samedi 8 février 2025

Ce que Trump peut apprendre de la Grande-Bretagne victorienne à propos du commerce international

« Je n'avais pas vraiment prévu d'écrire un autre billet sur le commerce international ce week-end […]. Mais je n'ai pas pu résister à le faire suite à la dernière ânerie de Trump à propos du commerce international : dire au Premier ministre Shigeru Ishida que le Japon doit éliminer son excédent commercial avec les États-Unis.

Je suppose que la campagne visant à nous mettre à dos tous nos alliés se poursuit […]. Au-delà de cela, cependant, je pense que nous pouvons utilement comparer et opposer la nouvelle plainte de Trump à propos du Japon avec ses plaintes à propos du Canada, plaintes qui nous ont amenés au bord d’une guerre commerciale destructrice il y a quatre jours. (Au rythme où vont mauvaises nouvelles, on a l’impression que chaque journée est aussi longue qu’un mois en temps normal.)

Comme un certain nombre de personnes l’ont finalement compris, l'idée de Trump selon laquelle l’excédent commercial du Canada avec les États-Unis était en quelque sorte la preuve que le Canada nous exploitait s’est effondrée dès qu’on a pris conscience que cet excédent s’expliquait entièrement par les exportations de pétrole des sables bitumineux de l'Athabasca vers le Midwest, un bénéfice pour l’Amérique, pas un coût.

L'histoire des excédents du Japon est différente. Mais, comme le Canada, le Japon est entièrement innocent d’un quelconque méfait.

Contrairement au Canada, le Japon a enregistré de significatifs excédents sur sa balance courante, une définition large de la balance commerciale qui inclut les services et les revenus d’investissement :

Solde courant du Japon (en % du PIB)

Mais ce n’est pas grave, car le Japon est exactement le genre de pays qui doit avoir des excédents de compte courant.

Souvenez-vous de l’identité comptable de base :

compte courant + entrées nettes de capitaux = 0

Une nation qui a des sorties nettes de capitaux (c'est-à-dire qui investit une partie de son épargne à l’étranger) doit, du point de vue d’une arithmétique pure, avoir un excédent sur sa balance courante.

Donc, quand une nation doit-elle beaucoup investir à l’étranger ? Eh bien, nous voulons (et nous nous attendons à ce) que les capitaux circulent des endroits où ils rapportent un faible rendement vers ceux où ils rapportent un rendement plus élevé. L’exemple classique est celui de la Grande-Bretagne dans les décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. La Grande-Bretagne était une économie mature, déjà industrialisée, qui avait déjà accumulé beaucoup de capitaux. Il faisait sens qu’une partie de ces capitaux aillent à l’étranger, vers des endroits qui en avaient besoin.

Dans une large mesure, cela impliquait d’envoyer des capitaux vers des "régions récemment colonisées". Ce que les gens entendaient par là, bien sûr, c’était "une récente colonisation par des blancs". Les capitaux affluaient vers les endroits où les Européens s’installaient, en déplaçant souvent les populations indigènes : le Canada, l’Australie, l’Argentine, le sud du Brésil et, bien sûr, les États-Unis. Mais, la morale de côté, la logique économique était claire : ces endroits avaient besoin de capitaux pour leur expansion économique, notamment, mais pas seulement, pour construire des chemins de fer.

Et ainsi la Grande-Bretagne a enregistré de massifs excédents de sa balance courante pendant plusieurs décennies avant la Première Guerre mondiale :

Solde courant du Royaume-Uni (en % du PIB)

Comment le Japon moderne se place-t-il dans ce paradigme ? Comme la Grande-Bretagne de la fin de l'époque victorienne et édouardienne, il s'agit d'une économie mature avec des possibilités d'investissement domestique limitées, surtout en raison de sa démographie : une faible fécondité et une immigration limitée se sont traduites par un saisissant déclin de la population en âge de travailler (15-64 ans) du Japon :

Population en âge de travailler (en indices, base 100 = 2000)

Donc, comme je l’ai dit, le Japon est exactement le genre de pays qui devrait enregistrer des excédents de compte courant. Prétendre qu’il fait quelque chose de mal ou que l’Amérique est en quelque sorte une victime ici est une malveillante absurdité.

Et le souligner n’aura, bien sûr, aucun impact du tout sur les réflexions de Trump. »


Paul Krugman, « What the Edwardians could teach Trump about trade », Krugman Wonks Out (blog), 8 février 2025. Traduit par Martin Anota 

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