jeudi 17 octobre 2024

Le rôle des politiques non monétaires dans la lutte contre l’inflation

« Les pays ont souvent eu recours à d’autres outils que la politique monétaire pour lutter contre l’inflation. Le récent épisode inflationniste n’a pas fait exception. Nous faisons le point sur les politiques de stabilisation de l’inflation mises en œuvre historiquement et lors de la reprise post-pandémique et examinons leur justification et leurs limites.

GRAPHIQUE 1  Répartition des politiques de lutte contre l'inflation selon les pays (en %)

Subventions à l’énergie et à la consommation. Les subventions ont historiquement été utilisées pour maintenir les prix bas, en particulier pour l’énergie [Black et al., 2023]. Pendant la pandémie, la plupart des gouvernements ont subventionné le carburant et l’électricité et réduit les taxes sur la valeur ajoutée, les taxes de vente et les accises sur les biens essentiels (cf. graphique 1). Les subventions fonctionnent en absorbant les hausses des coûts, ce qui limite ainsi leur répercussion sur les prix. Elles peuvent maîtriser l’inflation provoquée par des chocs temporaires de poussée des coûts (cost-push shocks). Dao et al. (2023) ont constaté que les subventions à l’énergie ont joué un rôle important dans la stabilisation de l’inflation dans la zone euro (cf. graphique 2) lors du récent épisode inflationniste. Toutefois, les subventions ont de substantiels coûts budgétaires, elles ne sont pas alignées sur les objectifs de politique climatique et elles ne ciblent souvent pas les personnes vulnérables. Elles faussent également les prix relatifs, ce qui conduit à une surconsommation des biens subventionnés, ce qui alimente de nouvelles hausses de prix [Erceg et al., 2024].

GRAPHIQUE 2  Impact des politiques sur les prix de l'énergie

Les réductions des taxes à l'importation et les restrictions à l'exportation. Suite à la pandémie, de nombreux pays ont réduit leurs taxes à l'importation et imposé des restrictions à l'exportation pour stabiliser les prix domestiques, en particulier dans les pays émergents et les pays à faible revenu (cf. graphique 1). Les réductions des taxes sur l'importation font baisser les prix des biens importés et augmentent l'offre domestique, tandis que les restrictions à l'exportation peuvent atténuer les pressions inflationnistes domestiques. Néanmoins, les réductions d'impôts ont des coûts budgétaires et ces deux politiques entraînent des retombées internationales négatives en réduisant l'offre mondiale ou en accroissant la demande mondiale, contribuant ainsi à de nouvelles hausses de prix [Giordani, Rocha et Ruta, 2016].

Les contrôles des prix et des salaires. Historiquement, les gels des prix et des salaires ont été utilisés pour freiner l'inflation, aux États-Unis et en Europe dans les années 1960 et 1970, entre autres cas. Elles ont de nouveau été utilisées dans une certaine mesure depuis la pandémie, notamment dans les pays émergents et à faible revenu, principalement sur les produits alimentaires essentiels (cf. graphique 1). Dans des contextes spécifiques, comme lorsqu’il s’agit de faire face à un pouvoir de monopsone (par exemple, le salaire minimum) ou de monopole (par exemple, la tarification de l’électricité), ces mesures peuvent être justifiées. Néanmoins, elles ont souvent répercussions néfastes, comme l’apparition de marchés noirs et de pénuries, et elles empêchent l’ajustement des prix relatifs.

Les autres politiques. Les négociations menées par les gouvernements ont été historiquement utilisées dans de nombreux pays pour coordonner la fixation des salaires et des prix, durant la pandémie comme à d’autres moments. Bien qu’elles puissent être déterminantes pour gérer les spirales prix-salaires et ancrer les anticipations, elles peuvent également fausser les prix relatifs. 

Enfin, les politiques de taxation de l’inflation, qui impliquent des taxes proportionnelles à l’augmentation des prix d’une entreprise, ont été largement discutées et mises en œuvre dans plusieurs économies de pays développés et émergents dans les années 1970 et 1990. Capelle et Liu (2023) ont montré qu’en offrant aux entreprises des incitations à modérer leurs augmentations de prix, les politiques de taxation de l’inflation peuvent offrir de substantiels gains de stabilisation sous certaines conditions. Bien que ces politiques soient utiles pour faire face à l’inflation provenant de chocs de poussées des coûts et des changements dans les anticipations d’inflation, leur mise en œuvre pratique doit être clarifiée et la politique monétaire est un meilleur instrument pour réduire l’inflation résultant d’un excès de demande globale.

Pour conclure, les pays ont utilisé des outils supplémentaires pour stabiliser l’inflation lorsque la politique monétaire est limitée, comme durant les chocs de poussées des coûts ou dans le cadre d’un taux de change fixe. La politique monétaire reste toutefois le principal outil de gestion de l’inflation tirée par la demande. Le recours à d’autres outils nécessite une évaluation minutieuse de leur efficacité et des arbitrages pour minimiser les potentiels effets secondaires négatifs. »

FMI, « The role of price-suppressing policies », in World Economic Outlook, octobre 2024, chapitre 3, pp. 60-61. Traduit par Martin Anota 


Références

Black, Simon, Antung A. Liu, Ian Parry & Nate Vernon (2023), « IMF fossil fuel subsidies data: 2023 update », FMI, working paper, n° 23/169. 

Capelle, Damien & Yang Liu (2023), « Optimal taxation of inflation », FMI, working paper, n° 23/254. 

Dao, Mai Chi, Alan Dizioli, Chris Jackson, Pierre-Olivier Gourinchas & Daniel Leigh (2023), « Unconventional fiscal policy in times of high inflation », FMI, working paper, n° 23/178. 

Erceg, Chris, Marcin Kolasa, Jesper Lindé & Andrea Pescatori (2024), « Can energy subsidies help slay inflation?  », FMI, working paper, n° 24/81. 

Giordani, Paolo, Nadia Rocha & Michele Ruta (2016), « Food prices and the multiplier effect of trade policy », in Journal of International Economics, vol. 101.

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