« Il y a peut-être plus à dire sur l'approche du gouvernement pour stimuler la croissance économique que nous le pensons.
Pour comprendre ce que je cherche à dire, examinons d'abord la critique de son approche. Celle-ci repose sur la distinction entre croissance extensive et croissance intensive. La croissance extensive résulte simplement de l'ajout d'intrants supplémentaires : le capital et le travail. La croissance intensive, en revanche, résulte de l'utilisation d’intrants plus efficaces. Pour exprimer cela en termes de fonction de production plus générale, Q = f(K, L, A) où K est le capital, L le travail et A la technologie. Le gouvernement se focalise principalement sur K et L plutôt que sur A. Dans son récent discours sur le redémarrage de la croissance, la chancelière a beaucoup plus parlé d'investissement que de productivité ; les lois de planification sont en train d’être réformées pour accélérer les projets d'infrastructures ; et il y a des discussions à propos de mettre les handicapés au travail. En revanche, à part des évocations d’une réforme du NHS, le gouvernement parle peu de l'amélioration de la productivité, en particulier dans le secteur privé.
Tout cela dénote une préoccupation pour la croissance extensive davantage que pour la croissance intensive ; plus de K et de L plutôt que plus de A, dans le cadre de la fonction de production.
Et il y a des problèmes évidents avec cela. L'un d'eux est le coût environnemental, le plus évident étant le désir de Rachel Reeves d’étendre Heathrow.
Un autre est qu’il y a des rendements décroissants à l’ajout d’intrants supplémentaires. Peut-être que le gouvernement pourrait faire davantage travailler les malades. Mais beaucoup d'entre eux ne peuvent occuper que des emplois à temps partiel ou peu productifs : les personnes atteintes de Covid long ne vont pas travailler sur des chantiers de construction ou dans les forces armées. Et il y a de nombreux travaux montrant que les investissements supplémentaires n'ont qu'un impact modéré sur la hausse de la production. Bien sûr, ils ont un impact plus important lorsque nous sommes en période de dépression grâce aux effets multiplicateurs. Lorsque nous sommes proches du plein emploi, cependant, ils évincent d’autres investissements : si les gens construisent des maisons, ils ne peuvent pas construire de pistes ou de voies ferrées.
En revanche, la croissance intensive (si nous parvenions à l’obtenir) n'a pas ces inconvénients. Si nous sommes plus productifs, nous pouvons avoir plus de tout, y compris plus de loisirs et une économie plus verte. Et si nous nous inquiétons du vieillissement de la population et de la hausse du taux de dépendance, la croissance intensive est une solution : plus les travailleurs produisent, plus il est facile de soutenir les non-travailleurs. Il semble alors que le gouvernement regarde dans la mauvaise direction : nous avons besoin d’une croissance intensive, plus de A, pas (juste) plus de K et L.
Mais, mais, mais… Il y a peut-être plus à dire sur l'approche du Parti travailliste. Dans notre culture politique débile, ils ne disent pas ce dont il s’agit. Je vais essayer de le faire.
Notre histoire commence au début de la Révolution industrielle. Beaucoup de ses fondateurs (comme George Stephenson, James Hargreaves, Richard Arkwright et d'autres) n'étaient pas très instruits. Comme l'a dit Joel Mokyr : "à quelques exceptions près, les premiers inventeurs britanniques tendaient à être des ‘bricoleurs’ sans beaucoup de formation formelle, dont le génie résidait principalement dans leur ingéniosité mécanique" (The Lever of Riches). Mais ils devaient avoir quelque chose à bricoler, c'est-à-dire des versions primitives d'équipements qu'ils amélioraient. L'investissement, par conséquent, était à l'origine de l'innovation. Une grande partie de l'innovation n'est pas la création de quelque chose à partir de rien, mais plutôt une combinaison inédite de technologies existantes. C'est le point du livre de Jacob Schmookler publié en 1966, Invention and Economic Growth.
Ce n'est pas juste aux premiers jours de la Révolution industrielle que c’était le cas. C'est toujours le cas aujourd'hui. Igal Hendel et Yossi Spiegel ont montré que dans une petite aciérie, la production a doublé en l'espace de 12 ans sans nouvel investissement, ni découvertes techniques génériques en dehors de l'entreprise parce que les dirigeants ont continué à modifier les machines pour obtenir plus de production à partir des mêmes intrants. La même chose se produit tous les jours : chaque fois que vous découvrez un raccourci sur Excel, vous améliorez votre productivité grâce à un investissement préexistant. Cela se produit aussi dans les secteurs de haute technologie : c’est l’investissement dans le haut débit et la 4G qui ont permis l'émergence des services de streaming et des applications mobile et c’est l’investissement dans de meilleurs semi-conducteurs qui a facilité la croissance de l'IA.
Tout cela signifie que nous ne pouvons pas distinguer clairement entre A (l’amélioration technique) et K (le stock de capital) comme le font les fonctions de production conventionnelles. Non seulement l’investissement incarne la nouvelle technologie, mais il est aussi une condition préalable pour la découverte de nouvelles améliorations de productivité, pas seulement de grandes innovations, mais aussi de petits ajustements et des gains marginaux. De plus, un environnement dans lequel il y a beaucoup de dépenses d’investissement en capital sera généralement un environnement dans lequel il y aura beaucoup de demande et donc des opportunités et des incitations pour découvrir des moyens de produire plus à partir des mêmes intrants. Et la concurrence des nouveaux investissements peut inciter les propriétaires de plus vielles technologies à améliorer leur jeu : les voiliers, par exemple, ont continué à s’améliorer pendant des décennies après l’introduction des bateaux à vapeur.
Dans un livre injustement négligé publié en 1989, Maurice Fitzgerald Scott exhortait les économistes à abandonner les fonctions de production standard et à considérer plutôt l’investissement comme un moteur de l’innovation : "la découverte scientifique et l’invention sont mieux considérées comme des formes d’investissement et… au moins pour commencer, une théorie de la croissance peut être construite sans faire de distinction entre elles… De nouvelles [opportunités d’investissement] sont créées en saisissant des opportunités existantes, parce qu’on apprend des changements qui en découlent. Par conséquent, au lieu que la découverte et l’invention scientifiques soient les créatrices d’opportunités d’investissement, c’est l’investissement lui-même qui les crée. Pour comprendre la croissance économique, par conséquent, nous devons en premier lieu examiner le taux, la qualité et les déterminants de l’investissement." (A New View of Economic Growth)
Si cela est vrai, les économistes conventionnels ont tort de critiquer le gouvernement pour se focaliser sur K plutôt que sur A, car K engendrera A.
Maintenant, il y a une objection évidente ici. Jon Elster a notoirement averti qu’il n’y a pas de lois générales dans les sciences sociales, mais seulement une collection de mécanismes qui fonctionnent à certains moments et à certains endroits, mais pas à d’autres. Et il y a un domaine dans lequel le mécanisme de Scott ne semble pas fonctionner : l’investissement dans les infrastructures. S’il engendrait une découverte et un apprentissage, nous nous attendrions à voir le coût de tels projets décliner au fil du temps à mesure que les constructeurs découvriraient de nouvelles techniques. Mais cela n’a pas eu lieu. Au contraire, comme Sam Dumitriu l’a montré, les projets du Royaume-Uni coûtent bien plus cher que ceux dans des pays comparables. Il n’y a aucune preuve qu’il y ait un apprentissage là.
Il y en a peut-être pourtant un. Nous avons appris quelque chose de ces investissements : une grande partie des coûts supplémentaires est due à un système de planification hideux, que le gouvernement est en train de simplifier. La question est : est-ce que cet apprentissage (et le progrès technique qui s’ensuivra) est suffisant pour garantir que la théorie de Scott s’appliquera ici ? Personnellement, j’en doute, simplement parce que même avec le système de planification le plus efficace, les investissements dans les infrastructures seront contraints par un manque de main-d’œuvre et de machines ; nous avons besoin de progrès techniques pour relâcher ces contraintes aussi.
Ce ne serait pas un tel problème si le gouvernement avait aussi des politiques pour stimuler l’investissement des entreprises du secteur privé en général. Il avait une bonne idée : le stimuler en réduisant l’incertitude politique. Mais cela a été sapé par Trump ; la perspective d’une guerre commerciale et d’une hausse des impôts et d’une réallocation de la main-d’œuvre pour renforcer militairement l’Europe a créé de nouvelles incertitudes, donnant aux entreprises de bonnes raisons de retarder les dépenses d’investissement.
Alors, oui, peut-être que la critique conventionnelle des politiques de croissance du gouvernement est correcte : il doit se focaliser non seulement sur l’investissement, mais aussi sur la hausse de la productivité.
Néanmoins, il y a toujours deux arguments de défense, pas ceux que le gouvernement dirait en public ! Selon le premier, même les formes les plus brutes de croissance extensive génèrent des recettes fiscales. Étant donné que la réparation des services publics est une priorité absolue, c’est un avantage à mettre au regard avec le fait qu’une telle croissance n’est que de courte durée ou qu’elle a des coûts environnementaux.
Un autre argument en faveur de la croissance extensive est que l’alternative, la hausse de la productivité, crée des ennemis. C’est en partie dû au fait que, comme Schumpeter l’a dit, la croissance intensive est un processus de destruction créatrice : une grande partie de la croissance de la productivité se produit parce que de nouveaux entrants remplacent des entreprises plus anciennes et moins efficaces. Cela crée de l’insécurité, dans la mesure où les gens craignent pour leur emploi. Elle est exacerbée par le fait que le gouvernement doive détruire des emplois simplement pour réallouer la main-d’œuvre vers les secteurs de la construction de logements, des soins sociaux et militaire.
En outre, même les politiques les plus conventionnelles visant à accroître la productivité créent des perdants. Une politique de la concurrence plus stricte affaiblirait les entreprises en place ; un transfert des impôts sur le revenu vers les impôts fonciers nuirait aux propriétaires ; une simplification fiscale mettrait au chômage des avocats et des comptables ; et un retour au marché unique mettrait en colère les partisans du Brexit. Tout cela importe car, comme l’a fait remarquer Mancur Olson, les perdants font du bruit tandis que les gagnants restent tranquilles, ce qui signifie que même les bonnes politiques coûtent en capital politique.
Et cela importe. La politique n’est pas un séminaire dans lequel les meilleures idées l’emportent, mais c’est plutôt une question de conflit d’intérêts. Pour l’instant, ce sont les intérêts, que Joel Mokyr a appelées les forces du conservatisme, qui prévalent. Peut-être que le gouvernement va finir par trouver la force (ou la nécessité) de les défier. Et il y a un précédent : Thatcher a évité de nombreux conflits de ce type au début de son mandat, en ne s'attaquant qu'aux mineurs et en faisant des privatisations à grande échelle lors de son second mandat. Mais jusqu’alors, une croissance extensive pourrait être la seule option. »
Chris Dillow, « On intensive vs extensive growth », Stumbling & Mumbling (blog), 26 février 2025. Traduit par Martin Anota
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