lundi 14 avril 2025

La tornade tarifaire de Trump

« En période de récession, le déficit commercial diminue. Donc, si les droits de douane nous plongent dans la récession, nous pourrions réduire le déficit commercial, parce que nous consommerions alors moins de choses. »

Sénateur Rand Paul, le 8 avril 2025


« Depuis son investiture à la mi-janvier, le président Trump a adopté des hausses de droits de douane d'une ampleur et avec une rapidité sans précédent. Même après le report partiel de 90 jours annoncé le 9 avril, le Yale Budget Lab estime que le taux moyen des droits de douane américains s'élève désormais à 27 %, le niveau le plus élevé depuis 1902 (cf. graphique) ! Même si ce taux devrait probablement se rapprocher de 18 % avec la baisse des importations américaines de biens fortement taxés, il s'agirait toujours du niveau le plus élevé depuis 1933.

Actuellement, le régime tarifaire de Trump inclut un droit de douane exorbitant de 145 % sur la Chine, de 10 % sur la plupart des autres pays et des taxes élevées sur certains secteurs, notamment de 25 % sur l'automobile, l'acier et l'aluminium. À l'avenir, le président pourrait restaurer les droits de douane reportés, augmenter ceux sur les produits qui ont été jusqu'ici épargnés (par exemple, le cuivre, le bois, les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs), augmenter davantage les taxes sur les pays qui (comme la Chine) optent pour la riposte ou conclure des accords avec certains pays pour réduire les droits de douane et autres obstacles au commerce. Quelle que soit la suite des événements, des analystes fiables considèrent déjà les taxes de Trump comme la plus importante hausse d'impôts fédéraux depuis au moins 1982 […].

Taux de droits de douane moyen sur les importations américaines (en %)

Le plus étonnant avec ces droits de douane est peut-être que personne en dehors de l'administration ne sait pourquoi ils ont été adoptés. Bien sûr, le président Trump prône depuis plusieurs décennies des barrières tarifaires élevées. De ce point de vue, ces actions ne sont pas surprenantes. Néanmoins, le krach boursier qui a suivi l'annonce des droits de douane le 2 avril, aussi bien que la hausse des rendements des bons du Trésor américain et la chute de la valeur du dollar, confirment que les investisseurs financiers ont fortement sous-estimé à la fois l'ampleur des droits de douane imposés par Trump et leurs potentiels dommages économiques.

Le fait que les responsables de l'administration avancent de nombreux arguments incohérents en faveur des droits de douane est l'une des principales raisons expliquant le choc sur les marchés financiers. Par exemple, si les droits de douane augmentent les recettes fiscales à long terme, ils devraient être pratiquement permanents. De même, s'ils favorisent la substitution aux importations susceptible de stimuler la production et l'emploi dans l’industrie domestique, ils doivent être élevés de façon permanente (et prévisible). Pourtant, certains responsables insistent sur le fait que la stratégie consiste à créer un levier pour les négociations avec les partenaires commerciaux, conduisant à une réduction mutuelle des obstacles à l’échange stimulant l'activité transfrontalière. Mais si c’est l'objectif, les droits de douane ne généreront pas beaucoup de recettes fiscales et n'inciteront pas les entreprises domestiques à investir dans des secteurs où le pays manque d'avantage concurrentiel sous-jacent. Enfin, les énormes droits de douane imposés à la Chine suggèrent que la sécurité nationale est un objectif clé. Cependant, le président a aussi fortement augmenté les droits de douane sur les alliés militaires des États-Unis et leurs produits clés, sapant par là les bénéfices sécuritaires d'un marché intégré en Amérique du Nord. Cette extraordinaire incohérence est clairement mauvaise pour l'économie, le système financier et la sécurité nationale.

Il y a ensuite le report annoncé par le Président le 9 avril. L'administration avait certes la possibilité, le 2 avril, d'annoncer des droits de douane spécifiques et de retarder de 90 jours leur mise en œuvre sous réserve de négociations bilatérales. Mais la mise en œuvre des droits de douane, puis leur retrait en pleines turbulences financières, suggèrent un "Trump put" (c’est-à-dire une assurance contre les baisses) pour les marchés financiers, réduisant ainsi tout levier pour négocier que l'administration aurait pu créer une semaine plus tôt. L'impression générale est que le Président a cédé le 9 avril en réaction aux perturbations combinées sur les marchés boursiers, obligataires et des changes qui ont signalé plus largement une baisse de confiance envers les actifs américains […]. En bref, la politique commerciale est devenue erratique et imprévisible.

Ces incertitudes fondamentales à propos de l'objectif des droits de douane (et quant à savoir s’il y a une explication logique aux actions du président) signifient que nous avons encore peu d'idées quant à savoir jusqu’où ils peuvent grimper ou combien de temps ils vont durer. Avant même les décisions du président en avril, un indicateur bien connu de l'incertitude de la politique économique américaine avait atteint son deuxième plus haut niveau des 40 dernières années […]. Ces derniers jours, des indicateurs d'incertitude plus récents ont atteint des niveaux qui ne sont généralement observés qu’en période de guerre, de pandémie et de krach financier. Par exemple, le VIX, qui utilise les options pour mesurer les anticipations de volatilité de l’indice S&P 500 au cours des 30 prochains jours, a atteint un pic de plus de 50 le 8 avril, clôturant à 37,6 le 11 avril (cf. graphique).

VIX : indice de volatilité sur le marché boursier

Le problème pour les investisseurs en actions n’est pas un arbitrage complexe entre les coûts à court terme des droits de douane et leurs bénéfices à long terme. Les investisseurs actualisent les bénéfices attendus sur l'ensemble de l'horizon. En conséquence, le plongeon des cours boursiers depuis l'investiture, et plus particulièrement depuis le 2 avril, anticipe un impact très négatif sur les profits des entreprises, même à long terme. Ce jugement défavorable du marché est cohérent avec la théorie économique : les droits de douane sapent les incitations à devenir compétitif et à innover, déplaçant finalement les ressources vers des activités moins productives. La volatilité accrue du marché boursier reflète principalement l'incertitude quant à l'évolution future des droits de douane. Les maintenir (même sans les relever davantage) est susceptible d'entraîner une inflation persistante et un ralentissement de la croissance à long terme. En outre, l'incertitude record entourant la politique commerciale est probablement suffisante pour provoquer une récession.

Nous devons ajouter que l'expérience avec les droits de douane élevés dans les économies modernes est de très mauvais augure pour les perspectives économiques américaines. Dans les années 1950 et 1960, certains économistes appelaient à la "substitution aux importations" comme stratégie de croissance dans les pays émergents (voir, par exemple, Raul Prebisch). Remplacer les Mercedes produites en Allemagne par des Cadillac du Michigan pourrait être l'un des objectifs des nouveaux droits de douane américains. Cependant, l'expérience de pays comme l'Argentine et l'Inde montre que la stratégie générale de substitution aux importations est aujourd'hui largement considérée comme un échec historique. Cette approche a appauvri les pays qui l’ont adoptée, laissant finalement place à des politiques mettant l'accent sur une plus grande ouverture au commerce et aux investissements étrangers et (dans certains cas) sur une fiscalité et une réglementation plus faibles […]. Plutôt que la substitution aux importations qui empêche la concurrence, ce sont les politiques favorisant la concurrence qui généralement alimentent la croissance économique et améliorent le niveau de vie.

Dans la suite de ce billet, nous tentons de corriger une erreur commune à propos de la politique commerciale internationale, à savoir l’idée selon laquelle des droits de douane plus élevés, en promouvant la substitution aux importations, réduiraient le déficit extérieur américain. Comme le sénateur Paul le suggère dans la citation en ouverture, le principal mécanisme par lequel les tarifs douaniers peuvent réduire le déficit extérieur est en provoquant une récession. En effet, comme le graphique ci-dessous le met en lumière, le solde courant des États-Unis (qui est une approximation raisonnable de la balance commerciale du pays) augmente durant les récessions et décline lors des expansions.

Solde du compte courant des États-Unis (en % du PIB)

Pour étayer notre argumentation, nous introduisons tout d'abord la définition de la production ou du revenu (PIB ou Y) en comptabilité nationale et montrons comment elle est liée à l'épargne privée (S) et à l'épargne publique (T - G). Cette dernière est la différence entre les recettes fiscales T et les dépenses publiques G, qui est égale au solde budgétaire du gouvernement. L'épargne nationale est la somme de l'épargne privée (S) et de l’épargne publique (T - G). Cette comptabilité montre que le solde extérieur (excédent ou déficit courant) est égal à l’excès d'épargne nationale (S + T - G) sur l'investissement (I). L'implication clé est que l’altération du solde extérieur nécessite un changement dans une certaine combinaison de l'épargne privée, du solde budgétaire du gouvernement et de l'investissement.

Pour le voir, faisons un petit détour par une comptabilité simple en commençant par la définition familière que les manuels donnent de la production nationale :

Y = C + I + G + NX

En d'autres termes, la production ou le revenu d'une nation (Y) est la somme de la consommation (C), de l'investissement (I), des dépenses publiques (G) et des exportations nettes (NX). Le solde extérieur est égal aux exportations nettes (les exportations moins les importations). Il y a un excédent du compte courant lorsque NX est positif et il y a un déficit lorsqu'il est négatif.

Ensuite, notons que le secteur privé peut soit consommer (C) soit épargner (S) son revenu après impôts :

Y – T = C + S

En mettant ces deux définitions ensemble (en soustrayant l'une de l'autre et en les réarrangeant), nous pouvons écrire :

S + (T – G) – I = NX

De nouveau, le deuxième terme du côté gauche de l'équation correspond au solde budgétaire de l'État : l'excédent des recettes fiscales (T) sur les dépenses (G). Lorsque ce dernier est positif, l'État est en excédent ; lorsqu'il est négatif, il est en déficit. Là encore, la somme de l'épargne publique (T – G) et de l'épargne privée nous donne l'épargne nationale : S + (T – G) .

Bien que cette arithmétique soit simplement comptable, elle contient une importante leçon : le compte courant (NX) doit être égal à la différence entre l’épargne nationale [S+(T – G)] et l’investissement (I). Quand l’investissement dépasse l’épargne nationale, le pays a un déficit du compte courant (NX < 0). Et quand l’épargne nationale dépasse l’investissement, le pays a un excédent du compte courant (NX > 0).

Pour le dire autrement, il y a trois sources possibles de financement de l'investissement : l'épargne privée (S), l'épargne publique (T – G) ou les étrangers sous la forme d'exportations nettes négatives (NX < 0). Dans un pays comme les États-Unis, où le dernier excédent courant a été enregistré durant la récession de 1990-1991, l'investissement est systématiquement supérieur à l'épargne nationale.

Nous pouvons désormais voir le résultat clé : pour réduire le déficit extérieur des États-Unis, ces derniers doivent augmenter l’épargne nationale (privée plus publique), réduire l’investissement ou une combinaison des deux. Lequel de ces résultats, s’il y en a un, est susceptible de résulter d’une hausse des droits de douane ?

Commençons par les composantes de l'épargne : publique et privée (cette dernière combine les ménages et les entreprises). Comme impôts, les droits de douane augmentent l'épargne publique (T – G). Cependant, l'administration et le Congrès prévoient aussi d'importantes baisses d'impôts qui sont susceptibles d'annuler cet effet. Par ailleurs, les droits de douane augmenteront-ils l'épargne privée ? De nouveau, c'est improbable. L'épargne dépend généralement de facteurs à long terme comme le vieillissement de la population. Elle peut aussi être sensible à la croissance du revenu après impôts (qui stimule généralement l'épargne) et à l'inflation (qui réduit généralement l'épargne). Puisque les droits de douane ont tendance à réduire le revenu après impôts et à accroître l'inflation, cela semblerait déprimer, et non augmenter, l'épargne.

Ainsi, le principal moyen par lequel les droits de douane de Trump sont susceptibles d'affecter l'écart entre l'épargne nationale et l'investissement est en réduisant l'investissement. Puisque les droits de douane ont tendance à réduire les profits, ils sont aussi susceptibles de réduire l'investissement. Comme les profits, l'investissement des entreprises est fortement procyclique : il plonge généralement dans une récession et explose lors d’une reprise). Sans surprise, cela rend également le solde extérieur fortement contracyclique, augmentant lors des récessions comme l'investissement baisse (comme le sénateur Paul le déclare dans la citation en ouverture) et diminuant lors des reprises comme l'investissement rebondit.

Le cadre de comptabilité nationale pointe aussi les problèmes avec d'autres affirmations de l'administration. Même si les droits de douane attirent certains investissements étrangers aux États-Unis, il est improbable qu'ils augmentent l'investissement global. Ironiquement, si tel était le cas, l'effet, au moins temporaire, serait de réduire, et non d'augmenter, le solde extérieur des Etats-Unis : si I augmente et que l'épargne nationale est stable, alors le solde extérieur diminue.

Nous concluons en soulignant un autre mécanisme extrêmement dommageable par lequel le nouveau régime tarifaire pourrait réduire le déficit commercial américain : à savoir en réduisant l’attrait des actifs américains pour les investisseurs étrangers. Jusqu’à présent, nous nous sommes focalisés sur le compte commercial du pays, c’est-à-dire ses exportations et importations de biens et services. L’autre face du compte commercial est le compte de capital : les flux transfrontaliers d’actifs qui rémunèrent les vendeurs domestiques ou étrangers de biens et services.

Quand des étrangers vendent aux États-Unis plus de biens et de services qu'ils n'en achètent, ils doivent accepter des actifs américains en compensation. Avec une vue que les actifs américains sont de très bonne qualité, les étrangers sont très enclins à les accumuler. De fait, la position débitrice nette des États-Unis (l'excès de détention d'actifs américains par des étrangers sur la détention d'actifs étrangers par des Américains) dépasse actuellement 25.000 milliards de dollars (près de 90 % du PIB).

L’inclination des étrangers à acheter et à détenir une telle quantité d'actifs américains reflète, entre autres, la perception du dynamisme du secteur des entreprises, la prévisibilité et de l'efficacité des politiques adoptées en réaction aux risques, la fiabilité de la protection des droits de propriété sous l'État de droit. En conséquence, lors des turbulences financières qui sont survenues par le passé, les investisseurs à travers le monde ont généralement traité la dette du Trésor américain comme l'actif le plus sûr qui soit disponible.

Cependant, l'introduction d'un régime tarifaire erratique et incohérent soulève des doutes quant à la qualité de la gestion de la politique aux Etats-Unis et potentiellement quant aux protections des droits de propriété accordées aux investisseurs étrangers. Supposons, par exemple, que les étrangers s'attendent raisonnablement à ce que nos calculs de comptabilité nationale indiquent qu'en l'absence de récession même d’énormes droits de douane ne parviendront pas à réduire le déficit extérieur américain. Les craints que les décideurs politiques américains tentent des interventions encore plus agressives pour rétablir l'équilibre extérieur ne s’accentueraient-elles pas ? Par exemple, l'administration Trump mettrait-elle en place des politiques visant à empêcher les entrées de capitaux étrangers nécessaires au financement du déficit extérieur en biens et services ? En novembre 2024, l'actuel président du Council of Economic Advisers, Stephen Miran, a présenté une telle politique qui imposerait une "taxe d'utilisation" […] sur les titres du Trésor américain détenus par les étrangers.

Malheureusement, les craintes d'une intervention gouvernementale aussi extraordinaire dans le compte de capital américain posent en elles-mêmes un risque sérieux pour la stabilité économique des Etats-Unis. La vulnérabilité est claire : conscients de l'important passif net du pays, les étrangers inquiets pourraient chercher à réduire leur exposition aux actifs américains avant qu'il ne soit trop tard. Autrement dit, ils pourraient souhaiter non seulement ralentir leurs acquisitions (en réduisant ainsi le déficit extérieur), mais aussi vendre leurs avoirs existants.

Une telle crise de la balance des paiements est appelée "arrêt brutal" (sudden stop). Pour répondre à un éventuel désir précipité des étrangers de retirer leurs fonds des États-Unis, le pays devrait soudainement épargner davantage qu'il n'investit. En pratique, un tel changement rapide se produit via une chute des investissements et une profonde récession, combinées à un effondrement de la valeur du taux de change et à une chute des prix domestiques. C'est ce qui s'est produit dans de nombreuses économies émergentes dans les années 1990, aussi bien que dans les économies d'Europe du Sud dans les années 2010. […]

Heureusement, malgré le déficit extérieur persistant du pays, il y a eu peu de raisons de craindre des conséquences aussi extrêmes ces dernières décennies. La question est désormais de savoir si la débâcle tarifaire du président ouvrira cette boîte de Pandore. »

Stephen Cecchetti & Kermit Schoenholtz, « Trump's tariffnado », in Money & Banking (blog), 13 avril 2025. Traduit par Martin Anota 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire