« Ces derniers mois, une série de crises a frappé des pays en développement à travers le monde :
- Le Nigéria a épuisé ses réserves de change et fait face à des pressions pour réduire les subventions coûteuses sur les carburants ;
- L’Égypte fait face à une pénurie chronique de devises et a été contrainte de dévaluer sa monnaie de manière considérable en 2023, puis de nouveau en 2024 ;
- La Bolivie est au bord d’une crise majeure. La baisse des exportations de gaz naturel du pays, qui a réduit l’offre de dollars nécessaires pour payer les importations, a provoqué un important déficit de la balance des paiements et une forte baisse des réserves internationales du pays ;
- Le Liban est en crise depuis 2019, le taux de change s’est effondré, le gouvernement a fait défaut sur sa dette et il y a à présent une crise bancaire généralisée ;
- Le Sri Lanka fait face à une crise économique depuis 2019 et il a vu ses réserves de change s’évaporer, ce qui l’a contraint à faire défaut sur sa dette étrangère et sur une partie de sa dette domestique et à dévaluer sa monnaie.
Ces pressions économiques ont entraîné des troubles sociaux et une instabilité politique. Le Nigéria a connu des violences et des troubles sociaux en raison du coût de la vie élevé. L’Égypte est devenue plus répressive à mesure que la frustration de la population grandissait. La Bolivie est en proie à un conflit entre son président actuel et son ancien président, qui a conduit à des affrontements de rue et à une tentative de coup d’État. Au Liban, le système politique s’est effondré. Et le week-end dernier, le Sri Lanka a élu un néo-marxiste anti-establishment comme président.
Bien que chacun de ces pays ait ses propres malheurs, ils partagent également un point commun regrettable : ils tentent de maintenir un taux de change fixe bien trop longtemps, bien après que les fondamentaux économiques aient indiqué qu’un changement du taux de change s’avère nécessaire.
Malheureusement, cette fixation sur le taux de change fixe et la résistance aux pressions du marché en faveur du changement sont un schéma récurrent. Les responsables souhaitent fixer le taux de change pour réduire le coût de remboursement de la dette et maintenir les biens d’équipement et les biens de consommation à des prix abordables. Cela peut fonctionner pendant un certain temps, en particulier si le taux de change est fixé lorsque l’environnement économique du pays est favorable.
Au fil du temps, cependant, comme les prix domestiques augmentent ou la demande extérieure chute, ces taux de change fixes peuvent devenir de plus en plus irréalistes et détachés de la réalité du marché. Une monnaie surévaluée exclut les exportations hors du pays du marché mondial et rend les importations bon marché par rapport aux biens domestiques. Ce niveau inadéquat du taux de change conduit à une ponction des réserves de change et les efforts pour endiguer cette fuite, comme les restrictions à l’importation et les contrôles des changes, ne font qu’empirer les choses. Au lieu de permettre une dépréciation progressive de la monnaie pour effectuer l’ajustement nécessaire, le pays résiste trop longtemps à une dévaluation et gaspille de précieuses devises pour soutenir la valeur de sa monnaie. Cela rend l’inévitable ajustement plus important et plus douloureux que nécessaire.
Ces facteurs ont été à l’œuvre dans chacun des cas mentionnés ci-dessus. En avril, Bloomberg a rapporté que "le Nigéria brûle ses réserves de change à un rythme jamais vu depuis quatre ans, ce qui fait craindre que la banque centrale épuise ses avoirs en dollars pour soutenir le naira après avoir promis qu’elle permettrait à sa monnaie de flotter plus librement." Dans le cas de la Bolivie, notre collègue Alejandro Werner a souligné : "après presque 15 ans d’un maintien du taux de change officiel à 6,90 bolivianos pour un dollar et aucune réserve de change pour le soutenir, la Bolivie se trouve au bord d’une crise monétaire que les autorités n’ont pas encore résolue." Au Liban, la banque centrale a d’une certaine façon mis en place un système de Ponzi, s’appuyant sur les entrées de capitaux étrangers, une intervention considérable et une ingénierie financière pour empêcher la monnaie de perdre de sa valeur.
L’une des raisons de ces problèmes est la complaisance qui s’est installée durant le récent boom des matières premières. Les responsables ont profité de l’aubaine des prix élevés des exportations de matières premières et ils ont supposé que qu’elle allait se poursuivre. Le boom des exportations de gaz de la Bolivie au début des années 2000 en est un bon exemple. Plutôt que de lisser les dépenses en prévision d’un renversement de ces prix ou des flux de capitaux, les recettes ont été dépensées. Cela a rendu les inévitables ajustements plus douloureux. Les autres sources des malheurs actuels incluent les déséquilibres budgétaires et le désir de maintenir les prix des aliments et du carburant à un niveau bas grâce à l’utilisation de coûteuses subventions.
Mais, à la fin, la décision de maintenir un taux de change surévalué a presque toujours conduit à des problèmes et fait partie d’un schéma récurrent. L’Égypte a connu au moins huit crises depuis qu’elle est devenue une république en 1952. Comme Agarwal et Mazarei l’ont souligné, "le problème chronique a été une série de difficultés de balance des paiements qui ont souvent nécessité l’abandon d’un taux de change fixe ou hautement stabilisé, mais qui ont été suivies d’un retour à des taux de change stables une fois la crise passée".
Il y a longtemps, les économistes Sebastian Edwards et Peter Montiel avaient observé que le report d’une dévaluation face à un choc négatif des termes de l’échange ou à une expansion budgétaire insoutenable ne faisait que rendre l’ajustement final encore plus ample et plus douloureux. La tentation toujours présente d’éviter les ajustements nécessaires à la réalité économique signifie que cette triste leçon n’a pas encore été apprise dans de nombreux pays à travers le monde.
La fixation des taux de change ou le maintien des devises à des niveaux artificiellement élevés a souvent été le signe avant-coureur de sévères crises économiques. La flexibilité des taux de change permet aux pays de mieux s’adapter aux chocs et de maintenir leur compétitivité extérieure. En allégeant la contrainte de la balance des paiements sur les réserves de change, la flexibilité des taux de change donne également aux pays un degré supplémentaire de liberté pour la politique monétaire, ce qui explique en grande partie pourquoi de nombreux pays ont adopté des taux de change flexible, en plus du ciblage de l’inflation, et qu’ils ont réussi à contenir la hausse des prix. Et dans les pays où il est nécessaire de protéger les populations vulnérables des flambées des prix des denrées alimentaires, le meilleur moyen d’y parvenir est de recourir à des subventions bien ciblées plutôt qu’à un taux de change mal fixé. La flexibilité du taux de change n’est peut-être pas une solution miracle, mais elle est utile pour procéder aux ajustements nécessaires aux conditions économiques changeantes.
Douglas A. Irwin, Adnan Mazarei & Maurice Obstfeld, « Fixation with fixed exchange rates harms developing countries », PIIE, Realtime Economics (blog), 27 septembre 2024. Traduit par Martin Anota
aller plus loin...
« La flexibilité des taux de change accélère-t-elle la résorption des déséquilibres courants ? »
« Quels sont les effets d'une dépréciation du taux de change sur l'activité économique ? »
« Comment les variations des taux de change se transmettent-elles aux prix ? »
« Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar »
« Les entrées de capitaux stimulent-elles ou dépriment-elles l’activité ? »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire