vendredi 25 avril 2025

Elon Musk se trompe sur le PIB

« De toutes les affirmations douteuses récemment émises par Elon Musk, je n'en ai pas vu de plus intéressantes que son tweet affirmant qu'"une mesure plus précise du PIB exclurait les dépenses publiques. Sinon, on pourrait gonfler artificiellement le PIB en dépensant de l'argent pour des choses qui n'améliorent pas la vie des gens".

Qu'il soit sérieux ou non, l'idée mérite d'être examinée de plus près, parce qu’elle exprime explicitement un malentendu instructif et en implique fortement un second. Le malentendu explicite est qu'une mesure précise du produit intérieur brut (PIB) inclurait tout et seulement les choses qui améliorent la vie des gens. Il ne le fait pas. Le malentendu implicite est que le PIB doit être précis car les gouvernements cherchent à le maximiser. Ils ne le font pas. (Regardez autour de vous.)

J'ai été surpris d'apprendre en lisant le nouveau livre de Diane Coyle, The Measure of Progress, que lorsque les mesures du PIB ont été construites pour la première fois, la théorie de Musk a failli triompher. Les dépenses publiques n'ont été incluses dans le PIB qu'après un houleux débat. La politique explique en partie cette inclusion : la Seconde Guerre mondiale faisait rage et les gouvernements ne voulaient pas que leurs dépenses militaires soient ignorées.

La justification la plus solide pour inclure les dépenses publiques dans le PIB était théorique : l’économiste John Maynard Keynes avait formulé une théorie macroéconomique basée sur la demande globale, notamment la demande publique. Une mesure du PIB qui ferait abstraction de l’État serait inutile pour tenter de comprendre et de stabiliser l’économie.

Le PIB est la valeur de tous les biens et services produits dans une économie. Cette définition soulève une question immédiate : la valeur selon qui ? La réponse est (en quelque sorte) la valeur selon le marché. Si vous cultivez du blé, sa valeur est définie par le prix auquel vous le vendez, moins ce qui vous a coûté pour le cultiver. Mais qu'en est-il si le bien ou le service n'est pas vendu dans une transaction marchande ? S'il a toujours de la valeur, elle devrait en principe être incluse dans le PIB. En pratique, ce n'est peut-être pas le cas.

Par exemple, si vous payez quelqu'un pour cuisiner, faire le ménage et s'occuper de vos enfants, ces transactions marchandes sont incluses dans le PIB. Si vous faites votre lessive et vous occupez de vos enfants vous-même, la même activité n’est pas prise en compte. (Une célèbre critique du PIB, "quand un homme épouse sa femme de ménage, le PIB chute", parvient d'une certaine façon à présenter une intuition féministe comme du chauvinisme.) 

Un autre exemple : l’éducation pourrait être achetée comme un produit ou elle pourrait être dispensée gratuitement aux frais du contribuable. Comment évaluer un système éducatif entièrement financé par l’État ? Nous pourrions estimer sa valeur marchande. Ou supposer que la valeur de l’enseignement correspond à la rémunération des enseignants. Ou nous pourrions reprendre la suggestion d’Elon Musk et déclarer que si les écoles sont financées par le contribuable, il serait "plus juste" de supposer qu’elles n’ont pas du tout de valeur. Simple, mais stupide.

Elon Musk n'est pas le seul à avoir dit des choses stupides à propos du PIB. Le sénateur Robert Kennedy a prononcé un discours célèbre en 1968 dans lequel il déplorait que le PNB (un proche cousin du PIB) "comptabilise la pollution de l’air et la publicité pour la cigarette… des serrures spéciales pour nos portes et des prisons pour ceux qui les forcent". Pourtant, a-t-il ajouté, il n'inclut pas "la santé des enfants… la beauté de notre poésie ou la force de nos mariages, l'intelligence de notre débat public ou l'intégrité de nos responsables publics". 

Le PIB américain a considérablement augmenté depuis 1968, qu’il en va de même ou non pour l'intelligence du débat public des Etats-Unis et l'intégrité de ses responsables. Mais pour comprendre pourquoi ce discours est stupide, imaginez réunir un groupe de réflexion et lui demander : "Comment pouvons-nous aider nos enfants à être en meilleure santé, nos mariages à être plus forts et notre poésie à être plus belle ?" Je peux imaginer de nombreuses réponses possibles à ces questions. Aucune d'entre elles n'est de "redéfinir le PIB".

Le PIB mesure la production de l'économie et il la mesure parfois mal. L'ouvrage de Coyle souligne qu'outre la difficulté persistante à saisir la valeur du travail non rémunéré et des services publics, notre infrastructure statistique peine également à mesurer les services financiers, les améliorations de la qualité des produits et les services qui sont associés à des biens physiques. Il y a une importante marge de progression ici, mais l'objectif de cette amélioration devrait être de mieux parvenir à mesurer la production économique. 

Qu'en est-il alors de la planète ? Qu'en est-il de la vie, de la liberté et de la poursuite du bonheur ? Qu'en est-il de toute cette belle poésie ? Si ces choses importent, elles doivent être soutenues par de bonnes politiques, informées par de bonnes statistiques. Mais lorsqu'on commence à réfléchir sérieusement à ce que pourraient être ces statistiques, on se rend compte qu'elles ont très peu à voir avec le PIB. Si l'on voulait vraiment mesurer ce qui "améliore la vie des gens", il serait vain de tenter de modifier le PIB. Ce serait simplement une erreur de catégorie, comme essayer de mesurer son espérance de vie en partant de la valeur marchande de sa voiture et en procédant à quelques ajustements de celle-ci. 

Pour mesurer la qualité de vie des gens, demandez-la-leur. Pour en trouver un exemple, les lecteurs curieux peuvent jeter un coup d’œil au World Happiness Report qui a été récemment publié. De même, sauver la planète ne nécessite pas de redéfinir un objectif ambitieux. Cela nécessite une myriade de politiques bien conçues, chacune fondée sur des données soigneusement collectées.

Le vrai problème avec le PIB n'est pas qu'il inclut les dépenses publiques, qu'il omet les tâches domestiques ou qu'il ne parvient pas à mesurer la qualité d’un poème. C'est qu'il nous incite à considérer tout progrès humain comme un score informe, que nous pouvons commencer à maximiser aussitôt que nous corrigeons ce qui nous semble erroné dans son calcul. C'est un mirage. On dit qu'Elon Musk adore gagner aux jeux vidéo. L'épanouissement humain n'est pas un jeu vidéo. »

Tim Harford, « Elon Musk is wrong about GDP », avril 2025. Traduit par Martin Anota

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