mercredi 23 avril 2025

L'Amérique est en train de connaître un arrêt brutal

« Hier, Bloomberg a publié un article intitulé "Markets are discovering the real Trump trade is ‘sell America’". C'est à peu près exact. Regardez la valeur du dollar sur les marchés internationaux […]. Pendant un temps, après l'élection, les investisseurs ont aimé Trump […]. Mais face à l’enchainement de mesures stupides, ils ont progressivement perdu leur amour et semblent maintenant capituler. Je pense qu'ils n'ont pas encore pris conscience à quel point c’est mauvais, mais ils commencent à en avoir une idée.

Taux de change du dollar vis-à-vis de l'euro

Ce que nous observons maintenant est familier pour ceux d'entre nous qui ont étudié les crises économiques dans d'autres pays, généralement, mais pas toujours, les pays émergents. Car cela ressemble de plus en plus à un "arrêt brutal" (sudden stop). C'est ce qui se produit lorsqu'un pays qui a dépendu d'importantes entrées de capitaux étrangers perd la confiance des investisseurs financiers internationaux. L’afflux d’argent se tarit et les conséquences économiques sont généralement hideuses.

Trump a hérité d'une économie en excellente santé. Nous avions connu une "désinflation immaculée" (immaculate disinflation) : le pic d'inflation de 2021-2022, largement causé par les perturbations des chaînes d'approvisionnement liées à la Covid, s'était estompé sans hausse significative du chômage.

Taux d'inflation et taux de chômage aux Etats-Unis (en %)

Mais Trump n'a pas perdu de temps pour gâcher le jeu qui s’est retrouvé dans ses mains. Ce n'est pas seulement à cause des droits de douane destructeurs. C'est aussi le chaos, comme la politique zigzague fortement, et la folie. Si vous étiez un investisseur étranger, voudriez-vous miser sur l'Amérique en ce moment ? Voudriez-vous même vous y rendre pour examiner les perspectives d'investissement, étant donné le risque d'être emprisonné par l'ICE pour avoir envoyé un message critique à l'égard de Trump ?

Les conséquences économiques d'un arrêt brusque des entrées de capitaux sont, comme je l'ai dit, généralement hideuses. J'écris ces lignes depuis le Portugal, qui, comme d'autres pays d'Europe du Sud, a été frappé par un arrêt brutal des entrées de capitaux alors même qu'il se remettait à peine de la crise financière mondiale de 2008. Il en a résulté une nouvelle crise économique sévère qui a produit une immense misère :

Croissance du PIB du Portugal (en %)

Les États-Unis peuvent-ils souffrir de la même manière ? Nous avons de gros avantages structurels que, par exemple, le Portugal en 2011 ou l'Argentine en 2001 manquaient. Surtout, la dette extérieure américaine est majoritairement libellée en dollars. Cela signifie qu'une chute du dollar ne provoquera pas une explosion de la valeur de notre dette en monnaie nationale, comme c'est généralement le cas lors des crises des pays émergents. Et les entreprises et les individus aux Etats-Unis ont d'importants investissements à l'étranger, dont la valeur en dollars augmentera avec la chute du taux de change du dollar. Par conséquent, l'effondrement du dollar avec Trump entraînera, du moins temporairement, une amélioration de notre position d'investissement international, c'est-à-dire la différence entre les actifs et les passifs des États-Unis.

D’un autre côté, le Portugal en 2011, ou même l'Argentine en 2001 avaient des dirigeants assez sensés. Ce n'est pas le cas des Etats-Unis. Comme plusieurs personnes l'ont souligné, il n’y a aucun autre gouvernement au monde qui aurait pu maintenir Pete Hegseth en fonction malgré ses performances jusqu'à présent.

Et à mesure que les choses empirent, il n’y a pas de raison de croire que Trump et ceux qui l’entourent chercheront des solutions politiques. Au lieu de cela, nous assisterons à une combinaison de déni et d’efforts visant à rejeter la faute sur autrui. Trump a déjà déclaré que les rapports faisant état d'une hausse des prix étaient des "fake news". Et il prépare déjà le terrain pour faire de Jerome Powell, "monsieur Trop Tard" et "un grand perdant", son bouc émissaire pour tout ce qui va mal. Viennent ensuite les théories du complot, que nous entendons déjà de la part des alliés de Trump au Congrès […].

Rien de tout cela n'était nécessaire. L'économie américaine se portait bien avant que Trump revienne au pouvoir. La Trumponomics n’est pas une réponse aux vrais problèmes. C'est un président qui a mené une guerre contre la compétence pour assouvir ses obsessions personnelles.

Mais l’Amérique et le monde vous souffrir des conséquences. »

Paul Krugman, « Stop! In the name of Trump! », Krugman Wonks Out (blog), 22 avril 2025. Traduit par Martin Anota

 

Aller plus loin…

« De l’arrêt soudain à la déflation par la dette »

 « Le coût des larges entrées de capitaux »

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