« La Réserve fédérale doit atteindre un équilibre délicat entre, d’une part, le maintien d’un faible taux de chômage et, d’autre part, la prévention d’une surchauffe de l’économie et un déchaînement de l’inflation. Ses décisions ont des conséquences pour différents groupes qui pourraient être tentés d’exercer des pressions sur elle pour favoriser ce qui leur est le plus bénéfique. L’indépendance de la Réserve fédérale contribue à assurer qu’elle peut prendre des décisions politiquement difficiles qui sont dans le meilleur intérêt de l’économie à long terme, tout comme l’indépendance du pouvoir judiciaire contribue à assurer le respect de l’État de droit, même quand ces décisions sont politiquement impopulaires. Les études montrent l’importance de l’indépendance de la banque centrale pour les bonnes performances de l’économie. Néanmoins, l’indépendance de la Réserve fédérale n’est pas immunisée contre les menaces émanant du pouvoir exécutif ou du Congrès.Le double mandat de la Réserve fédérale l'oblige à "promouvoir efficacement les objectifs d'emploi maximum, de stabilité des prix et de taux d'intérêt de long terme modérés". En pratique, cela a amené la Réserve fédérale à adopter une politique monétaire visant à stabiliser l'économie, en veillant à ce que cette dernière ne soit ni en surchauffe, ni déprimée. Pour ce faire, la Fed relève le taux des fonds fédéraux lorsqu’il y a assez de craintes que l’inflation augmente et elle le réduit lorsqu'il y a assez de craintes que le chômage augmente et l’économie ralentisse. Cet objectif "Boucle d'or" implique typiquement le comité fédéral d’open market (Federal Open Market Committee, FOMC), l'organe de la Réserve fédérale prenant les décisions de politique monétaire, qui tient huit réunions régulières au cours de l’année pour évaluer les conditions économiques.
De par sa conception même, la Réserve fédérale est structurée de façon à être immunisée des pressions politiques. La Fed ne fait pas partie des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire du gouvernement. Son financement ne dépend pas des crédits du Congrès, ses opérations sont principalement financées par les intérêts gagnés sur les titres qu’elle possède […]. Le président et les deux vice-présidents de la Réserve fédérale sont nommés au milieu d’un mandat présidentiel. Les mandats des autres membres du Conseil des gouverneurs sont échelonnés et durent quatorze ans. Cela vise à empêcher un président de chercher à tirer profit de son pouvoir de nommer les gouverneurs en "pipant les dés" avec des membres qui favorisent les politiques du président et à assurer la continuité et la stabilité de la politique monétaire.
Il peut y avoir des avantages politiques à court terme à mettre en œuvre de politiques de taux d’intérêt particulières, mais ils se font au prix de coûts à long terme pour l’économie. L’augmentation des taux d’intérêt peut être néfaste pour les emprunteurs et les entreprises qui cherchent à investir et entraîner un ralentissement économique. Les banques centrales qui sont soumises à la pression politique des dirigeants en place ont tendance à mener des politiques monétaires trop expansionnistes, en particulier avant les élections. Les pressions inflationnistes doivent en conséquence être atténuées par des politiques monétaires ultérieures plus strictes. C’est ce qui s’est produit aux États-Unis en 1972 lorsque Richard Nixon a fait pression sur le président de la Réserve fédérale, Arthur Burns, pour stimuler l’économie afin d’augmenter les chances qu’il soit réélu. La politique des taux d’intérêt était en fait stimulante pendant cette période préélectorale, pour ensuite changer radicalement de cap afin d’enrayer les pressions inflationnistes exacerbées par la relance monétaire. Cette approche de la politique monétaire "stop-and-go" est économiquement déstabilisante. Il est aussi important que les banques centrales soient indépendantes du Trésor ou des autorités budgétaires d’un pays (qui font généralement partie du pouvoir exécutif). Dans le cas contraire, il y aurait des pressions pour que la banque centrale soit contrainte de financer les déficits publics en achetant des titres publics. Cela augmenterait l’offre de monnaie et alimenterait une inflation. Des exemples extrêmes de cela se sont traduits par une hyperinflation, comme dans l’Allemagne de Weimar dans les années 1920, et au Venezuela et au Zimbabwe au cours de ce siècle.
Une raison expliquant l’importance de l’indépendance de la banque centrale est qu’elle permet à cette institution de se forger une réputation pour la crédibilité qui façonne les anticipations de la population quant à la manière par laquelle elle va répondre aux circonstances économiques. L’inflation reflète en partie les anticipations des individus quant à l’évolution des prix dans le futur. Si les individus anticipent une inflation élevée, ils fixeront les prix et les salaires en fonction de ces anticipations, si bien qu’il y a prophétie autoréalisatrice. Cela a des implications pour le lien entre l’indépendance de la banque centrale et l’inflation : les banques centrales qui sont à l’abri des pressions politiques peuvent prendre des décisions difficiles pour lutter contre l’inflation et, lorsque le public en prend conscience, l’inflation moyenne a tendance à être plus faible. Notamment, cette inflation plus faible ne nécessite pas un chômage moyen plus élevé. Une illustration de cela est la façon par laquelle les anticipations d’inflation aux États-Unis se sont stabilisées au cours de ce siècle par rapport au dernier quart du vingtième siècle. Cela signifie que le pic d’inflation dans le sillage de la pandémie de Covid-19 n’était pas considéré comme représentant un taux d’inflation qui serait de façon permanente plus élevé, compte tenu de l’expérience des dernières décennies, si bien que la désinflation qui a suivi ne s’est pas accompagnée d’une hausse significative du chômage, contrairement à la désinflation du début des années 1980.
Les analyses empiriques corroborent cette association entre l’indépendance de la banque centrale et l’inflation. Les pays avec des banques centrales plus indépendantes ont eu tendance à avoir une inflation plus faible que les pays dont les banques centrales étaient moins indépendantes au cours de la période 1980-2000. Un graphique représentant les taux d’inflation moyens de 20 économies avancées et un indicateur de l’indépendance de leurs banques centrales au cours de la période montre que les pays ayant une mesure d’indépendance plus faible, comme la Norvège, ont eu tendance à avoir une inflation plus élevée que ceux dont les banques centrales étaient plus indépendantes, comme l’Allemagne (cf. graphique). (La relation tient compte du chômage et du régime de change.) Une analyse du FMI utilisant des données plus récentes montre aussi que les banques centrales plus indépendantes ont mieux réussi à modérer les anticipations en matière d’inflation, ce qui s’est traduit par une baisse de l’inflation. (L’étude inclut un ensemble plus large de pays avancés, de pays émergents et de pays à faible revenu au cours de la période 2007-2021.) Il y a eu une tendance à rendre les banques centrales plus indépendantes, ce qui reflète une plus grande appréciation de l’importance de cet arrangement institutionnel.
Le fait que la Réserve fédérale ait été conçue pour être indépendante ne la protège pas totalement des attaques politiques. Il y a eu des moments où les politiciens ont répondu avec force aux politiques de la Fed. Par exemple, le président Trump s’est plaint de la politique monétaire restrictive de la Réserve fédérale lors de son premier mandat et, plus récemment, il s’en est pris à la Fed lorsqu’elle a maintenu les taux d’intérêt inchangés lors de sa réunion de janvier 2025. Le représentant Barney Frank (D-Massachusetts) a exprimé son profond désaccord avec la décision de la Fed d’augmenter les taux d’intérêt à la Chambre des représentants en 1997. Le comité de surveillance et de réforme du gouvernement de la Chambre a proposé une mesure d’"audit de la Fed" (Audit the Fed) en 2017 qui aurait soumis les décisions de politique monétaire à l’examen du Congrès et, potentiellement, à la pression du Congrès. Mais il y a aussi des exemples de présidents respectant l’indépendance de la Fed ; par exemple, le président Reagan a reconduit Paul Volker, le président Clinton a reconduit Alan Greenspan et le président Obama a reconduit Ben Bernanke, qui tous trois avaient été initialement nommés par les présidents précédents.
William McChesney Martin Jr., président de la Réserve fédérale de 1951 à 1970, a notoirement déclaré que le rôle de la Réserve fédérale était de confisquer "le bol de punch… à l’instant même où la fête commence à battre son plein". Confisquer le bol de punch n’est peut-être pas un choix populaire. Mais la théorie et données empiriques montrent les avantages d’avoir une banque centrale qui a la réputation de ne pas céder aux pressions politiques. Une bonne réputation est difficile à établir et facile à détruire. Les politiciens qui réussissent à menacer les politiques des banques centrales peuvent en tirer un avantage à court terme, mais au prix d’un coût pour l’économie en définitive. »
Michael Klein, « Leaning on the Fed », EconoFact, 4 février 2025. Traduit par Martin Anota
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