jeudi 10 avril 2025

Le désastre de la Trumponomics continue

« […] Toute personne donnant le feu vert aux droits de douane ou à la politique économique de Trump en général devrait être tenue à l’écart des objets tranchants et interdite d’utilisation de grosses machines. La situation où nous sommes n’est guère meilleure qu’avant l’annonce par Donald Trump d’une pause tarifaire (dans un message sur Truth Social, bien sûr). En fait, nous pourrions être dans une plus mauvaise situation.

Je développerai quatre remarques concernant le régime tarifaire de Trump post-pause : 

1. Même les taux de droits de douane post-pause représentent un puissant choc protectionniste.

2. L'incertitude destructrice entourant la politique future s'est accrue.

3. Il y a toujours un risque d'une crise financière majeure.

4. Le monde sait désormais que Trump est aussi faible qu’erratique.

 

Il y a toujours un puissant choc protectionniste

Hier, Trump a annoncé qu'il n'imposerait finalement pas tous les droits de douane annoncés la semaine dernière. Il a plutôt opté pour des droits de douane de 10 % pour tout le monde et de 125 % pour la Chine. Question du jour : le taux de 10 % s'applique-t-il toujours aux pingouins des îles Heard-et-McDonald ?

Dans tous les cas, cette nouvelle annonce fixe toujours les droits de douane à un niveau bien plus élevé qu'avant l'arrivée de Trump au pouvoir et même plus élevé que ce qu'il avait suggéré pendant la campagne. Par exemple, durant la campagne, des chercheurs du Peterson Institute for International Economics avaient construit un modèle supposant que Trump appliquerait des droits de douane de 10 % à tous les pays et de 60 % à la Chine. Ils avaient conclu que ce régime provoquerait un choc négatif sur l'économie américaine. Nous faisons désormais face à des droits de douane plus de deux fois supérieurs à ce niveau pour la Chine, ainsi qu'à 10 % pour tous les autres pays.

Quel est le niveau global des droits de douane après que la "pause" ait été annoncé ?

C'est une question épineuse. La Chine représentait 13 % des importations américaines en 2024. Si l'on applique les nouveaux taux de droits de douane annoncés aux importations de 2024, on obtient un taux moyen de 24,95 %, soit un niveau plus élevé qu'avant la pause. Néanmoins, des droits de douane incroyablement élevés sur les importations en provenance de Chine entraîneront une baisse de ces dernières, si bien qu’un calcul basé sur les échanges commerciaux de 2024 est problématique.

Taux de droits de douane effectif aux Etats-Unis (en %)

Cependant, ne pas importer de la Chine est aussi très coûteux : si nous n'importons plus un bien en provenance de Chine, nous devons soit nous tourner vers d'autres fournisseurs plus coûteux, soit le bien disparaît tout simplement des rayons. Dans le graphique en haut [...], j'ai estimé le taux de droit de douane "effectif" après la pause. Le droit de douane effectif prend en compte à la fois les coûts directs et indirects et il reflète l'augmentation du coût de la vie imposée par le droit de douane. Avec un droit de douane de 125 % sur les importations de produits chinois et de 10 % sur toutes les autres importations, j'arrive à un taux de droit de douane effectif légèrement inférieur au niveau Smoot-Hawley de 1930. Mais cela représente tout de même une hausse considérable des droits de douane dans une économie américaine qui importe aujourd'hui trois fois plus qu'en 1930. Le régime tarifaire post-pause de Trump reste le plus grand choc commercial de l'histoire des États-Unis et je pense de l'histoire mondiale.

 

C'est l'incertitude, idiot

Comme beaucoup d'autres observateurs, j'ai affirmé que l'incertitude entourant les politiques de Trump est un frein sur l'économie aussi important que celui exercé par ces politiques proprement dites. Avant l'annonce de Rose Garden, j'avais prévenu que ce ne serait pas la fin de l'histoire : "Trump pourrait imposer de nouveaux droits de douane, ou les réduire aussi brutalement qu'il les a relevés, selon la dernière personne qui lui a parlé. L'État, c'est Trump. Ce genre d'incertitude est paralysant pour les entreprises, qui prennent conscience que tout engagement à long terme peut se révéler être une erreur désastreuse. Construisez une usine qui dépend de pièces importées et Trump pourrait vous couper les jambes avec de nouveaux droits de douane. Construisez une usine qui n'est rentable que si les droits de douane restent en place et Trump pourrait vous couper les jambes en les retirant. De nouveau, le fait est qu'il n'existe pas vraiment de philosophie économique MAGA, juste ce qui convient à l'ego fragile de Trump."

Et cela s'est avéré être le cas. Alors, tout est réglé maintenant ? Loin de là. La pause est de 90 jours. Que se passera-t-il ensuite ? Personne, y compris Trump, n’en a la moindre idée. Si vous imaginez que les États-Unis puissent négocier des accords tarifaires "sur mesure" ​​avec les plus de 75 pays qui, selon Trump, cherchent à conclure un accord en seulement trois mois, demandez-vous : qui est supposé régler les détails ? Si vous étiez chef d’entreprise ou dirigeant, feriez-vous des investissements majeurs ou des engagements à long terme au cours des prochains mois ? Je ne le ferais pas.

 

Il y a toujours un risque de crise financière

Hier, j’ai noté que les marchés financiers montraient les signes avant-coureurs d’une crise financière balbutiante. J’ai principalement observé le taux d’inflation d’équilibre (breakeven inflation rate), mais de nombreux autres indicateurs étaient également à l’orange. Même les rendements des obligations fédérales à long terme, habituellement une valeur refuge en période de turbulences, sonnaient l’alarme.

L’inimitable Nathan Tankus a publié un nouvel billet expliquant pourquoi nous étions et restons vulnérables à une nouvelle crise. Il explique pourquoi l’annonce de Rose Garden a peut-être constitué un nouveau "moment Lehman" pour le système financier, mais induit par les tarifs douaniers. Il explique beaucoup de choses que je ne savais pas ou que j’avais seulement vaguement comprises, en particulier comment les fonds spéculatifs sont devenus des fournisseurs clés de liquidités, même sur le marché du Trésor (via le "basis trade"). Ainsi, lorsque les portefeuilles des fonds spéculatifs sont touchés par une politique erratique, cela crée rapidement une turbulence à l’échelle du système.

Je prévois d'écrire un guide sur les crises financières et leur déroulement ce week-end.

Le niveau de tensions sur les marchés financiers a légèrement diminué hier, mais la situation reste tendue. La prochaine décision politique stupide de Trump (et il y en aura d'autres) pourrait bien nous faire basculer dans le vide.

Surtout, ne prenez pas le rebond d'hier comme un signe que le danger est derrière nous. Observez le comportement du NASDAQ après le moment Lehman Brothers initial :

Indice Nasdaq

Il y avait eu plusieurs rebonds boursiers importants, mais de courte durée, avant une chute brutale. Supposer que la hausse d'hier a été la fin de l'histoire revient à ignorer à la fois les fondamentaux d'une politique erratique et les leçons de l'histoire.

 

Les tyrans sont faibles

L'histoire des droits de douane jusqu'à présent (​​du moins telle que les autres pays la percevront) est que Trump a annoncé des politiques extrêmes, a insisté sur le fait qu'il les maintiendrait quoi qu'il arrive, puis qu’a battu en retraite de manière ignominieuse. En d'autres termes, Trump est un tyran typique, plein d'arrogance et de discours musclé, qui fuit au premier signe d'adversité.

En ce qui concerne les droits de douane, la lâcheté et la faiblesse de Trump sont peut-être une bonne chose. Mais qu'en est-il du reste ? »

Paul Krugman, « Trump is stupid, erratic and weak », 10 avril 2025. Traduit par Martin Anota

 

Aller plus loin...

« Les conséquences économiques du second mandat de Trump » 

« Quelles ont été les conséquences de la guerre commerciale de Trump pour les Etats-Unis ? » 

« Petite macroéconomie des droits de douane »

 « Les insidieux effets de l’incertitude sur l’économie »  

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