J'ai proposé hier un corrigé pour le sujet du sujet du premier jour en Métropole ; voici mon corrigé pour celui du deuxième jour. Je vais certainement revenir sur la dissertation.
Qu'en dire ? Pas sûr que le sujet soit d'un niveau de difficulté différent de celui d'hier. L'épreuve composée est peut-être plus facile (surtout l'EC2), mais la dissertation est peut-être faussement plus facile (il y a beaucoup de choses à dire dedans). Si hier le sujet de dissertation était le plus intéressant intellectuellement (en amenant à débattre de la viabilité de la zone euro), c'est peut-être l'EC3 aujourd'hui. Et, alors que les sujets sont habituellement déconnectés de l'actualité, celui de l'EC3 aujourd'hui colle tout à fait à l'actualité économique de ces derniers mois, celle des errements tarifaires outre-Atlantique...
Dissertation
Une approche en termes de classes sociales suffit-elle à rendre compte de la structure de la société française actuelle ?
I. Certaines évolutions rendent l’approche en termes de classes sociales moins pertinente pour rendre compte de la société française…
II. ... mais d’autres éléments suggèrent que la société reste tout de même structurée autour des classes sociales
III. Cela dit, d’autres facteurs que la position de classe contribuent à structurer et hiérarchiser la société
Epreuve composée
Première partie : Mobilisation des connaissances
Vous montrerez que les asymétries d'information sont une source de chômage structurel. (4 points)
Il y a asymétrie d’information lorsque les agents ne partagent pas la même information. Sur le marché du travail, employeur et travailleur ne partagent pas la même information quant à l’efficacité de ce dernier ; seul le travailleur dispose de cette information. Cette situation est susceptible d'entraîner deux problèmes. D’une part, il y a antisélection (ou sélection adverse), un problème qui apparaît avant la signature du contrat (en l’occurrence, du contrat de travail ici). Les employeurs ne savent pas dans quelle mesure les candidats à l’embauche sont compétents et sérieux. Par conséquent, dans la mesure où il est coûteux d’embaucher et de licencier un travailleur (s’il n’est pas jugé assez efficace), les employeurs peuvent être désincités à embaucher, puisqu’ils n'ont pas « le droit à l’erreur ». D’autre part, il y a l’aléa moral (ou risque moral), un problème qui apparaît après la signature du contrat : les salariés, une fois embauchés, peuvent ne pas être incités à donner un maximum d’efforts, a fortiori s’ils savent qu’il sera coûteux pour leur employeur de les licencier et de les remplacer. Ils sont incités à « flâner », à se « tourner les pouces » lorsque leur patron a le dos tourné. Anticipant un tel risque, les employeurs sont moins incités à embaucher.
Dans les deux cas, l’asymétrie d’information amène les employeurs à moins embaucher qu’ils ne l’auraient fait dans une situation d’information parfaite, de transparence. Et ce problème n’en constitue vraiment un que dans la mesure où il est coûteux et compliqué d’embaucher et de licencier ; il risque d'être d'autant plus prégnant que la protection de l'emploi est forte. Il s’agit donc d’une cause de chômage structurelle.
En outre, il peut être rationnel pour les employeurs de réagir à l’asymétrie d’information en relevant les salaires (c’est la théorie du « salaire d’efficience »). Cela leur permet d’attirer plus facilement les travailleurs les plus efficaces (qui se savent efficaces, donc refusent de travailleur à un faible salaire), donc cela permet de réduire l’antisélection. Cela leur permet aussi d’inciter les salariés (déjà embaucher) à se donner un maximum, car ceux-ci savent qu’ils ne retrouveront pas un aussi bon salaire ailleurs, ce qui réduit l’aléa moral. Dans les deux cas, la hausse des salaires permet aux entreprises d’être davantage assurées d’avoir des travailleurs efficaces ; et les salariés (efficaces) y gagnent, puisqu’ils sont davantage rémunérés. Mais au niveau agrégé, cela ne réduit pas le niveau de chômage, au contraire : comme la hausse des salaires se traduit par une hausse des coûts de production, les entreprises restent peu incitées à embaucher. Le chômage apparaît même dans cette perspective comme un moyen d’incitation à l’effort pour les salariés : on retrouve d'une certaine mesure l’idée d’« armée industrielle de réserve » de Marx…
Deuxième partie : Étude d’un document
1. À l’aide des données du document, vous comparerez l’évolution des émissions de gaz à effet de serre en Chine et dans le monde entre 1990 et 2021. (2 points)
D’après les données du Ministère de la Transition énergétique datant de 2022, entre 1990 et 2021 les émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES) de la Chine ont augmenté de 280 %. Autrement dit, la Chine émettait en 2021 3,8 fois plus de GES qu’elle en émettait en 1990. Toujours entre 1990 et 2021, les émissions annuelles mondiales de GES ont augmenté de 60 %. Autrement dit, le monde émettait en 2021 1,6 fois plus de GES qu’en 1990. En définitive, les émissions de GES par la Chine ont augmenté 2,4 fois plus vite que les émissions mondiales de GES. On peut donc penser que la hausse des émissions chinoises a particulièrement contribué à la hausse des émissions mondiales (mais le document ne permet pas de le conclure).
2. À l’aide du document et de vos connaissances, vous montrerez que les négociations internationales liées à la préservation de l’environnement sont contraintes par des stratégies de passager clandestin. (4 points)
L’environnement est un bien commun (il est à la fois rival et non exclusif). Sa préservation est un bien collectif (elle est à la fois non rivale et non exclusive). Tous les pays gagneraient à ce que l’environnement soit préservé et l’environnement ne peut être préservé que si tous les pays font des efforts pour le préserver. Or, il est coûteux (à court terme) pour un pays de mettre en place des politiques pour préserver l’environnement, notamment en termes de pouvoir d’achat pour les ménages, de profit pour les entreprises (puisque leurs coûts risquent d’augmenter) et d’emploi. Par conséquent, en raison de la non-exclusivité, chaque pays est incité à se comporter en passager clandestin (free rider), c’est-à-dire à ne pas faire d’efforts pour préserver l’environnement et donc à compter sur les autres pour faire ces efforts. Le risque est alors que trop peu de pays s’impliquent dans la préservation dans l’environnement pour que celui-ci soit préservé, c’est-à-dire acceptent de se lancer dans des négociations, cherchent à obtenir un accord (un tant soit peu ambitieux) et, si un accord est effectivement obtenu, cherchent à le respecter. C’est notamment le cas dans la lutte contre le changement climatique.
Cela pourrait ainsi contribuer à expliquer pourquoi certains pays ont vu leurs émissions s’accroître, tandis que d’autres ont vu les leurs baisser. Nous avons noté que les émissions de GES de la Chine ont augmenté de 280 % ; celles de la France ont baissé de 75 %. (Mais, soyons honnêtes, cela s’explique certainement avant tout par le fait que les activités les plus polluantes des pays développées ont été délocalisées dans les pays en développement, notamment la Chine…)
Troisième partie : Raisonnement s’appuyant sur un dossier documentaire (10 points)
Vous montrerez que le recours au protectionnisme peut présenter des avantages.
A la suite de la Seconde Guerre mondial, les pays ont cherché à promouvoir le libre-échange, ce qui a pu contribuer à ce que l’on connaisse une vague de mondialisation des échanges de biens et services ces dernières décennies. Mais ces dernières années, plusieurs pays, en particulier les Etats-Unis, ont au contraire eu tendance à embrasser le protectionnisme. Ce dernier désigne les mesures qu’introduit délibérément un Etat pour instaurer des barrières à l’échange, freiner les importations et/ou favoriser les entreprises domestiques. Il prend généralement la forme de droits de douane ; ce sont précisément les tarifs douaniers que l’administration Trump a récemment (fortement) relevés. Mais il peut aussi s’agir de barrières non tarifaires comme les quotas d’importations, les normes sociales, sanitaires, d’hygiène et/ou de sécurité, les subventions aux producteurs nationaux, le dumping (consistant à vendre cher aux résidents pour vendre à des prix bas à l’étranger), la manipulation des taux de change, etc.
Nous allons montrer que le recours au protectionnisme peut présenter des avantages.
Si le protectionnisme peut s’avérer attrayant, c’est avant tout parce que le libre-échange n’est pas sans inconvénients. Certains pays ont des dotations factorielles peu rentables, c'est-à-dire n’ont absolument aucun avantage absolu, leurs entreprises ne sont absolument pas compétitives vis-à-vis de leurs rivales étrangères. Par conséquent, s’ils s’ouvrent au commerce extérieur, ils risquent seulement de s’appauvrir : leurs entreprises ne parviendront pas à exporter et leurs résidents se détourneront des produits domestiques. Ces pays n’ont alors aucun intérêt à abandonner le protectionnisme. C’est en particulier le cas des pays les plus pauvres.
En outre, le libre-échange a tendance à creuser les inégalités de revenu, en particulier dans les pays développés. En effet, en raison de leurs dotations factorielles, ceux-ci ont un avantage comparatif dans les productions nécessitant du capital et du travail qualifié, tandis que les pays en développement ont un avantage comparatif dans les productions nécessitant du travail non qualifié. Ces dernières décennies ont été marquées par une délocalisation des activités intensives en travail non qualifié des pays développés vers les pays en développement. Cela a contribué à la désindustrialisation : par exemple, de son pic au début des années 1970 à la fin des années 2010, la part d’emplois dans l’industrie en France a baissé de 13 points ; elle a été divisée par plus de deux, d’après les données d’Eurostat (doc 3). Or ce sont avant tout les travailleurs non qualifiés (les ouvriers) qui ont fait face au risque de perte d’emploi dans l’industrie : certains l’ont effectivement perdu ; ceux qui l’ont gardé ont eu plus de difficultés à obtenir des revalorisations de salaires. Cela a donc contribué à la hausse des inégalités de revenu que l'on a pu observér dans les pays développés à partir des années 1980.
Ainsi, un gouvernement peut être incité à adopter des mesures protectionnistes pour défendre secteurs en déclin, notamment pour éviter les destructions d’emplois : on parle de « protectionnisme défensif ». De telles mesures peuvent notamment permettre aux secteurs en question de disposer de davantage de temps pour se restructurer, innover (de nouveau). Ce sont, pour les raisons que nous avons indiquées, les pays développés qui sont les plus susceptibles d’adopter un tel protectionnisme. C’est effectivement dans cette optique que la première administration Trump a relevé les droits de douane américains, puis en partie dans cette optique que l’administration Biden a adopté des mesures protectionnistes (doc 1).
Cela dit, il peut aussi être justifié que certains pays ou secteurs émergents soient protégés par des mesures protectionnistes. C’est l’idée développée par Friedrich List : il faut protéger les industries naissantes d’un pays, car celles-ci n’ont pas encore su exploiter les économies d’échelle, elles n’ont pas encore de main-d’œuvre qualifiée, les consommateurs ne se sont pas encore habitués aux produits nationaux, etc. Tant qu’un secteur est à l’abri de la concurrence internationale, il pourra exploiter peu à peu les économies d’échelle, les économies d’apprentissage, etc. D'une certaine manière, le protectionnisme permet alors de créer des avantages comparatifs. Il s’agit donc d’un « protectionnisme éducateur ». Cependant, List ne rejette pas le libre-échange. Il considère que les mesures protectionnistes n’ont pas vocation à durer dans le temps. Ce sont des « béquilles pour apprendre à marcher ». Elles doivent juste permettre au pays de réduire l’écart de compétitivité que ses entreprises domestiques accusent vis-à-vis de leurs rivales étrangères ; une fois que cet écart est comblé, le pays doit embrasser le libre-échange, ce qui permet notamment à d’autres pays, moins développés, d’adopter une telle stratégie et de se développer à leur tour.
Le fort usage de subventions publiques de la Chine dans la production de panneaux solaires (lui permettant de produire 77,8 % des panneaux solaires dans le monde, d’après les données de l’Agence internationale de l’énergie, doc 2) et les subventions publiques accordées par l’administration Biden dans les industries engagées dans la transition énergétique (doc 1) s’inscrivent dans un protectionnisme éducateur.
En outre, les mesures protectionnistes peuvent paradoxalement contribuer à créer de la concurrence au niveau international. C’est l’exemple emblématique de l’Airbus, fruit de la coopération européenne : son développement a été financé par les Etats européens. Sans cette intervention publique, le marché de la construction aéronautique aurait pu être dominé par le seul constructeur américain Boeing. En lieu et place, le marché s’apparente à un duopole : les deux constructeurs se livrent une concurrence qui bénéficient aux consommateurs à travers des prix plus faibles et une meilleure qualité qu’ils n’auraient obtenus dans une situation de monopole. La loi CHIPS and Science Act adoptée par l’administration Biden vise précisément à contester la position dominante de l’Asie dans la production de microprocesseurs (doc 1).
Enfin, un pays a sûrement intérêt à garder certaines activités, jugées stratégiques, par exemple en matière de santé ou de défense, comme nous l’avons vu ces dernières années, lors de la pandémie et, plus récemment, avec l’accentuation des tensions géopolitiques, en particulier la reprise de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
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