la croissance ouvre la voie à une baisse de l’inflation. Les atterrissages en catastrophe (hard landing), en revanche, se caractérisent par des baisses de taux face à des récessions sévères, avec des performances d’inflation quasiment identiques à celles des atterrissages en douceur.
Chocs et crises : des cycles infructueux
Tous les cycles n’ont pas réussi à ramener l’inflation à sa cible. Nous définissons les cycles réussis comme étant ceux au cours desquels l’inflation est revenue à la cible dans les deux ans qui ont suivi la première baisse des taux. Selon cette classification, les banques centrales ont réussi dans un peu moins d’un tiers des cas, tandis que, dans les autres cas, l’inflation est restée nettement supérieure ou inférieure à la cible deux ans après le début de l’assouplissement monétaire.
Les chocs d’offre, comme les flambées soudaines des prix du pétrole dans les années 1970, ont été parmi les facteurs les plus susceptibles de provoquer l’échec des cycles de politique monétaire. Face à ces chocs, les banques centrales ont relevé les taux d’intérêt plus rapidement (de 23 points de base par mois) que lors d’autres épisodes. Mais elles ont également été contraintes de les réduire plus rapidement (de 42 points de base par mois) et davantage (510 points de base de baisses au total) à mesure que les coûts économiques augmentaient et que le secteur financier se retrouvait sous pression. Plus de 70 % des cycles marqués par des chocs d’offre dans notre échantillon se sont soldés par une récession ou par une crise financière. En conséquence, les taux directeurs sont tombés bien en dessous de leurs niveaux de départ au cours de ces cycles. La période de maintien moyenne a également été plus courte, d’environ 7,5 mois. L’environnement macroéconomique difficile créé par les chocs d’offre se reflète dans les données. Au moment de la première baisse des taux, l’inflation était généralement en moyenne d’environ 6,1 %, la croissance d’environ 2,1 % et le chômage de 5,5 %.
Il y a trois facteurs qui permettent généralement de différencier les cycles de politique monétaire réussis des cycles infructueux. Premièrement, de meilleures performances en matière d’inflation sont corrélées à des conditions de départ plus favorables, telles qu’une inflation plus faible et une croissance économique plus élevée. Deuxièmement, la croissance tend à être plus faible, tant au cours des phases de resserrement que d’assouplissement, lors des épisodes réussis que lors des épisodes infructueux. Et troisièmement, les cycles infructueux sont généralement caractérisés par des taux réels faibles, voire négatifs, avec une inflation supérieure aux taux d’intérêt nominaux. Il est opportun de noter que quatre des cycles de notre échantillon se sont terminés avec le début de la pandémie de Covid-19, ce qui explique, par exemple, la forte baisse de la croissance du PIB peu après la première baisse des taux.
Atterrir en douceur : des cycles réussis
Les atterrissages en douceur sont rares et souvent plus faciles à réaliser en théorie qu’en pratique. Pourquoi est-ce si difficile ? Ils imposent un équilibre fragile entre deux forces qui vont en sens opposés : ralentir l’économie juste assez pour ramener l’inflation à la cible, sans aller trop loin, ni déclencher de récession. Cet équilibre est plus facile à atteindre dans des conditions macroéconomiques favorables.
Cela se reflète dans les données. Presque tous les atterrissages en douceur sont associés à des chocs de demande, ce qui suggère que les chocs d’offre sont plus difficiles à gérer. Ils se caractérisent également par des périodes de maintien des taux plus longues, d’environ neuf mois en moyenne, un rythme de baisse des taux plus lent, de 29 points de base par mois, et des taux d’intérêt réels plus élevés au moment de la première baisse par rapport aux épisodes d’atterrissages durs. Cela suggère que les brusques ajustements de politique monétaire ont moins de chances de réussir que les cycles au cours desquels les ajustements sont effectués plus progressivement.
Les atterrissages en douceur se produisent typiquement lorsque le pic d’inflation est plus bas, en particulier dans le cas de l’inflation sous-jacente (l’inflation globale à l’exclusion des composantes volatiles telles que l’alimentation et l’énergie). Les autres facteurs incluent la hausse modeste du taux de chômage, les pertes boursières limitées et les anticipations d’inflation qui restent bien ancrées. Les atterrissages en catastrophe, eux, vont souvent de pair avec une crise financière, un ralentissement prolongé des prêts aux entreprises et aux ménages et un chômage élevé, même lorsque les taux sont réduits de façon agressive. Ces baisses de taux n’entraînent généralement pas de différence significative dans les performances de l’inflation.
Le comportement des anticipations d’inflation est un autre facteur de distinction entre les atterrissages en catastrophe et les atterrissages en douceur. Si les banques centrales sont crédibles, alors les anticipations d’inflation devraient rester bien ancrées tout au long du cycle de politique monétaire. Il s’avère que, lors des atterrissages en catastrophe, les anticipations d’inflation à long terme diminuent entre le début de la phase de resserrement et le début de la phase d’assouplissement. Cela reflète probablement le fait que les banques centrales sont souvent contraintes d’assouplir leur politique monétaire en raison de chocs négatifs ou d’un ralentissement rapide de l’économie. Ce n’est pas le cas lors des atterrissages en douceur, où les anticipations ont tendance à rester remarquablement stables tout au long du cycle.
Qu’est-ce que cela signifie pour le cycle actuel ?
Tout comme les pilotes doivent surveiller les conditions atmosphériques tout au long de leur trajectoire de vol, les banques centrales doivent évaluer la trajectoire de l’inflation et les conditions macroéconomiques en vigueur, en ajustant leurs instruments pour garantir que l’inflation revienne à l’objectif en temps voulu tout en minimisant les dommages occasionnés à l’économie. Comme les cycles de politique monétaire passés nous l’ont montré, les chocs d’offre constituent un défi majeur car ils rendent plus difficile la lutte contre l’inflation tout en assurant un atterrissage en douceur. Les banques centrales ont généralement augmenté leurs taux de façon agressive en réponse aux chocs d’offre. Elles ont également réduit leurs taux plus tôt dans les phases inflationnistes, et plus rapidement, peut-être en réponse à une dégradation des perspectives de croissance et à une baisse des anticipations d’inflation. Ces réponses passées n’ont pas conduit à des atterrissages en douceur par le passé.
Aujourd’hui, la BCE est confrontée à un ensemble de défis unique. L’inflation globale a atteint un niveau record de 10,6 % en octobre 2022, sous l’effet conjugué de chocs d’offre, de la dynamique de réouverture suite à la pandémie, de facteurs géopolitiques adverses et de changements structurels. La BCE a réagi en relevant ses taux directeurs de 450 points de base sur 15 mois et les a maintenus à ce niveau pendant neuf mois avant de les abaisser pour la première fois en juin 2024. En conséquence, l’inflation a rapidement diminué et les dernières projections prévoient un retour de l’inflation à l’objectif de 2 % au second semestre 2025. Et alors que l’économie a stagné entre le second semestre 2022 et la fin 2023, la croissance a repris au premier semestre de cette année. En outre, le taux de chômage est proche de ses plus bas historiques et, tandis que les risques pour la stabilité financière restent contenus, les tensions géopolitiques constituent une source de risque importante. Tous ces signes sont positifs, indiquant qu’un atterrissage en catastrophe sera évité dans le cycle actuel, à moins que de nouveaux chocs défavorables ne frappent l’économie. »
Ema Ivanova, Thomas McGregor, Stefano Nardelli & Annukka Ristiniemi, « Delivering a soft landing: a historical perspective of monetary policy cycles », blog de la BCE, 25 septembre 2024. Traduit par Martin Anota
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