mercredi 9 avril 2025

Le coût du chaos : cela devient effrayant… et tout est de la faute de Trump

« Herbert Hoover, poussez-vous.

Le 31ème président a longtemps été le saint patron de la mauvaise gestion économique. Mais alors que Hoover a mal réagi à l'arrivée de la Grande Dépression, il n'a pas provoqué la crise. En revanche, il semble de plus en plus probable que Donald Trump précipitera à lui seul dans la crise la solide économie dont il a hérité. C’est, comme Trump pourrait le dire, une politique désastreuse comme on n'en a jamais vue jusqu’alors.

Comment a-t-il réussi à le faire ? Alors que la vaste majorité des économistes pensent que les droits de douane élevés sont une mauvaise politique, ils ne les associent normalement pas à la récession. Beaucoup des économistes qui ont examiné attentivement les faits, peut-être même la plupart d’entre eux, n’acceptent pas l'idée répandue selon laquelle les droits de douane Smoot-Hawley de 1930 auraient provoqué la Grande Dépression.

Mais cette fois-ci les choses semblent différentes. Pourquoi une crise Trump provoquée par les droits de douane semble-t-elle chaque jour plus probable ?

Comme beaucoup d'autres, j'ai beaucoup parlé de l'immense incertitude que Trump est en train de créer. Ignorez les efforts désespérés pour essayer de donner de la cohérence à sa politique commerciale, prétendre qu'elle découle d'une doctrine économique cohérente. Nous sommes clairement en train de contempler des droits de douane motivés par l'identité, non par l'idéologie ; la plus grande motivation de Trump semble être le désir de voir les autres pays ramper. Parce qu’il n’y a pas d’objectif politique clair, personne ne sait ce que Trump fera demain, et encore moins au cours des prochaines années. Vous attendiez-vous à des droits de douane de 104 % sur les importations de produits chinois et de 34 % sur les importations de bois canadien ? […]

Comme je l'ai écrit il y a quelques jours, "Les droits de douane permanents sont mauvais pour l'économie, mais les entreprises peuvent, pour la plupart d’entre elles, trouver une façon de vivre avec. Ce que les entreprises ne peuvent pas supporter est un régime où la politique commerciale reflète les caprices d'un roi fou, où personne ne sait quels seront les droits de douane la semaine prochaine et encore moins dans les cinq prochaines années. Ces droits de douane seront-ils permanents ? S'agit-il d'une manœuvre de négociation ? L'administration n'arrive même pas à dire des choses cohérentes entre elles, ses représentants affirmant que les droits de douane ne sont pas négociables avant d'être contredits par Trump quelques heures plus tard. Dans ces conditions, comment une entreprise est-elle censée faire des investissements ou tout genre d’engagement à long terme ? Chacun va rester les bras croisés, attendant une clarification qui pourrait ne jamais venir."

Mais attendez, ce n'est pas tout. Il y a de plus en plus de signes suggérant qu’il y a un risque de crise financière induite par les tarifs douaniers.

Il y a de multiples indicateurs de ce risque. Je vous laisse avec une explication wonkish d'un indicateur qui a particulièrement retenu mon attention.

Au bon vieux temps, c’est-à-dire il y a deux semaines, la principale crainte à propos des droits de douane de Trump était qu'ils provoquent une inflation soutenue. Nous savions qu'ils entraîneraient au moins une hausse temporaire des prix à la consommation, mais la grande question (cruciale pour la politique de la Réserve fédérale) était de savoir si cette hausse entraînerait une hausse soutenue de l'inflation anticipée et s’enracinerait dans l'économie.

C'est ce qui s'est produit dans les années 1970 et c'est la raison pour laquelle la baisse de l'inflation dans les années 1980 a nécessité des années de chômage élevé. Cela ne s’est pas produit durant les années Biden, ce qui explique pourquoi cette fois-ci nous avons été capables de faire baisser l'inflation sans récession.

Donc, tout le monde a observé les indicateurs d'inflation anticipée à la recherche d'indices. Et les nouvelles tirées des enquêtes réalisées auprès des ménages sont très inquiétantes. Voici l'inflation anticipée à long terme, tirée de celles largement citées du Michigan :

Inflation anticipée à cinq ans (en %)

Oh ! Mais ce ne sont pas les consommateurs qui fixent les prix. De plus, ces dernières années ont montré que ce que les consommateurs disent croire à propos de l'économie n'est pas un bon indicateur de leur comportement. Donc vous voudriez une certaine confirmation à partir d'autres indicateurs.

À la fin du mois dernier, Austan Goolsbee, le président de la Fed de Chicago, a déclaré que ce serait un "gros drapeau rouge d’inquiétude" si les indicateurs basés sur les marchés signalaient une hausse de l'inflation anticipée. Il faisait principalement référence aux taux d'équilibre, c’est-à-dire l'écart entre les taux d'intérêt des obligations indexées sur les prix à la consommation et ceux des obligations qui ne le sont pas. Cet écart peut normalement être considéré comme une prédiction implicite de l'ampleur de la hausse des prix à la consommation.

Voici donc le taux d’équilibre à 5 ans cette année :

Taux d'équilibre à cinq ans (en %)

Attendez, quoi ? L'inflation anticipée a-t-elle réellement baissé car les projets tarifaires de Trump se sont révélés bien plus agressifs que prévu ?

Non, ce n'est pas ce qui est arrivé. Ce que nous sommes en train de voir, ce sont des investisseurs financiers, en particulier des fonds spéculatifs, qui vendent des actifs dans une "ruée vers la liquidité". Lorsque les investisseurs vendent des obligations, ils en font baisser le prix, ce qui signifie qu'ils font grimper leur rendement. Pourquoi cela entraîne-t-il une baisse du taux d’équilibre ? Parce que le marché des obligations indexées est relativement petit et mince, donc la ruée pour vendre a un plus gros effet sur la baisse des prix et la hausse des taux d'intérêt pour les obligations indexées que des obligations ordinaires.

Ce n'est pas la première fois que cela survient. Observez le taux d'équilibre sur le long terme : il a chuté durant la crise financière de 2008-2009, puis de nouveau quand la pandémie de Covid a frappé :

Taux d'équilibre à cinq ans (en %)

Les investisseurs ne prévoyaient pas vraiment une forte déflation en 2008-2009, ils se sont simplement précipités pour vendre des actifs et récupérer de la liquidité. Et c'est ce qui se produit aujourd'hui, même si ce n'est pas (encore) dans les mêmes proportions.

En d'autres termes, je cherchais des indications à propos de l'inflation et j'ai plutôt découvert les signes avant-coureurs d'une crise financière naissante. D'autres, regardant d'autres indicateurs, allant du trading de base aux obligations pourries en passant par les difficultés de refinancement des prêts privés, voient la même chose.

Pourquoi cela se produit-il ? Les politiques erratiques de Trump ont accru le risque de récession, mais au-delà de cela, leur pur extrémisme (du quasi-libre-échange à des droits de douane supérieurs à ceux de Smoot-Hawley en moins de trois mois) a nui à certains emprunteurs bien plus qu’à d'autres. Regardez le graphique en haut de cet article. Il y a une raison pour laquelle Elon Musk s'en prend à Peter Navarro, le gourou des droits de douane de Trump, le traitant de "Peter Retarrdo" et d’"abruti" et de "plus bête qu'un sac de briques".

N'êtes-vous pas heureux que les adultes soient aux commandes ?

Et voilà le problème : les prêteurs seront pénalisés si certains emprunteurs sont contraints de faire défaut, même si d’autres s’en sortent bien, car ils ne profitent pas de potentiel de hausse. Ainsi, même si les cours boursiers font la une des journaux, l’horreur se produit sur le marché obligataire. Le scénario catastrophe, que nous avons vu se produire en 2008, est qu’une chute des prix des actifs entraîne une course à la liquidité, qui mène à des ventes en catastrophe qui font baisser encore plus les prix et qui fait imploser tout le système. Soudain, ce scénario ne semble plus impossible.

Peut-être parviendrons-nous à éviter le gouffre. Mais la Trumponomics s’est déjà révélée être pire que même leurs critiques les plus virulentes ne l'imaginaient et que le pire est peut-être encore à venir. »

Paul Krugman, « The cost of chaos: This is getting scary », Krugman Wonks Out (blog), 9 avril 2025. Traduit par Martin Anota

 

Aller plus loin...

« Les conséquences économiques du second mandat de Trump » 

« Quelles ont été les conséquences de la guerre commerciale de Trump pour les Etats-Unis ? »

« Petite macroéconomie des droits de douane » 

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